Le sexagénaire sort de sa retraite pour un concert piano voix, jeudi, au Théâtre du Léman. Une formule élaborée il y a trente ans déjà. Par accident.
Hier rondes, juchées en devant du nez, donnant l’air d’émerger à l’instant d’un incunable. En parfaite adéquation avec le crâne aussi aride qu’un monastère de Judée. Aujourd’hui ? Les montures se sont épaissies, les joues aussi. Toujours en prise avec le cheveu, ondulant désormais façon jardin privatif quelque part dans une banlieue résidentielle, époque des Trente Glorieuses. Nord-Américain, certainement.
William Sheller, qui en 1991 se posait en ascète de la chanson, simplifiant le débat à un seul piano et une voix, a pris en 2011 une teinte plus replète. Fatigué, Sheller ? A 64 ans et quatre décennies de scène, on lui accorderait volontiers une préretraite. Sous le col amidonné, cependant, un esprit autrement plus vivace veille au grain. Espiègle avec ça.
De Beethoven aux Beatles
Trente ans après qu’un douanier têtu eut bloqué à la frontière les musiciens de son orchestre, obligeant le chanteur à se produire seul en concert, cet auteur « un peu boogie-woogie sur les bords », comme dit la chanson, revient une fois encore dans le plus simple appareil scénique. Rendez-vous au Théâtre du Léman jeudi pour un nouveau set au piano. Entre deux titres, on attend les habituels interludes. Et entre deux interludes, les Symphoman, Basket-ball et autres Oh! J’cours tout seul. William Sheller, peu enclin à la parlote en dehors de la scène, est en revanche un showman loquace.
Etrange personnage que celui qui fuit les médias depuis une surdose de plateaux télé au début de 1970. Etonnant parcours que celui d’un musicien élevé dans les coulisses d’une cave à jazz de l’Ohio. Avant de renier ce qu’un entourage artistique lui avait inculqué de musique classique pour, à l’aube de sa vie d’adulte, embrasser une carrière de rocker. Puis revenir dans le giron de la musique savante. William Sheller, Hand de son vrai nom, figure en quelque sorte l’érudit de la variété française, toujours au jus, qu’il s’agisse de Beethoven, son modèle d’enfance, ou des Beatles. Ou Shelley et Shiller, deux littéraires patronymes contractés en un seul, un unique Sheller.
« Nicolas », le tube intérieur
Lorsqu’en 1980 paraît Nicolas, une ballade tendre amère avec ce qu’il faut d’efficacité mélodique, la tentation est grande de lui coller un beau fanion de « chanteur des familles ». L’histoire d’un petit garçon que l’on met en pension à la campagne… Plus acide qu’il n’y paraissait, en fait. Derrière le refrain joli soutenu par force violons mélancoliques, c’est bien l’enfance du chanteur qui se dévoile.
Pour atteindre le statut d’auteur-compositeur indispensable, William Sheller prendra le temps. Nicolas, c’est son tube intérieur. Mais pas celui des radios, aussi étonnant que cela puisse paraître aujourd’hui. Tournée après tournée, la musique se transforme. Sheller vire cette batterie de supermarché. Pour ne garder au bout du compte que le piano. Née par accident en 1982, la formule fera date. Réduit en acoustique, le répertoire prend de la chair. Et ce qui, dans les années 70, sonnait variétoche devient chanson d’auteur profondément inspirée. Sheller – quelle patience – attendra dix ans avant de livrer son album En solitaire. Un contre-pied total à ses expériences de pop symphoniques. Un disque réputé invendable en 1991. Un succès total, au bout du compte. Avec en prime un titre tout neuf, le plus célèbre sans doute, Un homme heureux.