A 70 ans, le chanteur, qui fut poussé sur scène par Barbara, retrouve peu à peu la santé en cultivant son éternelle misanthropie romantique.
- « Dans quel esprit êtes-vous actuellement ? »
- « Il me reste quelques concerts d'ici à la fin de l'année. J'ai récupéré 60% de mon énergie, j'ai retrouvé un peu de souffle. J'ai quand même failli crever. Maintenant je suis content. Heureux de vivre ? Non, je ne l'ai jamais été. »
- « D'où vient votre image de solitaire mélancolique ? »
- « C'est à cause de cette... –j'allais dire un gros mot– de chanson, Un homme heureux. Et puis, j'étais très ami avec Barbara, et c'est vrai qu'on partageait une certaine mélancolie. Sauf que, chez nous deux, c'était plus proche d'une certaine forme de romantisme que de la tristesse. Il ne s'agit pas de regrets ou d'un côté "C'était mieux avant". J'avoue avoir tendance à apprécier les chansons, les films qui ont d'une certaine manière une sentimentalité. »
- « Un homme heureux, c'est si lourd à porter ? »
- « C'est un peu une casserole aux fesses. Quand j'ai débuté, j'avais droit sans cesse à Rock'n'dollars. Ensuite, avec Un homme heureux, c'était cuit pour moi ! Ce titre m'a marqué au fer. C'est déjà bien de laisser une trace de cette sorte. Mais lorsque je suis invité quelque part, on me demande automatiquement ça. On ne va jamais, ou rarement chercher une autre chanson de mon répertoire. Et il y en a pourtant de bien plus intéressantes. Tout cela ne s'arrange pas avec l'époque, qui ne recherche que l'efficacité. »
- « En seriez-vous là sans Barbara ? »
- « Je n'aurais indéniablement pas fait la même chose. Elle voulait que je chante, elle n'en démordait pas. Elle me disait que je ne devais pas perdre mon temps a écrire des trucs qui resteraient confidentiels. Je pense qu'elle m'a fait vivre dans un monde musical qui m'a beaucoup influencé et je peux lui dire merci. J'ai habité dans sa maison pendant pas mal de temps. Elle était capbale de me réveiller à trois heures du matin pour me demander un conseil pour un accord qu'elle n'arrivait pas à trouver sur son piano. Maintenant, tout le monde la chante... »
- « Votre voix, vous l'aimez ? »
- « Au début c'était compliqué. Maintenant je m'y suis fait. Je me suis calmé au fil des années, je me suis rendu compte que ce n'était pas la peine de chanter fort. La mode, aujourd'hui, c'est de gueuler en anglais. Est-ce le style du moment ou un manque d'inspiration ? »
- « Allez vous continuer à chanter longtemps ? »
- « Plus de la même manière en tout cas. Le piano, j'en ai un peu ma claque ! J'ai envie de m'entouer de musiciens qui sont plus de mon monde, qui me permettent de donner davantage de feuillage dans le paysage. J'ai le droit désormais de poser mon cul sur un transat en réfléchissant à quelque chose de nouveau et qui se fera en temps voulu. »
- « Envisagez-vous d'écrire vos Mémoires ? »
- « Je suis en train de m'y atteler. C'est long, pénible... Quand on arrive à 70 ans, il y a des épisodes de sa vie qu'on place avant d'autres. Cela risque de me prendre une bonne année. je veux le faire avec mes mots; je suis très attaché au style. »
- « Avez-vous mené la vie que vous désiriez? »
- « A part la musique, jamais ! Vous savez, les misanthropes sont toujours des personnes cruellement insatisfaites. »
* William Sheller le 10 décembre, 20 H Salle Pleyel, 252 rue du faubourg Saint-Honoré, 8e.