Dans l’écrin du Parc des oiseaux, le « diseur » a offert un magnifique moment de poésie à un public fou de lui.
L’orage de jeudi après-midi a bien essayé de jouer les oiseaux de mauvais augure. Mais non. En début de soirée, Julie, perroquet d’Amérique du Sud, traverse la scène à tire-d’aile pour se poser sur la main de Marie Rigaud, la maîtresse de cérémonie du Printemps de Pérouges. Manière de dire que ce concert au Parc des oiseaux planerait dans les hauteurs. « Moi, je ne vole pas. Je suis trop lourd », s’excuse William Sheller en s’installant entre les pattes d’un gros Steinway. Menteur ! Pendant deux heures, il a survolé son répertoire avec la légèreté du colibri.
Son ample costume noir lui donne des airs de vieux Tintin échappé du « Lotus bleu ». La comparaison sied à cet adepte de la chanson ligne claire. Comme Hergé, Sheller raconte des histoires au charme un peu suranné. « Des souvenirs de vacances, de gamin, des petites choses comme ça… » Le gosse « abandonné » par ses parents chez Yvonne, la Bretonne et son faitout de poireaux malodorants, un séjour au bord du lac de Genève, la chanson zinzin qui vous trotte dans la tête… Nicolas, Simplement, Les filles de l’aurore…
Entre les morceaux, le « diseur », comme disait Barbara, le musicien qui « se force à écrire des textes », explique la génèse de ses chroniques savoureuses. Mieux que les interpréter, il les met en scène avec tact et humour.
Sa plume, sa muse, c’est son piano. « Il suffit d’aller le voir le matin pour savoir ce qu’il vous raconte. Parfois, il fait la gueule et ne sort rien. Des fois, à peine posés les doigts dessus, il vous donne quelque chose. Des trucs si évidents qu’on s’arrête de jouer en se demandant si ça n’appartient pas à quelqu’un d’autre ! ». Joli résumé du talent de M.William. Ce compositeur de génie possède l’art de l’évidence, de la mélodie si simple d’apparence qu’elle semble avoir toujours existée. Je cours tout seul, Fou de vous, Un homme heureux, Un vieux rock’n’roll, pour ne citer que les standards. Sheller nous remet dans l’oreille des airs inscrits dans nos gènes.
Dans l’écrin du Parc des oiseaux, la formule piano solo est sans doute la plus propice à la réminiscence. Même si les moustiques restent un fléau : enduit de répulsif (il a dû essuyer son clavier plusieurs fois), le malheureux s’est battu contre les bestioles une partie de la soirée. D’où le petit manque de concentration et quelques « couacs » sans importance. Avec les canards qui cancanaient et la brume qui montait des eaux, Sheller a offert au millier de spectateurs un magnifique moment de poésie. Standing ovation et le salut d’un homme heureux.