Les Inrockuptibles N°1038
21 octobre 2015

William Sheller,chanteur stylé
(par Christophe Conte)


EDITO :
En 2015, William Sheller célèbre les 40 ans de son premier album officiel et ajoute le stylé Stylus à sa longue discographie. Venu à la chanson par accident, parce que son amie Barbara lui susurra "Tu devrais chanter", ce funambule haut perché au-dessus des genres (pop, classique, épique ou variété) demeure l'un des artisans les plus déroutants du paysage français. Qu'il se produise seul au piano ou entouré d'orchestres échevelés, qu'il apprivoise des machines absurdes ou le vocabulaire des Beatles, sa marque personnelle reste indentifiable et continue d'inspirer un grand nombre de disciples. Celui qui accrocha le wagon de la nouvelle chanson française des années 70 est aujourd'hui un vieil oncle sans cesse visité, dont le répertoire contient des chefs-d'oeuvre, parfois cachés derrière les rengaines, à la modernité époustouflante. Nous avons voulu aller à sa rencontre, et sa sincérité sans langue de bois nous a rassurés quant à la vivacité d'esprit de ce personnage à l'écart du troupeau. Shelle le solitaire n'est pas près de se taire, et dans l'apathie ambiante c'est vraiment salutaire.

 

ENTRETIEN :

« Je vis en dehors de mon époque »


Avec Stylus, son premier album depuis sept ans, William Sheller renoue avec l'épure d'une formule piano/voix-cordes qui lui sied à merveille. Mais cet ermite un peu ronchon se voit déjà ailleurs/ Rencontre un homme pas toujours heureux.

- Christophe Conte :  « Il y a une vingtaine d'années, vous disiez : "Aborder tous les styles, c'est en avoir un." C'est encore une idée qui prime dans Stylus ? »

- William Sheller : « Oui. En tout cas, je crois que je n'ai jamais fait seulement du rock ou seulement de la chanson, que du classique ou que de la pop, je réalise juste les fantasmes qui me traversent la tête. Le plus compliqué ensuite, c'est de coller une histoire sur ces fantasmes de musique qui naissent naturellement. Je mets généralement des titres complètement farfelus sur les fichiers qu correspondent aux futures chansons, lorsqu'elles sont instrumentales, et parfois ce sont ces titres qui restent comme Youpylong sur cet album. Un mot qui ne veut rien dire mais qui a quand même inspiré un texte. Ma façon d'écrire reste liée au surréalisme et aux sixties, à l'époque où le sens n'était pas la priorité.»

- « Vous avez mis sept ans à écrire huit chansons et deux instrumentux pour le nouvel album. Pourquoi est-ce si long d'écrire ? »
- « C'est une question d'envie, et souvent je n'ai pas envie, c'est aussi simple que ça. Je n'ai surtout pas envie qu'on me force la main. J'ai fait énormément de concerts ces dernières années, beaucoup trop sans doute. On est en tournée avec une troupe, on visite, on bouge sans arrêt, et puis à un moment le type qui produit les concerts vous dit qu'il va falloir faire un nouveau disque pour ajouter de nouvelles chansons et programmer à nouveau des concerts... Ce n'est pas comme ça  que ça marche : Moi, j'ai envie de réfléchir un peu à ce que je veux montrer. Je ne suis pas là pour pondre des œufs et alimenter l'omelette. En tournée je n'écris pas, ce n'est pas le lieu pour ça. Alors oui, ça prend du temps. J'ai déménagé, j'ai été tellement fatigué par les concerts que j'ai fini par tomber malade. J'ai fait un œdème des poumons, j'ai eu des problèmes cardiaques. Alors quand les gens me demandaient où j'en étais de mon album, j'avais envie de prendre un revolver et de tirer dans le tas. »

- « La formule piano/voix/quatuor à cordes que l'on retrouve sur ce nouvel album, vous l'avez inaugurée il y a vingt ans, ce n'est pas un exercice nouveau pour vous. »
- « Effectivement, j'ai fini par sacrifier à la demande qu'on me faisait de réaliser un répertoire nouveau pour la scène, alors qu'entre nous, j'en ai marre des concerts avec un quatuor. Je m'emmerde sur scène dans cette formule, j'aurais préféré m'arrêter un long moment et passer à quelque chose de radicalement différent. J'ai des choses en stock mais là c'était pas le moment. »

- « La langue de bois promotionnelle, c'set pas votre truc, on dirait... »
 - « A mon âge, j'ai le privilège de pouvoir dire ce que je veux, que ça plaise ou non. On m'emmerde parce que j'ai pas fait de disque depuis sept ans, et alors ? Barbara est restée dix ans sans faire de disque. »

- « Ce Sheller "classique", c'est aussi ce que les gens préfèrent de vous. Des albums comme Albion ou Les Machines absurdes ont pu dérouter par le passé... »
 - « Je compose la musique qui m'obsède et que j'ai envie de faire. Mon album préféré, c'est Ailleurs. Il y avait un peu de tout : du Haendel, de la musique indienne, du rock, et peu m'importe si ça déroute le public. De toute manière, il n'y a généralement qu'un titre qui passe à la radio et que les gens retiennent, alors autant se faire plaisir et faire plaisir aux quelques-uns qui achètent les albums et qui les écoutent vraiment. En quarante ans de carrière, quel est le nombre de mes chansons que les gens ont dans la tête ? Vingt, Vingt-deux maximum ?. Autant réinstaller les 45t. »

- « Vous souffrez encore de ne pas être assez pris au sérieux ? »
- « Ça a beaucoup changé avec le temps. Aujourd'hui, on me prend même parfois trop au sérieux. C'est pour ça que je désamorce souvent les choses en concert en faisant des blagues. A mes débuts, à cause de Rock'n'dollars, je suis passé pour un chanteur rigolo, ce qui est quand même un peu désolant lorsqu'on a passé comme moi huit ans à étudier la fugue, le contrepoint ou l'orchestration. Maintenant, c'est l'inverse, on me prend parfois pour plus cérébral que je ne le suis vraiment. »

- « Sur l'échelle de Gainsbourg à Guy Béart, entre chanson comme art mineur ou majeur, où vous situez vous ? »
- « Tout dépend de la chanson ! Guy Béart a fait des chansons chiantes ! Majeur ou mineur, ça ne veut rien dire, c'est un truc pour faire des esclandres à la télé, ça ne repose sur rien. Quand on vient comme moi du classique, on peut se dire que la chansons est forcément une chose mineure. J'ai écrit des concertos qui ont été joués mais leur impact ne sera jamais le même que celui d'une chanson de trois minutes que les gens fredonnent sous la douche. »

- « Qu'est-ce qui vous a détourné du classique ? »

- « La découverte des Beatles a forcément tout changé pour ma génération. Un monde nouveau se présentait à nous, et à l'époque on n'aurait jamais imaginé copier la musique des dix à vingt années précédentes comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui. A part l'apport de la musique électronique, ça fait longtemps qu'on stagne, non ? J'aime bien les Arctic Monkeys parce que c'est frais, mais je ne trouve pas ça très nouveau. J'aime leur son de guitare, clair avec des mélodies, mais c'est parce que ça ma rappelle mes jeunes années. »

- « On a souvent comparé vos chansons à la ligne claire en BD. Vous vous reconnaissez dans cette image ? »
- « C'est aussi à cause de mon côté Tintin sans doute [rires]. C'est vrai que j'aime ce qui est clair, compréhensible, direct mais avec des subtilités. J’aime quand on ne voit pas la complexité, même s'il y en a une. ».

- « Certains trouvent vos textes incompréhensibles... »
- «  Ils n'ont qu’à se cultiver, je ne peux rien faire pour eux. Ils n'ont sans doute pas lu Eluard, Apollinaire et les surréalistes. Si on va par là, ça ne veut rien dire non plus. J'aime le récit fou, ou alors la description des mondes extérieurs qui ne correspondent pas aux critères de notre monde. Et puis quoi ? J'écris ce que je veux et je les emmerde ! En majuscule ! »

- « Ce qui se passe dans la société n'a presque pas de prise sur vos chansons. Vous souhaitais rester intemporel ? »
- « C'est vrai que ce qui se passe au-dehors m'intéresse assez peu quand j'écris. J'ai connu une époque assez utopique, après la guerre, avec des grands espoirs, de grandes illusions peut-être, mais qui nourrissaient l'art de l'époque. On a commencé à déchanter durant la période psychédélique, quand ce nouveau monde que l'on pensait inventer a finalement été récupéré par le mercantilisme. Ce qui s'est amorcé avec les punks n'a pas marché non plus. Après ça, on n'a pas retrouvé des choses qui peuvent inspirer vraiment l'écriture, même si certains y parviennent. Moi, je reste un peu à l'écart et ça me va bien. »

- « La nouvelle chanson française, celle des Chédid, Souchon, Jonasz, dont vous avez fait partie, s'inspirait du réel... »
- « Oui mais c'est surtout dans la musique que ça faisait une différence avec les générations précédentes, avec la découverte des Anglo-Saxons qui a changé notre façon de composer. Sinon, on serait restés à chanter comme Patachou [rires]. J'exagère à peine. Moi, quand j'entendais Les Beatles, les Who, les Kinks, je n'avais pas envie de devenir Brassens ! »

- « Que pensez-vous de la chanson actuelle ? »  
- « Il y a une forme de ronron qui prime, avec des textes où il ne se passe rien, mais il y a des choses intéressantes aussi. Un mec comme Stromae, par exemple, je le trouve époustouflant. Non seulement sa musique mais aussi ses textes, la façon dont ils sont articulés avec la musique. Pour moi, c'est vraiment le dessus du panier. »

- « Et ceux qui se réclament directement de vous ? Jeanne Cherhal, Alex Beaupain, Vincent Delerm ? »
- « Je crois que le fait d'avoir sorti un album où j'étais seul au piano [Sheller en solitaire, NDLR] a beaucoup aidé certains d'entre eux à oser arriver sur scène de cette façon. Pour moi, ça n'a pas été aussi simple. Mon label trouvait cette idée catastrophique, on pensait que ça ne marcherais jamais, que la chanson Un homme heureux était d'une tristesse à se pendre et qu'on n'en vendrait pas. On a vu la suite... Du coup, pour ces jeunes artistes, les maisons de disques ont dû se dire : "Si ça a marché pour Sheller, pourquoi pas pour eux ?" ».

- « Vous vous êtes retrouvé seul au piano à cause d'un heureux hasard, c'est ça ?"
- « On mélange parfois les histoires. C'est dix ans avant Sheller en solitaire que mes musiciens se sont retrouvés bloqués à la frontière belge et que j'ai dû assurer un récital seul au piano. J'étais en direct à la télé sur la RTBF, je ne pouvais pas reculer, et là je me suis rendu compte qu'il se passait des choses complètement différentes. Lorsqu'on joue avec un groupe, on n'entend pas la salle, alors qu'en solo on perçoit de beaux silences, de belles choses qui viennent se mélanger à la musique. C'est toujours grâce à un prducteur belge un peu fou que j'ai commencé à me produire seul au piano. J'ai fait vingt-huit concerts d'affilée en Belgique et ça m'a vraiment intéressé. En France, ma maison de disque était moins chaude à cette idée. Ils me disaient en faisant la moue : "Si c'est pour aller sur les routes avec un sac à dos qui vous intéresse, allez-y..."  C'est quand le sac à dos s'set doublé de vison qu'ils ont commencé  à rappliquer...Là, j'ai refusé de les recevoir. »

- « En même temps, votre carrière est une suite d'accidents. Vous avez commencé à chanter par hasard, parce que Barbara vous l'a suggéré. »
- « Le fait que Barbara m'ait presque ordonné ça, alors que je réalisais les orchestrations d'un de ses albums [La Louve, NDLR], c'était une caution. Je n'avais pas envie de chanter, j'avais fait une tentative dans les années 60, un truc complètement râté. J'ai quand même eu la chance d'avoir un tube par procuration avec la chanson que j'avais écrite pour les irrésistibles, My Year is a day. Ca m'a permis de montrer que je pouvais faire ce genre de chose, malgré ma formation classique. L’argent que j'ai gagné avec ce morceau, je l'ai intégralement réinvesti dans Lux æterna, cette messe de mariage psychédélique que j'ai écrite pour des amis et qui pour le coup n'a rien rapporté. Le fait de quitter le classique pour la pop était une forme de risque, et j'ai mis plus longtemps que d'autres à trouver ma voie –précisément parce que je venais de ce monde musical très exigeant. Avec Françoise Hardy, on se faisait la même réflexion : on a le même âge mais elle a commencé en 1962, alors que mon premier album date de 1975 ! » 

- « Vous avez été hippie dans les années 60 ? »
 - « Oui, ça correspondait à une forme de dégoût pour ce qu'avait été la vie de nos parents, avec leurs histoires de guerres, de souffrances permanentes. Nous, on avait envie de vrivre, avec un V majuscule. Je n'étais pas non plus du genre à m'installer dans une cabane. Moi, j'ai besoin de me laver tous les jours dans une baignoire [rires]. Mais c'est à travers l'art que ça se passait, et une certaine forme de philosophie. »

- « Vous avez fait des fresques musicales très épiques, comme Ailleurs ou Univers, alors qu'aujourd'hui vous êtes plus volontiers dans l'épure. Qu'est-ce qui vous portait vers ça à l'époque ? » 
- « L'envie de Cinémascope, de m'éloigner de cette taille d'écran riquiqui de la chanson. Certains ont dit que j'étais grandiloquent, mais c'est surtout que les gens ne connaissent rien à la musique. Dés qu'il y a une fusée de cordes qui monte, ça fait peur, ça va pas plaire à la concierge. Aujourd'hui, ce qui m'exciterait vraiment, c'est d'écrire des musiques pour les séries de HBO, mais bon, il y  a peu de chance que ça se produise. »

- « Quel regard portez-vous sur la société actuelle ? Vous êtes désabusé ? »
- « Oui, certainement. J'ai l'impression que c'est l'indvidu qui prime sur le reste et que chacun essaie de vendre sa petite flatterie égoïste aux autres, qui eux-mêmes font la même chose. Je voudrais foutre le camp, partir au Brésil,  trouver un jardin, une petite maison et ne plus me soucier de mes contemporains. »

- « Est-ce-que vous êtes misanthrope ? »
- « Oui. Plus le temps passe et moins j'ai confiance en l'être humain. Pour moi, c'est vraiment la plus sale bête au monde. Je suis misanthrope parce que mes élans de générosité ne servent à rien. Je vis complètement en dehors de mon époque et ça me convient. »

* Album Stylus (Mercury-Universal).

 

10 AIRS DE SHELLER
Les perles cachées de la discographie shellerienne.

Lands of shadow
(Pour les Irrésistibles, 1968)
Alors débutant, William Sheller profite de sa binationalité (son père est américain) pour mettre ses talents de songwriter au service d'un jeune groupe composé d'enfants d'expatriés américains en France. Après le carton du remarquable My Year is a day, Sheller leur compose la même année cette suite magistrale quiprouve encore une fois son sens aigu de la mélodie pop, inspiré par les Beatles et Procol-Harum. Avec enluminures baroques et harmonies automnales. Un chef-d'œuvre.

Lux aeterna- Introït
(Lux aeterna, 1972) 
C'est en composant la musique du nanar Erotissimo de Gérard Pirès, que Sheller fait la connaissance d'un couple en instance de mariage. Pour l'occasion, il leur compose cette messe psychédélique qui sortira fianelement en disque en 1972, dans l'indifférence générale. C'est lorsque ce titre est samplé en 2000 par Dan The Automator pour son projet Deltron 3030 que l'on redécouvre un Sheller méconnu, véritable démiurge futuriste dans la veine de David Axelrod.

Genève
(Dans Un vieux rock'n'roll, 1976)
C'est Barbara, pour qui il avait arrangé et orchestré un album entier (La Louve) qui poussa Sheller a écrire pour lui-même. Le succès immédiat de Rock'n'dollars colla une fausse étiquette de chanteur rigolo à ce mélancolique chronique, qui corrige ici sa trajectoire avec cette ballade au cœur et au ciel lourds, dans la lignée des chansons climatiques et géographiques de la Longue Dame Brune.

Les Petites filles modèles
(Face B, 1978)
Quelle drôle d'idée d'avoir collé cette petite merveille distinguée au dos d'un single (J'me gênerai pas pour dire que j'taime encore), même si, depuis, la chanson a souvent refait surface en live. Ecrit pour une revue qui devait voir le jour en  1978, ce thème obsédant en ostinato bénéficie d'une opulente orchestration symphonique dont les variations mélodiques auraient de quoi nourrir un album entier d'un chanteur ordinaire.

Basket Ball
(Univers, 1987)
Si la production souffre un peu des stigmates de l'époque, le piano à la McCartney et l'orchestre aérien étant plombé par les autres instruments, ce morceau évoque avec beaucoup de délicatesse la pression sociale et familiale d'un jeune rêveur pris dans l'étau de la bourgeoisie et ses conventions. Le basket et le rock'n'roll comme échappatoire à la sinistrose domestique. Un programme que n'aurait pas renié Ray Davies.

Le témoin magnifique
(Ailleurs, 1989)
Long morceau d'ouverture du bel très album Ailleurs, il s'agit sans doute d'une des pièces les plus majestueuses de toute la discographie de Sheller. La première partie balaie ses influences classiques, de Beethoven à Stravinski, tandis que la seconde décolle en une espèce de fugue montée sur coussins d'air, où même les guitares sonnent comme des clavecins. Une chanson composée dans un parc, d'où l'impression de grand air qui en émane.

Moondown
(Les Machines Absurdes, 2000) 
Sheller attaqua le nouveau millénaire avec un album très ambitueux, où s'entrechoquaient tant d'influences (classiques, traditionnelles, prog-rock) que l'ensemble finissait par donner le mal de mer. Malgré ses passages celtiques un peu limites, ce titre reste néanmoins une source d'envoûtement (il en existe des versions plus sobres en public). Conteur infatigable des légendes surranées, oncle William nous fit presque aimer ici cette autre histoire de "fille de l'aurore" transposée au crépuscule.

Clandestine
(Epures, 2004)
Les filles que chante Sheller ne sont pas toujours de belles évaporées romantiques. Cette "clandestine" est une petite garce dont l'auteur aime pourtant les manières lunatiques.Le trouble érotique, l'impuissance à résister, tout y passe comme dans un songe grâce au piano qui file à belle allure. Un des nombreux sommets de cet album où, en corps à corps avec son instrument fétiche, Sheller est au plus pur de son art.

Tout ira bien
(Avatars, 2008)
Déguisé en Milou espiègle sur cet album où il laissait libre cours à sa fantaisie, le Tintin de la pop frenchy multiplie les références aux Beatles, avec le mellotron de la Longue échelle ou la basse Höfner de ce single plus-McCartney-tu-meurs qui aurait mérité de faire un hit.

Comme je m'ennuie de toi
(Rock'n'dollars en 1975 et Stylus en 2015)
Une grande chanson du premier album, éclipsée à l'époque par les histoires de hamburger et de ketchup, à laqulle Sheller redonne une chance sur Stylus, dans une version où les voix en mille-feuilles frisent le nirvana

 

FOUS DE LUI
(propos recueillis par Christophe Conte et Johanna Seban)
Cinq fleurons de la chansons française d'aujourd'hui racontent leur Sheller.

1) Jeanne Cherhal
« Des chansons comme des boules »
« William Sheller a un sens mélodique extraordinaire et une façon d'écrire très reconnaissable, très fine et très touchante. Il y a des constantes dans sa poésie : le vouvoiement, les rimes en "ou", les mots courants et presque triviaux comme "tartine"... et un sens de l'accroche pop imparable ! Me viennent immédiatement en tête Dans un vieux rock'n'roll, Oh ! J'cours tout seul, Symphoman, Loulou, Félix et moi, un nombre impressionnant de chansons hyper fluides qui restent tout de suite en tête, des chansons qui ressemblent à des boules, très pleines, se suffisant à elles-mêmes, ludiques et bondissantes ou sereines et fines observatrices, toujours poétiques. Je suis touchée quand il parle de la faiblesse humaine, des gens borderline ou un peu à l'écart, comme dans Nicolas ou Les Filles de l'aurore. La chanson qui me plaît au-delà des autres, serait peut-être Maman est folle, pour toutes ces raisons-là. J'ai appris le piano à 13 ans, en autodidacte, en reprenant tant bien que mal à l'oreille l'ensemble de son album live, Sheller en solitaire, et cet apprentissage m'a, je pense, marquée à vie ! Je l'ai vu récemment en concert au piano, accompagné d'un quatuor, c'était un vrai moment de grâce. »

2) JP Nataf
« Fredonner pendant des semaines »
« Ce qui, pour moi, distingue Sheller des autres chanteurs français, c'est qu'il est entré dans ma discothèque à une époque om je n'écoutais pas du tout de chansons française. Je me suis laissé très vite avoir par ces tubes, que je me surprenais à fredonner pendant des semaines sans en avoir honte. Je le trouvais moins désagréable que Polnareff, moins barré que Christophe. Il y a chez lui une forme de modestie et d'élégance qui me rappelle Randy Newman. J'entends dans sa musique l'influence de Brill Building et même de que j'aime le plus dans la Motown, tout ça en restant français. J'ai acheté l'album Simplement en 1984, quelques jours après avoir acheté le premier Smiths, et pour moi il n'y avait pas de distorsion dans tout ça. Je suis resté fidèle pendant des années, après j'ai trouvé que ça commençait à devenir un peu boursouflé et j'ai un peu décroché. De même, j'ai été content pour lui du succès de son album piano-solo, même si ça me plaisait moins que les versions pop dont je ne me suis jamais lassé. »

3) Florent Marchet
« Dans la forêt un jour de bruine »

« Sheller n'a jamais cherché à appartenir à une chapelle, à une caste. Son parcours éclectique est très inspirant et je m'y suis souvent retrouvé. J'aime sa façon de se rêver en Stravinski, en Fauré ou Poulenc sans pour autant fermer les oreilles sur le rock, le punk ou l'électro. Je me suis souvent étonné que le cinéma ne le sollicite pas davantage. Sheller est un compositeur de musiques de films qui a décidé de le faire en chanson le jour où il a entendu les Beatles et j'aime cette idée. Les chanteurs le deviennent par accident. Ceux qui sont autant musiciens qu'arrangeurs ou auteurs. Sheller en fait partie. Je l'ai découvert à 8 ans. Pendant des années, il ne m'a pas quité surtout pendant mes études classiques de piano. Lux aeterna, Ailleurs, le live à l'Olympia de 1984, Univers, autant d'albums qui m'ont convaincu qu'en empruntant la voie du songwriting je ne tirerais pas un trai sur mes envies orchestrales et instrumentales. Mais il a surtout été un véritable partenaire de mélancolie. Pour ça, je conseille de marcher dans la forêt un jour de bruine et d'automne et d'écouter La tête brûlée, Nicolas ou Basket Ball et vous comprendrez. »

4) Mehdi Zannad (Ex-Fugu)
« Discrétion et flamboyance »
« William Sheller, c'est un peu le petit frère de Polnareff. Il cultive aussi bien la discrétion que le flamboyant. Ma chanson préférée ? My year is a Day, pour les Irrésistibles, en 1968. Tout y est somptueux : l'interprétation de Jim McMains, les arrangements, les choeurs, portés par une composition impeccable. Ce tube pop avéré, écrit par un Français, est une référence constante pour moi. J'aurais rêvé qu'il fasse un album de pop baroque, coincé entre cette chanson et Lux æterna, même si Les Quatre saisons, en collaboration avec Gérard Manset, laisse penser qu'on tenait notre Michael Brown national [compositeur de The left banke, NDLR].