Paru-Vendu N°256
4 au 10 mars 2010

En concert piano-voix au Théâtre des Bouffes du Nord du 16 au 20 mars
William Sheller

Il voyage en solitaire  
(par Dominique Parravano)



Artiste hybride, fils spirituel de Mozart et de John Lennon, William Sheller est un des rares chanteurs français à avoir construit son répertoire sur la base d'une exceptionnelle formation classique. Rencontre avec cet artiste discret à l'ouïe délicate et savante, dont les chansons buissonnières glanées sur les chemins de traverse de la solitude planent au dessus des modes.


- « Vous faites une grande tournée et vous allez vous produire dans quelques jours au Théâtre des Bouffes du Nord avec votre seul piano. Vous aviez besoin de vous retrouver avec votre instrument ? » 
- « J'ai eu envie du piano après deux ans de trop d'orchestre. Je voulais repartir d’une façon intime, plus recueillie. Ça me permet d'aller dans de nombreux petits théâtres qui ne peuvent pas accueillir des plateaux de dix-huit musiciens. Et puis le piano, c'est mon doudou, j’ai besoin d’y revenir. C’est la liberté de jeu. Je me sens moins tributaire des barres de mesures et un piano peut sonner comme un orchestre. On a pu, avec bonheur, réduire des symphonies de Beethoven au piano, mais les tentatives d’orchestrer Chopin n’ont jamais été de grandes réussites. »
 
- «  Pourquoi ce choix du Théâtre des Bouffes du Nord qui ressemble à un vieux théâtre désaffecté ? »
- « J’adore ce lieu. J’y avais vu Jean Guidoni. J’aime ce dépouillement absolu, l'oubli du moindre artifice, l'essence même de l'artiste sur scène. » 
 
- « Parlez-vous davantage avec le public car il y a une vraie proximité avec cette formule piano-voix ? »
- «  Oui, je parle presque entre chaque chanson. Je raconte des anecdotes, des petites histoires. J’aime l’intimité que le piano fait naître avec le public. Ce n’est plus un spectacle qui se projette de la scène vers la salle, c’est un univers qui attire la salle autour de l’instrument, comme pour échanger des confidences. J'aime le contact avec le public. Le piano, c'est le retour à soi et à l'intime. Les gens viennent écouter des histoires musicales. Actuellement, l'industrie musicale est en pleine évolution, alors il y a le choix soit entre l'artillerie lourde, comme les grands Zéniths, les stades, où les choses ont besoin d'être environnées d'effets visuels et où l'artiste est tout petit ; soit les petites formules comme la mienne, beaucoup plus souple.

- « Qu’allez-vous chanter ? »
Je me promène dans mon répertoire, de Nicolas en passant par Un homme heureux ou Le miroir dans la boue. Il n'y a presque pas de chansons du dernier album car elles ne sont pas transposables au piano. »

- «  Pour le coup, vous vous sentez plus compositeur que chanteur ? »
- «  Tout à fait. Je suis compositeur avant tout. Quand je compose, je "sens" des images. D’ailleurs, quand j’écoute de la musique, je dessine des choses abstraites, des ombres portées. Chaque note a une couleur pour beaucoup de musiciens. Ensuite, l’écriture vient coller aux mots, illustrer ces images. C’est un travail d’horlogerie. »

- « Depuis plus de trois décennies, vous échappez aux modes en passant d’un genre musical à un autre. C’est un luxe d’être inclassable ? »
- « J’aime les mélanges des genres. C’est plus enrichissant et exaltant. J’aime les bouillons de culture. L’art est ambigu, instinctif, il n’est pas toujours là où on l’attend, il pose des questions, interpelle. L’artiste devrait cultiver l’ambiguïté tout en gardant des repères pour entraîner l’auditeur ou le spectateur vers des chemins différents de ses habitudes. »
 
«  Il faut choisir si l’on veut être musicien ou faire de la promo, alimenter la presse people ou se concentrer sur sa création. »  

- « D’où vous vient ce goût des arrangements classieux, soignés, ce goût de l’esthétisme ? »
- « C’est peut-être à force de regarder travailler dans les coulisses de l’opéra tous ces compagnons, tous ces hommes de l’art. Mon grand-père m’a légué le goût du travail abouti. La musique, comme le théâtre ou le cinéma, est un art "potentiel" : il leur faut un interprète pour se révéler. Et puis, il faut écouter jusqu’au bout une œuvre musicale pour la juger, attendre la mélodie, une note, celle d’après. Comme au théâtre, une réplique puis une autre. C’est un vrai travail d’artisan. »

- « La mélancolie est-elle votre plus précieuse source de création ? »
- « Peut-être ai-je été traumatisé par le tube Rock’n’roll dollar et son " Donnez-moi madame s’il vous plaît du ketchup pour mon hamburger " ! Cette chanson m’a permis de m’installer dans le paysage artistique, mais on attendait toujours le type qui allait chanter en larges pantalons et qui ferait rigoler. Je ne le regrette pas, mais ça m’a enfermé dans un style dont j’ai voulu sortir. J’ai un penchant mélancolique effectivement. J’aime la mélancolie, mais il ne faut pas la confondre avec la tristesse. C’est un état émotionnel propice à la création, un sentiment entre deux eaux. Il faut rester en delà du bonheur pour se préserver un espace d’espoir, sinon c’est un cul-de-sac. »

- « Mélancolique donc mais pas nostalgique. Pourtant, à entendre les radios, la nostalgie est à la mode… »
- «  Cette nostalgie m’effraie. C’est un manque de projection dans l’avenir. On retient les murs pour ne pas qu’ils tombent ! C’est affligeant ! La jeunesse vit et écoute de la musique qui a été faite, il y a 40 ans ! On recycle, faute de prendre le risque de créer. Je me sens en dehors de cette époque. »

- « À quelle époque auriez-vous aimé vivre ? »
- «  Dans les années 1900-1920 car il y avait une explosion d’art, de folie, … À 17 ans, je lisais Cocteau, Colette, Valéry, je regardais du Buñuel… C’était l’époque où l’on osait, où l’on bâtissait. Également au XIXe siècle, qui, pour moi, correspondait à l’ouverture de l’âme. »

- «  Le surréalisme, est-ce c’est ce qui vous correspond le plus ? »
- « Oui, je m’y sens proche. J’ai un attachement particulier pour Eluard, Cocteau, Prévert ou à l’opposé, Valéry, voire carrément Anna de Noailles. J’aime les mots à double sens, les phrases à double entendement. Et aussi le côté déjanté, fou de Dalí, de Magritte. »

- « Dans votre dernier opus, vous abordez aussi le thème fellinien de l’artiste finissant, de la solitude … L’artiste qui vit dans sa solitude, c’est un peu vous ? »
- « La musique mène à la solitude. La solitude m’est indispensable pour créer. Je venais de lire l'Envers du Music Hall de Colette où elle nous fait glisser derrière le rideau et nous intéresse à la condition des artistes. Entre misère et amour pour l'univers du spectacle, elle dresse de sa plume quelques portraits de ses compagnons de tournée. Et, du coup, j’ai eu l’idée de cette chanson où l’on se demande si l’artiste finissante devra encore demain « … Partir à l’aube dans le fond d’un mauvais train », enfumée dans la solitude de son compartiment, après son spectacle dans un vieux théâtre ou cabaret un peu défraîchi. »

- « De plus, vous avez un côté Pierrot lunaire, l’anti-star, qui vit dans son univers, à la campagne, à l’écart du show-business… »
- «  Il y a deux manières de concevoir le métier d’artiste : le vedettariat ou la création, le paraître, la vanité ou l’être. Il faut choisir si l’on veut être musicien ou faire de la promo, alimenter la presse people ou se concentrer sur sa création. Je me contente de réapparaître de temps en temps dans les médias pour présenter mon travail. Je n’ai pas envie de faire la vedette ! Entre-temps, je vis des aventures musicales qui m’intéressent. La foule, la médiatisation à outrance m’effraient sauf sur scène parce qu’il se passe quelque chose de fort, d’empathique avec le public. »

« Les médailles, les honneurs, les prix ça sclérose ! » 

- « Depuis votre enfance, vous êtes immergé dans des bains culturels multiples… »

- « Mon père était un musicien de jazz américain, ma famille maternelle française travaillait dans le théâtre. À l’âge de trois ans, je suis parti vivre aux États-Unis où j’ai côtoyé, avec mes parents, les plus grands jazzmen. À sept ans, je suis rentré en France et ma grand-mère, ouvreuse au Théâtre des Champs-Élysées, comme mon grand-père décorateur à l’Opéra Garnier, m’ont permis d’assister à des centaines de spectacles, côté scène comme côté coulisses. J’ai été même contrôleur au Théâtre des Champs-Élysées. C’est d’abord la musique classique qui m’a attiré et j’ai été formé par un élève de Gabriel Fauré. Jusqu’au jour où une amie m’a fait découvrir les Beatles et où je suis entré dans un groupe de rock. »

- « Êtes-vous un homme heureux ? »
- « J’ai fait le métier dont je rêvais, sans regret, et j’ai toujours envie d’avancer. Il faut savoir se remettre en question. Lorsque j’ai obtenu la Victoire de la Musique, j’ai eu l’impression qu’on me mettait au placard. Les médailles, les honneurs, ça sclérose ! Je veux juste toucher les gens et je continue à tracer ma route. »
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SES ACTUALITES :

EN CONCERT au Théâtre des Bouffes du Nord
209 Rue du Faubourg Saint-Denis, Paris 10e.
Quand ? Du 16 au 20 mars.

EN CONCERT dans le cadre du festival des Hauts de Seine
Le 2 avril à 21h00 au Théâtre Rutebeuf, 16-18 allées Léon Gambetta, 92310 Clichy.