Le Courrier N°62
16 mars 2010
-concert piano-solo au Château Rouge d'Annemasse, 12 mars 2010-

La très digne élégie du quotidien
(par Benoît Perrier)


GENÈVE - William Sheller, très en voix, figurait vendredi au programme de Voix de fête. Performance mémorable d'un artiste singulier.


On aurait souhaité que le temps s'arrête dans le sillage de Basket ball, l'un des sommets du concert en solo que donnait William Sheller vendredi. A Annemasse, dans le cadre du Festival Voix de fête, cette chanson semblait résumer une performance magnifique. Le musicien français introduisait le titre (« Pour s'épanouir, il faut insister »), avant de le défendre avec une aisance virtuose et une intensité constante. Le reste du récital était à l'avenant, un sans-faute qui a transporté la salle de Château-Rouge.

Très loin des modes

Cette configuration, seul sur scène à son piano, le grand public l'a découverte sur l'album Sheller en solitaire, porté par le titre  Un Homme heureux. Or ce qui était déjà palpable en 1991 se confirmait vendredi : très loin des modes, portées par une écriture singulière et rigoureuse, les chansons de William Sheller ne vieillissent pas. L'homme est friand d'arrangements élaborés, mais ces versions piano-voix « se tiennent » parfaitement, dévoilant une échine à la fois robuste et raffinée, digne et touchante. A la barre d'un Steinway qui paraît hésiter entre une extension de lui-même et une barque de laquelle il mènerait notre rêverie, il donne une vingtaine de titres, d'une force rare, de toute évidence des classiques.
L'exécution n'est pas en reste et, les deux premiers numéros passés, on admire les aptitudes vocales de ce fan des Beatles qui va sur ses soixante-quatre ans. Sur  Basket ball  justement, sa voix s'impose, remplit la salle et fait frissonner quand elle s'affaiblit délibérément. Modulant ses effets, Sheller s'éloigne pourtant de toute volonté de démonstration. Parfois croit-on le surprendre se chanter pour lui-même, parfois passe-t-il des souvenirs, que la distance teinte de nostalgie. On est surpris par l'impact de ses textes à la fois intimes et pudiques, à l'instar, peu avant la fin du concert, du gracile Centre ville.

Triomphe complice

On retiendra encore Simplement et son parlé-chanté, la poésie urbaine sur piano martelé des Filles de l'aurore et, logiquement, Un Homme heureux. « Je ne vais pas partir sans vous la faire », s'amuse son auteur, offrant quelques minutes que la salle emportera longtemps avec elle. On apprécie l'engagement que le chanteur suscite chez le public, l'espace d'écoute qu'il ménage. On parlerait de sincérité si des escrocs n'avaient flétri le terme. Vendredi, William Sheller a reçu un triomphe complice et un respectueux plébiscite. On a admiré l'alliage, plus humble qu'on pourrait le penser, de la maîtrise et de la proximité. La marque d'une certaine classe.