24 Heures
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1er avril 2011
-concert piano-solo au Théâtre de Léman de Genève le 31 mars 2011-

Les billets d’humeur de Sacha
J'ai vu pour vous : William Sheller "Piano solo"
-Concert au Théâtre du Léman, Genève, jeudi 31 mars 2011-

 

Il est des moments de pure magie, où un artiste, un vrai, n'a pas besoin d'artifices pour montrer pleinement son talent et sa personnalité. C'était le cas ce jeudi à Genève, dans ce superbe Théâtre du Léman, où William Sheller nous a gratifié d'un somptueux concert piano-voix. Voici mes impressions.

Dans un Théâtre du Léman archi-comble, à 20 h 30 précises, les lumières s'éteignent progressivement et, silencieux, nous attendons l'arrivée de l'artiste. Il entre sous un tonnerre d'applaudissements, salue son public timidement et humblement, et s'assied à son piano, unique élément de cette scène. Nous ne savons pas encore que le concert de ce soir va être particulièrement émouvant.

Après que les placeuses de la salle aient guidé les derniers retardataires, sous l'œil amusé du chanteur qui ajoute, malicieux : « Ah, on va laisser la dame placer ces gens... Nous avons le temps, on est entre nous », c'est un bel hommage à la ville qui nous accueille pour ouvrir ce concert. « J'étais invité par la Télévision Suisse au milieu des années 70 et je débarque à Genève, que je ne connaissais pas. Comme j'avais la journée avant l'émission, j'en ai profité pour me balader, et je suis allé sur l'Île Rousseau. J'y ai imaginé ce qui pouvait y avoir comme concerts à une certaine époque, et les images me sont venues ». Genève, qui reçoit un accueil très chaleureux, sera spécialement joué en ouverture car juste après, William Sheller dût faire un petit tri dans son listing de titres et décider avec quoi il allait continuer.

Et là il nous invite chez lui en Sologne, dans cette région de France où des arbres aux branches crochues et où dans quelques villages certains marchands viennent vendre tout un tas d'objets, comme les villes sont assez éloignées. C'est ce paysage là qui lui inspira Les miroirs dans la boue, une des perles de sa carrière et de ce concert. Et maintenant c'est au tour d'Yvonne d'être la star ! Yvonne c'était la voisine du sixième étage, une dame très gentille qui lui donnait toujours un petit bonbon et qui lui faisait des énormes tartines de pain de campagne avec de la confiture... mais chez elle il y avait un inconvénient, c'est que ça sentait le poireau du matin au soir, elle en faisait cuire tout le temps. Histoire savoureuse de cette dame, et William Sheller y met énormément d'humour, le public rit souvent. Et l'émotion nous prend avec la sublime chanson Nicolas.

Tiré de son album piano-voix Epures sorti en 2005, il interprète ensuite Mon hôtel inspiré d'un festival dans lequel il était convié et dont la chambre d'hôtel se situait en haut d'une rue ombragée. Même si ce disque est peu connu, il est vrai, n'hésitez pas à le découvrir. Il interprétera d'ailleurs plus loin dans le concert trois autres morceaux de cet opus, Loulou qui pourrait se passer dans une petite bourgade de Bretagne, Chanson d'automne,  titre mélancolique aux harmonies sublimes et Les machines absurdes à l'origine écrite pour un album électro sorti en 2000 mais réarrangé pour le piano.

William Sheller nous fait partager ses souvenirs d'écriture et nous invite dans son monde, nous permettant de mieux ressentir les émotions qui amènent à la création et à l'écriture. Maman est folle, l'évocation d'une journée de farniente sur un transat dans un jardin, dérangée par les bruits d'un enfant sur un chemin avoisinant, est une des chansons les plus populaires de l'artiste. Puis il nous parle de ses grands-parents, qui travaillaient au Théâtre des Champs-Elysées, endroit rêvé pour le petit William qui allait découvrir les opéras, notamment son préféré, Madame Butterfly, qui lui donnera l'idée de la chanson Le capitaine, narration de l'histoire de l'œuvre de Puccini du point de vue justement du capitaine. Seul morceau du dernier album en date Avatars, Félix et moi qui normalement ne se joue pas au piano mais à la guitare, puis avant l'entracte, un petit chef d'œuvre de douceur, Simplement, et un de ses plus gros cartons, Les filles de l'aurore.

La seconde partie démarre avec un morceau instrumental pour lequel l'artiste nous invite à nous faire nos propres images et laisser aller notre imagination. Chamber Music est un petit bijou que personnellement je ne connaissais pas du tout. Puis il nous raconte que quelques fois une mélodie ou une suite de notes vrille dans la tête alors qu'on a besoin de dormir et que le sommeil ne viendra pas tant qu'on n'écrive pas ces quelques mots ou ces quelques notes. C'est ce qui est arrivé avec un autre de ses classiques, Fier et fou de vous. Une petite chanson simple, toute simple, comme il s'amuse à le dire, Mon Dieu que je l'aime, et s'en suivra une chanson de rupture ou plutôt d'espoir de réconciliation, que William Sheller nous présente à sa façon, Chanson lente.

« Vous avez remarqué que quand on est un groupe de plusieurs personnes qui se connaissent, des amis, la famille, un club de foot ou autre, il y en a toujours un qui n'est pas net, qui nous sort des salades sans arrêt. Alors nous on promène cette salade à chaque fois...» Fous rires dans le public car beaucoup de gens le vivent et la chanson qui est ressortie de cette constatation c'est aussi un classique, A franchement parler. Un des moments les plus émouvants de cette soirée restera à coup sûr l'interprétation d'un titre écrit par Barbara mais revisité musicalement par William Sheller, Vienne. Il en profitera pour évoquer la mémoire de cette grande dame de la chanson, qui lui avait dit un jour « Tu devrais chanter ». Ce à quoi il lui avait répondu : « Mais je n'ai pas de voix ! » et elle : « Mais moi non plus on s'en fout ! ». Evocation aussi d'une phrase de Sacha Guitry à propos de la chanteuse Mireille dans les années 30, « Cette femme a la chance de ne pas s'encombrer d'une belle voix ». Le public ne se lasse pas de ces petits apartés.

Un homme heureux, impossible de ne pas l'inclure dans son tour de chant, sera l'ultime morceau de ce très beau concert, avant que ne se referme le livre des souvenirs de William Sheller. Les spectateurs, durant toute la soirée, ont écouté de façon magnifique, toutes les chansons, il y avait comme une sorte de recueillement et d'attention à toute épreuve, qui rejoint ce que je disais en tête d'article, il ne faut aucun artifice sur scène pour que le public soit capté : une personnalité, un instrument, et la magie opère.

Merci Monsieur Sheller, vous êtes un magicien. Vous nous faites partager votre univers en nous parlant à voix basse comme si nous étions dans votre salon et que vous nous ayiez accueilli comme des amis. La chaleureuse ambiance a fait le reste, rendant ce récital parmi les plus beaux moments de scène que j'aie vécu.