Le Soir magazine
31 décembre 2008

Musique
Son dernier Avatar
(par Francesca Caseri)



Qui dira qui est vraiment William Sheller ? A 62 ans, il continue à courir tout seul et, surtout, à se sentir toujours tout seul.


- « Dans la chanson titre de l’album, c’est aux avatars qu’autorisent les mondes virtuels que vous faites référence, bien plus qu’au sens métaphysique du terme… »
- « C’est vrai qu’il s’agit d’une invitation à entrer dans un pseudo-monde, comme on en propose aujourd’hui. Pour s’y inventer une vie meilleure. Finalement, on s’aperçoit que, dans ces mondes parallèles, l’être humain n’est capable que de recréer -avec la même médiocrité- le monde dans lequel il vit. Les logiciels sont ainsi faits qu’on ne peut aller au-delà d’une certaine utopie. On y trouve des gens qui s’achètent des espaces virtuels, pour y bâtir des châteaux en Espagne. Ils les remplissent de meubles vendus par des marchands virtuels. »

- « On vous sent déçu… »
- « On s’aperçoit encore une fois, que l’homme est incapable d’une vraie utopie. Ça aurait pu être intéressant pour les philosophes, pour les gouvernements, de laisser éclore un monde utopique et d’observer ce que l’être humain peut faire. Le laisser injecter sa part de rêve et, peut-être, dans ce chaos, trouver une solution. Mais, en fait, tout le monde s’en fout complètement. Ce qui compte vraiment, c’est de vendre de l’espace. Tout ça est tellement sordide. »

- « Chacune de vos chansons témoigne de votre difficulté à vivre. Est-ce que les choses ne s’arrangent pas un peu, en vieillissant ? »
- « Cest une horreur de vivre. D’ailleurs, personne n’a jamais demandé ça. On y va puis il faut assumer. Traîner ses valises. Décider une bonne fois pour toutes de ses envies, de ses passions, et puis les défendre contre vents et marées. Mais dès qu’on veut se promener à l’intérieur de ce qui est établi, c’est une lutte sans fin. On n’a pas le droit de s’intéresser à tout. On doit rester dans sa petite case. »

- « De là, votre volonté d’assumer vos errances, toutes vos errances ? »
- «  Je dis ça avec beaucoup d’humilité mais je ne suis pas n’importe qui. A partir de là, il faut accepter de faire le boulot, pour prouver qu’on n’est pas comme les autres. Mon grand-père était comme ça. Il m’expliquait que, si on faisait un tabouret, il fallait qu’il soit assez solide pour qu’on puisse s’asseoir dessus pendant trois cents ans. Au bout de 50 ans, il ne sera peut-être plus à la mode. On va le remiser au grenier mais, le jour où l’on aura besoin d’un tabouret pour poser son cul, c’est lui qu’on ira chercher et il tiendra debout. Je ne veux pas dire que ce que je fais restera pendant trois cents ans mais c’est conçu pour. »

- « C’est par orgueil que vous êtes devenu misanthrope ? »
- « J’ai toujours été misanthrope. Je suis incapable de vivre avec quelqu’un, qui que ce soit. Parce que jamais là. Parce que même là physiquement, toujours la tête ailleurs. C’est effrayant de proposer à quelqu’un de partager sa vie et de n’avoir à lui offrir que de l’attente, du rêve et, surtout, de la solitude. Barbara disait que c’était un luxe qu’elle souhaitait à tout le monde, Elle n’avait pas tort. Mais alors, la vraie solitude, celle que l’on choisit. Pas celle que l’on nous impose. On voudrait pouvoir se rejoindre quand c’est le moment, quand il y a quelque chose à donner. Quand on se voit tous les jours, qu’est-ce qu’on peut bien avoir à se dire ?  C’est dramatique de ne pas avoir quelque chose d’un petit peu au-dessus à partager avec l’autre. »

- « Comme vous le faites avec votre public ? »
- « C’est l’envers de la solitude. Monter sur scène devant trois mille personnes et venir cracher, même sous des allégories, des choses extrêmement personnelles. Quelle thérapie et, en plus, je suis payé pour. »

- « Vous dites qui vous êtes, soit. Mais sans jamais oublier de soigneusement brouiller les cartes. »
- « J’aime bien cette ambiguïté. C’est mon amour pour les Surréalistes qui veut ça. Dire une phrase et laisser le subconscient en entendre une autre. »

- « Il n’y a pas que vos textes qui soient ambigus, vos musiques le sont tout autant. »
- « J’aime bien m’amuser avec l’auditeur. L’inviter à se pencher pour mieux entendre, comme on se penche vers la table d’à côté pour écouter un ragot. Quand on croit entendre des choses et qu’on se trompe, quand on en imagine d’autres encore. »

- « Vous avez toujours été aussi secret ? »
- « C’est une question de génération. Je suis de celle née sur la fin de la guerre. On a toujours vécu dans l’idée qu’il ne fallait pas dire les choses. Avec ma mère, qui était fille-mère, et mon beau-père américain, musicien de jazz, qui fréquentait des "nègres". Il y avait toujours des pistes à brouiller. Il y avait toujours quelque chose à garder pour soi, à cacher. De là, l’envie d’ouvrir des routes qui ne soient pas trop fréquentées, pour que l’on ne vous pose pas trop de questions. »

- « Quand même vos chansons sont comme des ponts que vous jetez vers les autres. Encore faut-il qu’ils les empruntent… »
- « Il y en a toujours un, qui s’amène au bout du pont. C’est pour ça que je ne suis pas près d’arrêter d’en jeter. »