Sud-Ouest dimanche
13 mars 2016

CHANSON. L'alchimiste unique du paysage francophone revient avec Stylus, treizième album avec piano et quatuor à cordes,
qu'il balade une dernière fois sur les routes. Avant son concert bordelais, M.William cause sans fioritures.

Sheller, le style et du piquant
(par Yannick Delneste)


A bientôt 70 ans, William Sheller, le plus anglo-saxon des auteurs-compositeurs français, ne s'embarrasse plus de langue de bois promotionnelle. Son album, Stylus, renoue avec l'intimisme élégant qui a fait son succès. Mais il n'envoie pas dire ses lassitudes.

- Sud Ouest Dimanche : « Comment avez-vous vécu la Victoire d'Honneur reçue il y a un mois ? »
- William Sheller : « C'est gentil. Je préférais les trophées de l'an dernier. Là, c'est un peu Ikéa en cristal. Touché par cet hommage de tout le métier, même de ceux qui me croyaient mort. Jadis, mon attachée de presse m'avait demandé un texte d'annonce. Paraphrasant Cocteau, j'avais écrit : "William Sheller est mort et il revient pour vous faire peur". Elle n'en a pas voulu... »

- « Vos débuts auraient pu vous amener à une Victoire de la musique classique, non ? »
- J'étais parti pour faire du Boulez. A l'époque, la moindre note consonante ou mélodique était une horreur. J'avais envie de musique qui s'écoute dans la rue, qui vive. Et les Beatles sont arrivés : une musique intelligente, bien foutue. Ils intégraient des instruments du monde entier. Je me suis dit : "La mixité, c'est l'avenir. La musique dite contemporaine va bientôt être l'apanage d'un petit cénacle de petits vieux jouant entre eux". »

- « Et la chanson ? »
- « Je suis arrivé en France à l'âge de 7 ans. Ma grand-mère écoutait Piaf, Fréhel, Trenet... et la grosse radio en bois avec un œil vert. Avec le premier tourne-disque de la maison –un Radiola– le marchand avait offert un concerto de Tchaïkovski, et j'étais doublement fasciné. J'étais soliste dans les fêtes de l'école, mais je ne pensais pas du tout être chanteur. C'est Barbara qui m'a poussé. »

- « Comment ? »
- « Elle m'écoutait en se poudrant le nez. Soudainement, elle a claqué son poudrier, et, dans une injonction dont elle avait le secret, m'a lancé : "Tu devrais chanter". Je lui ai répondu : "Mais, ma chérie, je n'ai pas de voix", et elle a répliqué : "Moi non plus. On s'en fout !" Elle se considérait comme une diseuse et pensait que j'étais moi aussi un diseur. »

- « Vous avez réalisé l'album La Louve avec elle... »
- « Ah ! le chameau, qu'est-ce qu'elle m'a fait bosser. Elle me réveillait à 3 heures du matin pour me demander : "Et cet accord-là, comment tu le trouves ?" Elle restait penchée sur son clavier avec un obstination de souris, à chercher un accord qui ne dise ni oui ni non, qui laisse dans le doûte. C'était un bonheur. Même si je ramassais les crottes du chien sous le piano. J'ai gardé le contact avec elle par fax, jusqu'à sa mort. »

- « Comment est né Stylus ? »
- « Je mets quatre ans d'habitude. Là, ça a été sept. Alors tout le monde s'émeut –Hou là là ! Comme si j'avais écrit une note tous les deux mois–, pff! J'ai fait beaucoup de concerts, tous les machins que la production voulait, jusqu'à l'incident cardiaque. Je leur ai dit : "Foutez-moi la paix !" Puis on s'est remis au boulot. »

- « Vous semblez vouloir tout maîtriser... »
- « Je crée la musique, les textes, les arrangements, je dirige les musiciens, je conçois la mise en scène : c'est du boulot ! Je suis perfectionniste, surtout sur le texte : il faut que cela colle d'une façon parfaite. Je ne supporte pas les pattes en trop. Le texte d'une chanson doit avoir la simplicité de la parole. »

- « Une direction particulière ? »  
- « Pas du tout : j'ai prié pour arriver jusqu'au bout, sans blague ! J'ai écrit les textes dans l'hôtel où ont été tournées Les Vacances de Monsieur Hulot, de Tati. Cela a donné un ton, une ambiance, et m'a sorti de ma campagne d'Orléans. »
 
- « Pourquoi intituler une chanson Youpilong ? »
- « J'ai donné ce nom au fichier sur l'ordinateur et je n'en ai pas trouvé d'autre. Le mot est aussi surréaliste que la chanson, non ? On ne va pas s'enquiquiner non plus... »

- « Les enfants du week-end ? »
- « Du vécu. Je ne la chanterai donc jamais sur scène. Et c'est du vécu pour tellement de gens... »

- « Pourquoi, sur scène, tant parler entre les chansons ? »
- « Le besoin de bavasser. Un critique avait écrit qu'il craignait la "higelinite". Je ne pense pas bavarder autant qu'Higelin, devant qui on attend le prochain morceau en regardant sa montre. Expliquer l'origine des chansons est utile. »

- « Le quatuor à cordes est-il la formule que vous préférez ? »
- « Je fais une sorte d'adieu à la formule quatuor à corde et piano, parce que j'en ai ras-le-bol. C'est casse-bonbons à la fin. On va inventer une nouvelle configuration. J'ai envie d'orchestrations. »

* Bordeaux, mercredi 23 mars, 20 h 30 au Fémina. 30-50 E.
* Albums Stylus (Mercury-Universal). 14 E environ.
* Intégrale Préférences : 20 CD, 198 titres (albums studio, 2 oeuvres classiques, 9 concerts), 70 E environ.

SES CHANSONS CLES :
* Ces gens-là (Jacques Brel). « L'exemple parfait du parlé-chanté. J'avais 16 ans quand j'ai découvert cette chanson inchantable par qui que soit d'autre. »  
* De l'autre côté de la rue (Edith Piaf). « Ma grand-mère l'écoutait en boucle. »
* Si j'étais un homme (Diane Tell). « Texte magnifique, d'une telle poésie... Diane Tell est une femme intelligente. Cette chanson me fait couler les larmes. »
* Yesterday (The Beatles). « Un des rares morceaux que j'ai appris à jouer à la guitare. »
* A well respected man (The Kinks). « Le début du mouvement rock avec cette chanson emblématique et son texte typique du regard des jeunes face à la société. »