Après cinquante années d'un parcours d'une richesse époustouflante, le musicien publie des mémoires très vivants. Retiré du showbiz parisien et de ses us, il amorce avec serénité un changement de vie radical.
William Sheller a délaissé il y a bien longtemps le cirque parisien pour s'établir en Sologne. A l'écart du bruit de la fureur, il y a rédigé une autobiographie dans laquelle il se penche sur une vie aussi trépidante que singulière. Après avoir abandonné la scène en 2016, il a décidé de vendre son piano afin de se réinventer en compositeur. Tonique, affable et drôle, il nous reçu longuement dans son grand salon devant lequel les oiseaux viennent chanter. Aux murs, des illustrations dédicacées de Duillet rappellent sa proximité avec l'artiste, qu'il a rencontré dès les années 1960. William Sheller passe beaucoup de temps derrière son ordinateur, entre WhatsApp et YouTube, où il part à la recherche de nouvelles musiques. Il nous fait écouter une reprise en anglais d'une de ses chansons, Headwinds, par le groupe Esquire. Beau comme du Bowie.
- Le Figaro : « William est une autobiographie aussi inattendue que singulière... »
- William Sheller : « J'avais envoyé les premières pages du livre à Françoise Hardy, qui m'a proposé de les faire lire à son éditeur, Olivier Frébourg. Je savais qu'elle n'était pas du genre flatteuse. Frébourg m'a encouragé à continuer d'écrire. Moi... j'écris avec mes oreilles, mes yeux, avec les gens que j'ai vus et le les fais parler. Ce livre s'adresse à tout le monde. J'ai déjà des retours de lecteurs. Il y a des moments de ma vie où effectivement je me suis bien marré. Aujourd'hui, plein de détails qui me reviennent. "Tiens, j'ai oublié de dire ça." Mais le livre fait déjà 500 pages. »
- « Vous pourriez en écrire un deuxième ? »
- « Oui, je pourrais y aborder des thèmes touchant plus à l'aspect du travail. J'en profiterais aussi pour développer certains passages. Là, je reçois du courrier de gens que j'ai connus étant gamin qui me demandent pourquoi ils ne sont pas dans le livre... »
- « Vous déclarez vouloir mettre fin à votre carrière. Vous êtes sérieux ? »
- « Je l'ai dit clairement : je ne chanterai plus jamais, je ne jouerai plus jamais de piano. Ne me cherchez plus, c'est fini ! Je fais comme Greta Garbo. J'ai même vendu mon piano... Il m'en reste un petit que je garde pour vérifier ce que j'entends dans ma tête, car je n'ai pas l'oreille absolue. Maintenant, je recommence à travailler avec le crayon sur le papier à musique. Le burn-out que j'ai subi en 2016 a été cmme une mort initiatique. Un médecin génial m'a sauvé. Je l'ai aimé tout de suite : il avait un tableau de Hopper dans son cabinet, je me suis dit ;"Lui, il aime l'art". Et puis je vais avoir 75 ans en juillet. A la fin, je pesais près de 100 kilos, j'avais les doigts tellement boudinés que j'avais du mal à jouer, je devais utiliser un prompteur sur scène. C'est là qu'on m'a donné cette espèce de vacherie de Victoire d'honneur. Moi, je ne voulais pas y aller. Maintenant, je dois juste me faire opérer des yeux et trouver un orthodontiste pour réparer mes dents, mais ça va. »
- « Le livre s'ouvre sur une révélation faite par votre mère sur son lit de mort... »
- « A ma naissance, ma mère m'a kidnappé. Mon père était rentré aux Etats-Unis après avoir été mobilisé. Là-bas, il a dit à ma tante : "Un nouveau est arrivé dans le clan, il s'appelle William". Pendant ce temps-là, ma grand-mère était allée à la mairie du 17e me déclarer né de père inconnu. A mon avis, tout ça avait été manigancé avec Jack Hand, que ma mère avait rencontré entre-temps et qui était plus drôle que ce soldat. Le pire, c'est que lorsque nous vivions aux Etats-Unis, je passais environ à 200 km d'où vivait mon père naturel. Il est mort en 1989. En mourant à son tour, ma mère m'a permis de reprendre contact avec ma famille paternelle. Quand je suis descendu de i, mon frère m'a reconnu tout de suite tant je ressemblais à mon père... Je ne l'ai vu que deux minutes dans un petit film de famille." »
- « Que vous a apporté votre beau-père ? »
- « Il avait foutu le camp des Etats-Unis pour déserter. Il a ouvert une boîte de jazz en France, où venaient jouer quelques musiciens noirs. Kenny Clarke m'a fait sauter sur ses genoux quand j'étais tout petit. En 1975, à la sortie de mon premier album, je l'ai revu, et je lui ai dit que j'étais le fils de Jack. Quand nous recevions ces musiciens à la maison, les voisins traitaient ma mère de "pute à blacks". En débarquant aux Etats-Unis, dans les années 1950, on nous prenait pour des Allemands. Un soir de Halloween, des croix gammées avaient même été dessinées sur nos fenêtres. »
- « Le jazz a très peu imprégné votre style... »
- « Pour moi, le jazz était une musique à générer des emmerdes. J'ai été plus marqué par ce que j'ai découvert au Théâtre des Champs-Elysées, où travaillaient mes grands-parents : l'opéra, la musique contemporaine, la musique africaine, le flamenco... Ma mère m'a toujours appuyé quand j'ai voulu jouer de la musique. Elle savait que c'était un métier, grâce à ses parents. A 11 ans, j'ai décidé que la musique serait toute ma vie, quoi qu'il en coûte. J'ai acheté Le Requiem de Mozart avec mon argent de poche. Mais le choc, ça a été ma découverte du Sacre du printemps, de Stravinski. J'ai étudié la partition : je la connais par cœur. »
- « Et puis les Beatles sont arrivés »
- ‘Quand je suis arrivé en France, on m'a donné une éducation très catho. J'étais dans une école tenue par des curés, je me souviendrai toujours de l'odeur de leurs soutanes : ça sentait le moisi. Alors le curé, je le sentais venir...J'étais enfant de chœur, je disais la messe en latin. On avait cours de morale tous les mardis. De toute façon, je n'étais pas du genre à faire les quatre cents coups. Et puis j'ai commencé à écouter du rock. J'aimais bien Eddy Mitchell, j'avais les disques de Françoise Hardy et de Marie Laforêt. Cloclo m'énervait. Plus tard, il m'a invité au moulin. Ses fils versaient du shampoing dans la piscine... Pour moi, les Beatles, c'est le classique du XXe siècle. On les écoutera encore dans un siècle. Quelle créativité, à partir du moment où il arrêtent la scène ! Déjà, sur Revolver, Tomorrow Never Knows sur un accord, avec les bandes inversées. »
- « Comment passez-vous vos journées désormais ? »
- « Je range enfin la maison, je range et je range parce que je ne veux pas rester là. J'ai envie de vivre plus près d'Orléans, de pouvoir sortir de chez moi pour acheter un croissant. J'en ai assez de bouffer des croissants dans des boîtes en plastique ou de devoir parcourir trente kilomètres pour trouver quoi que ce soit."
* William, de William Sheller. Edition des Equateurs. 500 pages, 23 euros.