Cinq ans après sa dernière télé où il était apparu très fatigué, on a retrouvé le chanteur, chez lui, revigoré. Le musicien surdoué continue à composer mais a pris la décision de ne plus jamais chanter.
Ardon (Loiret), le 15 mars.
William Sheller, 74 ans, va mieux : « Je faisais de l’arythmie, j’ai eu un œdème pulmonaire, j’étais bouffi par la cortisone...».
Quelle image a-t-on de William Sheller ? Un musicien surdoué, sensible et austère, toujours tiré à quatre épingles derrière son piano à queue. Comme le souvenir qu'il nous a laissé il y a cinq ans, lors de sa dernière apparition télévisée, entouré de Véronique Sanson, Louane et Jeanne Cherhal le chantant, l'enlaçant et lui remettant une Victoire d'honneur. L'émotion était d'autant plus intense qu'il était apparu fatigué, grossi… Beaucoup se demandaient, à commencer par lui, si on le reverrait.
Mais William Sheller est aussi surprenant que résistant. Celui que l'on croyait retiré sort un livre sur ses amis, ses amours, ses emmerdes :« William » aux éditions des Equateurs. Et il nous a invités à en parler chez lui à 140 km au sud de Paris, près d'Orléans. A Ardon (Loiret), tout au bout d'un domaine privé qui serpente dans la forêt, il vit dans une vaste maison aux allures normandes entourée d'un grand jardin et d'immenses sapins. Il nous accueille à la porte. « Vous avez croisé des biches ? Elles viennent parfois avec un faon. »
On ne s'attendait pas à le retrouver aussi amaigri et… heureux. « Je vais mieux », sourit-il. On lui avoue avoir été inquiets après l'avoir vu à la salle Pleyel, en mai 2016, victime de pertes de mémoire. « Moi qui étais capable de jouer quatre heures… se désole-t-il. C'était affreux. J'étais en plein burn-out. Je faisais de l'arythmie, j'ai eu un œdème pulmonaire, j'étais bouffi par la cortisone, je faisais près de 100 kg, le traitement attaquait ma thyroïde et mes yeux. Un médecin d'assurances et un cardiologue m'ont sauvé la vie. »
Autre surprise, sa décontraction. Il est habillé comme un jeune Américain, chemisette, pantalon noir, pieds nus dans des baskets Vans. Il nous installe dans son salon Art déco, où se mélangent tous les styles et objets, « l'Ile des morts », un grand dessin réalisé et offert par la star de la science-fiction Philippe Druillet, un buste antique, un fumoir à opium, une figurine de Tintin, des souvenirs de son grand-père, des cadeaux de Barbara, une télé allumée mais sans le son… « Vous pouvez enlever vos masques, nous dit-il. Le virus n'est pas rentré ici, j'ai du double vitrage… Et j'ai une bronchite chronique. Je ne bouge pas de chez moi avant la vaccination. »
« C'est Barbara qui m'a dit : tu devrais chanter »
Il est 15 heures. Il nous offre un café, prend un grand verre de Martini Schweppes, qu'il sirote à la paille. Il allume la première cigarette d'une longue série. Lui qui n'aimait pas les interviews nous gardera cinq heures. « J'aime parler, c'est juste que l'on ne me posait pas les bonnes questions, commence-t-il. J'ai écrit ce livre pour dire que je ne me réduis pas à Un Homme heureux, une bénédiction mais aussi une sacrée casserole aux fesses. » Comme ce conseil que lui donna Barbara, dont il fut l'arrangeur et l'ami, et qui fut à la fois une chance et une frustration. « C'est elle qui m'a dit : tu devrais chanter. Il y a de l'émotion dans ta voix. Tu n'es pas un chanteur mais un diseur, comme moi. »
Lui rêvait d'être un grand compositeur et arrangeur. Et il est devenu pianiste et chanteur à succès. « Le premier fut My Year is a Day, en 1968, repris par Dalida sous le titre Dans la ville endormie, rappelle-t-il. Le texte est con, mais la chanson figure dans le prochain James Bond, dont une partie se situe à Paris. J'attends sa sortie et le pognon. » Ont suivi dans les années 1970 et 1990, Rock'n'dollars, Dans un vieux rock'n’roll, Le Carnet à spirale, Oh j'cours tout seul, Mon dieu que j'l'aime, Fier et fou de vous, Un homme heureux…« Elle m'a pris deux ans, cette chanson, avoue-t-il. J'avais la musique mais pas le texte, le film, mais pas le personnage. Quand je l'ai trouvé, ma maison de disques m'a dit : "Ça ne marchera pas, c'est trop triste, le piano-voix ne passera pas en radio". Mais dès qu'elle est sortie, elle n'a pas arrêté de passer à la radio. Ce succès a ouvert une porte pour des musiciens comme Jeanne Cherhal, Vincent Delerm…»
« Quand j'ai rencontré mon clan américain, j'ai eu envie de raconter mon histoire »
Que trouve-t-on dans les vinyles rescapés de ses multiples déménagements ? Ceux qui ont élargi son horizon de musicien classique et l'ont inspiré, les Beatles, « un énorme choc à l'adolescence », les Stones, The Who, Wings, King Crimson, Iron Butterfly, Lou Reed, Peter Gabriel, des surprises, comme le groupe post-punk Marquis de Sade et « les Chansons paillardes » des Frères Jacques. Et ses amies, Catherine Lara, Nicoletta, Véronique Sanson… « Ah Véronique, c'est le grand amour de ma vie, s'exclame-t-il. Un amour impossible. On est tous les deux trop borderline. »
Sa vie privée a été mouvementée. Marié à 22 ans avec Marianne, il a eu une fille en 1971, Johanna, un garçon en 1972, Siegfried. « Marianne voulait plein d'enfants. Pas moi. On s'est séparés logiquement après sept ans. Mais je me suis beaucoup occupé de mes mômes. Je me suis installé ici en 2014 pour me rapprocher de mon fils et ses deux fils. J'adore les bébés, je suis imbattable sur les couches et les biberons. » Dans le livre, il raconte aussi son histoire avec Peter. « Mon compagnon de voyage, mon jumeau, décrit-il. Avec lui, c'était un fond de bisexualité, de l'homo-romantisme.»
On remarque autour de son cou une plaque métallique de soldat américain. « Celle de mon père biologique. Il s'appelait Colin T. Macleod et a eu une histoire d'amour avec Paulette, ma mère, à la Libération. Mais il a dû repartir à Detroit, a fondé une famille et est décédé en 1989 sans jamais réussir à nous retrouver. » Il va chercher la gamelle en métal de son père, sur laquelle sont gravées les destinations de sa vie, London, France… « C'est quand j'ai rencontré mon clan américain que j'ai eu envie de raconter mon histoire. Et c'est devenu un livre grâce à Françoise Hardy. Elle qui est aussi cash que moi a aimé mes premières pages et m'a mis en contact avec son éditeur. »
Il montre la couverture avec ce visage d'enfant triste. « Je revenais de mon premier séjour aux Etats-Unis, où nous avions suivi Jack, l'Américain que je croyais être mon père. J'étais mélancolique… Je suis toujours ce gamin de 7 ans mais dans le corps d'un homme qui sera bientôt un vieillard. Je vais avoir 75 ans en juillet, il me reste dix-quinze ans, la vie d'un chien, pour composer. Mais les albums, c'est fini. » Son dernier, Stylus, en 2015 ? « L'album de trop, qui a été fini sans moi. » Son intégrale en 2016 ? « Honteuse ».
« Grâce à mon burn-out, je me fous de tout, de ce que pensent les autres »
« Je ne chanterai plus et ne referai plus de piano, affirme-t-il en nous entraînant dans sa pièce de travail, où demeure un piano droit. Je ne l'ai pas touché depuis 2016. Je le garde pour trouver une note, car je n'ai pas l'oreille absolue. J'ai démonté mon studio, j'ai vendu mon piano à queue, j'ai donné tous mes Disques d'or, de platine, mes quatre Victoires de la musique. »
Mais il a gardé ses partitions pour grand orchestre écrites à la plume, qu'il montre amoureusement. « Quand une de tes œuvres est au même programme que Stravinsky, c'est quand même une autre émotion qu'une place au hit-parade », dit-il. Il s'est néanmoins mis à l'ordinateur pour composer. « Regardez cette vidéo que j'ai enregistrée pendant le premier confinement. Elle est tellement sombre que mes amis ont cru que c'était ma dernière, rigole-t-il. Alors que je revis. Je suis un homme nouveau. Grâce à mon burn-out ! Je me fous de tout, de ce que pensent les autres. Je rêve de finir mes jours au Brésil. Et je sais où je finirai tout court. Les Macleod m'ont réservé une place dans leur carré au cimetière de Detroit. »