William Sheller sort, à 69 ans, son premier coffret intégral, dont il conteste le choix des chansons, et se produit trois soirs de suite aux Folies-Bergère à Paris, ce qui le rend heureux.
William Sheller est un cigarette fine et sans filtre. Glaçante quand on se présente en avance. « C'est trop tôt », nous dit-il avant de se raviser. « Allez venez, ce sera plus vite fini ». Tous les journalistes le savent. Il n'aime ni les interviews ni la promotion. Après un forcing de plusieurs semaines, il a finalement consenti à parler de sa triple actualité, sa première intégrale, intitulée Préférences, son dernier album, Stylus, et sa tournée, qui passera les 14, 15 et 16 avril par les Folies-Bergère, à Paris (IXe).
Mais on comprend vite pourquoi la promotion se fait au compte-gouttes. Parce que c'est un provocateur né qui ne s'embarrasse ni de diplomatie ni de fausse modestie. Son intégrale ? « Vous parlez de cette boîboîte en carton mal foutue, avec des couleurs immondes et des CD si difficiles à attraper ? J'ai honte, vous pouvez l'écrire. Mon intégrale, ne l'achetez pas, volez-la ! Ils l'ont fait sans moi, alors qu'il existe des inédits et des versions meilleures. Moi, ce que j'aimerai sortir, c'est une compilation de me chansons préférées, celles qui ne sont jamais sur les compilations pour aires d'autoroutes qui sortent sans l'avis des artistes. »
On poursuit la discussion sur son dernier album, Stylus, qui n'a reçu que des éloges. « Oh, un album de transition, pour finir une période quatuor et musique de chambre. J'avais écrit quelques chansons pendant ma tournée, pour les jouer dans les villes que j'aimais bien. Et on les a réunies dans un album, voilà. Je fais des disques parce que cela me permet de faire de la scène. Savoir combien j'en vends ne m'intéresse pas, savoir combien je vends de places dans un théâtre, beaucoup plus. »
Cela tombe bien, il est pour trois soirs aux Folies-Bergère. « J'adore jouer dans cette salle, pleine de plumes, de souvenirs. La scène, c'est l'un des rares endroits où je suis heureux. mais j'ai malheureusement dû ralentir les concerts parce que je suis malade. » William Sheller souffre d'arythmie cardiaque depuis deux ans. « J’ai enfin trouvé les bons diagnostics et je suis en train de me soigner. Mais j'ai pris quinze kilos de flotte. Cela va pour jouer, je récupère un peu le souffle, mais j'ai du mal à marcher, cela me fatigue, c'est une saloperie. » Cela explique aussi qu'il se fasse rare en interviews. « L'an dernier, les 70 concerts, l'album et la promo m'ont beaucoup fatigué. En Belgique j'ai failli étouffer, j'avais de la flotte jusque-là, dit-il en montrant sa gorge. Urgences direct. Il ne faut pas prendre cela à la légère. Un gars en est mort sur le Paris-Dakar. Mais bon, je vais commencer en juin une nouvelle vie. Ma vie, ce n'est pas chanter en tortillant du cul à la télé, c'est composer de la musique. Alors je vais composer pour des orchestres symphoniques, jouer, diriger. J'arrive à 70 balais et je veux prendre le temps de faire mes rêves de gosse. Et peut-être foutre le camp au Brésil. »
Malgré la maladie et son aversion pour la télévision, William Sheller a accepté de participer aux dernières Victoires de la musique et d'y recevoir une Victoire d'honneur. Un moment d'émotion intense. « Il paraît, sourit-il. A chaque fois, on me demande de chanter Un Homme heureux, c'est un peu casse-bonbons. Mais là, j'ai adoré la jouer avec ces trois gamines autour du piano, la larme à l'oeil. La petite Cherhal, qui progresse bien, et Louane, un beau bourgeon. Mais pour qu'elle devienne une fleur, il lui faut une grande aventure sentimentale qui lui brise le cœur. Et Véro (NDLR : Véronique Sanson), une femme intelligente, de cœur, une musicienne comme il y en a peu. J'ai le fantasme de jouer avec elle sur scène à deux pianos, son répertoire et le mien. »
Véronique Sanson, comme Brigitte Fontaine, a été une rencontre importante. Il en parlera dans la biographie qu'il a commencé à écrire, pour dit-il, « me détendre et éviter de distribuer des claques ». Mais « la grande rencontre artistique, philosophique et humaine c'est Barbara. Elle m'a donné confiance en moi, m'a convaincu de chanter. Enfin chanter, je ne suis pas un chanteur, je suis un diseur, comme elle disait aussi d'elle et de Brel. J'ai voulu moi aussi passer ce témoin plus tard à Jean-Louis Murat et Damien Saez. »
A-t-il écouté l'album de reprises de Barbara par Patrick Bruel ? « On peut éviter ce sujet... Disons que je ne l'ai pas entendu. On ne chante pas Barbara avec une voix de déménageur. Et puis Barbara, ce sont des chansons de femme. Quand j'ai repris Vienne, cela pouvait fonctionner pour un homme. Mais il y a tout un mécanisme de jeu d'acteur, connaître Barbara. Et il n'y est pas. » L'entretien devait durer vingt minutes, nous sommes restés plus d'une heure.