L'Humanité
2, 3 et 4 avril 2021

Culture & savoirs
Autobiographie

"Et si en chantant on emmenait les gens, comme au cinéma ?"


William Sheller, auteur-compositeur et pianiste, a décidé d'arrêter de se produire sur scène. A 74 ans, il publie un très beau livre relatant sa vie, ses émotions d'homme et quelques désillusions artistiques. Non sans humour. Entretien. 

Depuis quarante ans, ses chansons bouleversent, enchantent ou font swinguer son public. Mais à 74 ans, William Sheller raccroche. Ce chanteur si singulier vient d'écrire son autobiographie, William (Equateurs; 23 euros). Il part de la découverte, à 50 ans passés, de l'identité de son père américain pour évoquer sa vie, sa petite musique intime, ses rapports houleux avec sa mère « si belle » ses amis, ses amours et ses enfants. Il raconte son envie de jouer piano « tête-bêche » avec Véronique Sanson, juste « ses chansons, et les miennes ». Il reçoit dans sa jolie maison nichée au fond d'un chemin, près d'Orléans. Comme par enchantement, la conversation dure des heures avec les volets fermés pour que les mésanges ne se cognent pas sur sa porte-fenêtre. Et parfois, une biche passe.

- L'Humanité : « Pourquoi ce livre, maintenant ? »
- William Sheller : « Le confinement m'a beaucoup servi. J'ai lu pas mal de biographies de mes camarades chanteurs. Elle se restreignent souvent à leur rapport à la profession. On me l'a aussi proposé. Mais j'ai refusé parce qu'on ne peut trouver le mot juste, et le faire partager au lecteur, que lorsqu'on a vécu l'image, la sensation, l'émotion. Sinon, cela donne du : "J'ai rencontré Sheila, et on s'est dit bonjour." »

- L'Humanité : « A l'origine de votre livre, il y a une révélation de votre mère qui vous apprend sur son lit de mort que votre père est américain. »
- William Sheller : « Elle m'a kidnappé tout bébé. Ma grand-mère m'a déclaré né de père inconnu. Mais mon père m'a vu. Il est resté trois jours avec moi. Ensuite, il est parti au Havre pour se faire démobiliser. Quand il est revenu, ma mère, Paulette avait déménagé. J'étais son "gosse à elle" toute seule. »

- L'Humanité : « Et en même temps, elle vous laisse chez votre grand-mère, vous envoie en pension. »
- William Sheller : « A l'époque, c'était normal. Dans les années 1940, après la guerre, il n'y avait rien à manger. Des familles paysannes se proposaient de prendre des petits Parigots. Cela leur permettait de manger du poulet, des fruits, des légumes et de se refaire une santé. Mais petit, on prend cela pour de l'abandon. J'ai arrêté d'appeler Paulette "maman" vers mes 11 ans. C'était ma génitrice, mais pas une maman. Elle apparaissait, elle disparaissait. C'est surtout ma grand-mère, cette déesse, qui m'a élevé. »

- L'Humanité : « D'ailleurs vous racontez que, dès vos premiers cachets, vous vous débrouillez pour qu'elle n'ait plus à travailler. »
- William Sheller : « J'ai pris soin d'elle jusqu'à la fin. Elle vivait chez moi. Elle me voyait arriver tous les soirs et me prenait pour mon grand-père. Elle me disait :"Ah c'est toi Jean ? Je t'en ai fait voir, hein." Elle me faisait un petit signe avec ses doigts quand elle voualit une cigarette. Je lui allumais, elle crachotait et je finissais la clope. »

-  L'Humanité : « Vous parlez aussi de vos enfants, dont vous vous êtez beaucoup occupé... »
- William Sheller : « Pour moi, les gosses, c'est important. J'ai élevé les miens. Ma fille est née fin 1971, mon fils fin 1972. Mon ex-femme voulait beaucoup d'enfants. Mais je ne suis pas Jean-Sébastien Bach. Je ne voulais pas en avoir quinze. Il n'y avait pas de pricne archevêque pour me jeter des diamant sur scène. Quand j'ai voulu m'arrêter là, elle s'est entêtée. Je n'en voulais plus, elle en voulait tellement ! Elle n'est fautive de rien, mais nous nous sommes séparés. Plus tard, j'ai récupéré les enfants, à leur demande. Je me suis aussi occupé de mes petits-fils. Vous pouvez me donner des enfants à garder, je suis imbattable ! »

- L'Humanité : « Dans ce livre, vous vous placez avant tout sur le terrain de l'émotion, de cette homme qui peine à être heureux. »
- William Sheller : « C'est l'être humain qui parle. J'ai appelé le livre William parce que je voulais l'avis du gamin de 7 ans, projeté dans le monde adulte.  Je suis toujours cet enfant de sept ans, prisonnier dans le corps d'un être qui devient un vieillard. J'appelle cela le "syndrôme Goldorak". »