Profond comme le noir de son piano, généreux comme la vibration d’une corde dans les graves, William Sheller a offert hier un très beau moment à Poirel, plein comme un œuf. Et pourtant, on se serait presque cru dans son salon. « Je sais que certains sont un peu irrités par les commentaires entre les chansons » a-t-il prévenu. Il ne s’en est pas privé : ce sont eux qui rapprochent l’artiste seul sous le halo du projecteur derrière son grand piano noir, des spectateurs, eux aussi envahis par moments par le sentiment d’être seuls, en tête à tête avec l’artiste.
A 65 ans, l’ex-Tintin du rock, si mal nommé, a offert un vrai récital. Un remake parfait, intact, 20 ans après la sortie de son album-culte Sheller en solitaire. La tournée était alors passée par Poirel, certains s’en souvenaient hier soir quand le chanteur a évoqué ses quatre précédents passages à Nancy : avec son quatuor à cordes, seul, et avec un groupe de vingt musiciens.
Artiste rare, il l’est surtout par la qualité de ses mélodies. Sheller est d’évidence un compositeur, et un pianiste hors pair. L’instrumental en ouverture de la deuxième partie l’attestait, pour ceux qui se seraient jusque-là laissés bercer par la nostalgie de Nicolas, J’cours tout seul, Simplement, des Filles de l’aurore, ou des très poétiques Miroirs dans la boue sans goûter l’intensité et la précision du jeu du pianiste.
Vingt ans plus tard, la voix est également inchangée, chaleureuse plus que chaude. On lui pardonne même le petit dérapage sur l’un des premiers accords de Vienne de Barbara, superbement réinterprétée.