La Libre Belgique
16 décembre 2011
- piano-solo au Forum de Liège le 14-12-2011-

Sheller de ne pas y toucher
(par Sophie Lebrun)

 

Après Louvain-la-Neuve et avant Woluwe-Saint-Pierre, William Sheller était au Forum de Liège en « piano solo » mercredi.

« Je vous avoue que j’ai un peu hésité ce matin. Dois-je faire ce concert ou pas ? » Ainsi William Sheller s’adresse-t-il, mercredi, au public du Forum à Liège, ville meurtrie par un tireur fou. Mais après tout, « ce n’est pas parce qu’il y a des fous quelque part qu’on va s’empêcher de vivre », et ce fin tisseur de mots et de notes, seul avec son piano, sans décor mais des histoires plein les poches, promet deux heures de douce évasion. Sa voix semble un peu enrouée, là, mais pas d’inquiétude : « Au fur et à mesure ça va s’arranger ».

Au premier titre, Oh ! J’cours tout seul, on est rassuré : le chant est intact. En deux temps trois chansons, William Hand alias Sheller prouve, à ceux qui l’ignoreraient, qu’il est aussi et d’abord un fabuleux pianiste et compositeur. Là, il ajoute une corde à son arc : conteur. Avec sa voix douce certes plus encline aux confidences qu’aux vocalises, Sheller est un « diseur »,  lui dit un jour Barbara, en l’encourageant à chanter. Diseur : ce soir, le mot sied comme un gant à cet artiste au long cours - 65 ans, 40 ans de carrière, une douzaine d’albums de chansons, plusieurs lives et de nombreuses compositions pour le classique et le cinéma. Il prend le temps d’introduire chaque chanson, contant autant de souvenirs d’enfance, de voyage, du quotidien, qui lui ont inspiré ces chansons aujourd’hui imprimées dans la mémoire collective. Ce soir, Sheller parle autant qu’il chante, mais tout se tient, et cela tisse une belle complicité avec le public du Forum. Une salle qu’il connaît bien : « Je suis venu ici avec orchestre, tout seul, avec un quatuor à cordes »  énumère-t-il, saluant au passage d’anciens compères musiciens, présents ce soir. Eux le savent bien : difficile de se concentrer quand un spectateur vous photographie sans répit. « Avec ce point rouge qui clignote en permanence, je n’ai pas l’impression de chanter devant un public, mais devant un sapin de Noël » indique-t-il à l’intéressé.

Les lumières clignotantes, tiens, pourraient être celles d’un motel, dont le chanteur plante le décor tristounet, avant de glisser vers la chanson Mon hôtel et faire courir ses doigts en un léger grondement, menaçant comme un ciel de plomb. Comment ne pas songer désormais, en écoutant Nicolas, à Yvonne, la voisine bretonne du 6e et son odeur de poireaux qui impressionnaient tant le petit William ? Ah, et on l’imagine si bien dans sa sieste divine, sous un arbre, subitement interrompue par un gamin sautillant et répétant à l’envi Maman est folle, phrase qui deviendra titre d’une chanson. Sheller, nature - il rit quand sa mémoire lui fait défaut -, emmène les spectateurs dans ses histoires de bord de mer, de regards croisés dans la rue, de routes qui se fondent dans la nuit. De chansons qui arrivent « comme un moustique » dans votre sommeil (Les Filles de l’aurore), et d’autres patiemment écrites pour recoller les morceaux (Chanson lente).

Il balade ainsi le public dans son répertoire, jusqu’au Vieux rock’n’roll (1976), en passant par Vienne de Barbara, et finit « Petit comme un caillou ». A Liège, son concert est comme sa Chanson d’automne : « Comme un gilet qu’on boutonne/Pour se réchauffer la vie ».