Métro N°1798
(édition belge)
4 décembre 2008

William Sheller laisse entrevoir son atypique univers
(par Gabriel Hahn)



Bruxelles. Rencontre avec William Sheller, musicien français délicieusement misanthrope. Un homme perclus de talents musicaux, toujours prêt à innover ou déstabiliser. Étranger au monde des paillettes, le musicien se recentre au fil du temps sur l’essentiel, dont il ne laisse pas une miette. Échanges spontanés en milieu tempéré, Sheller ne connaît pas la langue de bois, il délivre ses pensées avec une profonde sincérité. Entre les musiques modernes qui «le gonflent», son milieu superficiel, son cœur tance et balance, rarement dans la nuance.


- « Vous avez commencé à taquiner le piano à 7 ans. Vous êtes le Mozart de notre siècle ? »
- « Non pas du tout. Je joue du piano comme un cochon, j’ai appris le piano pour apprendre l’écriture. Alors c’est vrai que je joue mieux du piano que pas mal de mes confrères chanteurs, mais par rapport à des gens dans le classique je suis vraiment un petit bonhomme. Je sais plus jouer Chopin, Bach il me manque toujours un doigt. Pour les accompagnements de chanson je considère que le piano est un personnage, fait le tableau, ce n’est pas simplement le truc qui fait "ding ding" pour accompagner, ça se rapproche de Schubert, ça raconte une histoire derrière.»

- « Vous ne pensiez pas du tout à chanter vous-même ? »
- « Barbara m’a dit que je devrais chanter alors que je l’accompagnais. Je lui ai dit : "Je n’ai pas de voix". Elle m’a répondu : "Moi non plus mais on s’en fout tu n’es pas un chanteur on ne va pas te demander de faire de l’opéra, tu es un diseur, dis les chansons". Et puis quand même j’ai pris quelques cours de chant avec la mère Charlot, elle répare la tuyauterie de tous les gens qui chantent.»

- « Que vous a transmis Barbara à part de franches rigolades ? »
- « Ça suffisait. Elle chantait tellement bien, on s’entendait si bien. Transmis, il n’y a pas eu de transmission, ça n’a jamais été un maître. Elle m’a apporté quand elle a dit chez Philips à l’époque :  "Vous devriez écouter Sheller". Et puis j’ai écrit des orchestrations pour elle, c’est une caution. »

- « Quelle est votre relation au 140 où vous venez jouer les 26, 27 et 28 mars prochains ? »
- « J’ai fait un récital au piano à la RTBF et il s’est passé un tel truc avec le public qu’on m’a demandé de venir au 140 pour jouer une semaine. D’une semaine c’est passé à 15 jours et j’y suis revenu. Et là j’y reviens pour le plaisir ce qui n’a rien à voir avec l’album. Parce que j’ai lu : "Sheller sort un album Avatars, il va commencer sa tournée au 140 au piano par mesure d’économie". Il y a vraiment des cons partout, simplement je voulais revenir au 140 parce que c’est là que tout a commencé. Et puis j’aime bien Jo. Et en principe cet album devait sortir au mois d’avril alors il n’y aurait pas eu ce clash si rapide entre la sortie de l’album et le mois de mars. Je vais au 140 pour le plaisir. Je préfère prévenir que les gens ne pensent pas qu’ils vont entendre un truc symphonique au 140 où il n’y a pas la place de mettre la moitié des musiciens qu’il y a là-dessus et où il n’y a que 500 places. »

- « Vous disiez que commencer par du commercial permet d’imposer par la suite son identité, pouvez-vous préciser cette pensée ? »
- « Quand on rencontre quelqu’un qui ne vous connaît pas, on ne commence pas par lui foutre deux baffes. On lui dit bonjour. Donc faisons une œuvre qui dise bonjour, ouverte sur la compréhension des autres. Le commercial c’est un résultat, pas un objectif. L’objectif c’est de faire des choses qui soient à la portée du plus grand nombre en disant : "Bonjour, je fais cette musique-là". Petit à petit, à partir de ce bonjour, on se dit : "Tiens il nous a dit bonjour avec cette première œuvre, là ça glisse un petit peu vers autre chose, pourquoi pas ?"Et petit à petit on arrive à suivre. »

- « Aujourd’hui vous pouvez vous permettre plus ? »
- « Ce n’est pas toujours évident. Quand je me suis permis Albion en Hard rock avec les Anglais et que je suis revenu avec ça après Un homme heureux, ça a été le rejet total de tous les médias. Finalement personne ne l’a entendu sauf ceux qui ont été acheté le disque aux puces et les plus jeunes qui maintenant commencent à écouter ça en disant : "Finalement cet album il est génial". C’est très curieux, les machins que j’ai sortis comme L’empire de Toholl, à l’époque on m’a dit : "C’est un truc de fou, une espèce d’opéra avec des paroles de nazi". Les gens qui n’avaient jamais vu Star Wars n’avaient jamais entendu parler d’Empire. Maintenant je trouve ces morceaux-là sur Youtube avec des mecs qui ont ajouté des images 3D dessus. Ce n’était pas prévu pour à l’époque, ça a trouvé le public après. »

- « Comment travaillez-vous ? »
- « Il n’y a pas de règle. Je n’écoute pas beaucoup de musique parce qu’il y a beaucoup de merde. Avant c’était mon fils qui me piquait les albums des années 80, maintenant c’est moi qui lui demande : "Dis donc qu’est-ce qu’il y a de bon à écouter ? ". Je me trimballe sur Myspace, beaucoup de choses sont de la sous brit-pop, du sous Oasis, ça m’enquiquine. Tout ce qui est la brit-pop là ça me gonfle un peu. Le pire ce sont les groupes français qui prennent un nom anglais, qui foutent une pauvre nana devant qui chante en anglais avec un accent d’hôtesse de l’air alors moi ça me tue. J’aime bien Arctic Monkeys, j’aime bien des trucs complètement délirants comme Marilyn Manson dont la production de l’album est magnifique. J’enlève le côté folklorique, il y a certains clips qui sont magnifiques. »

- « Avatars a des accents rock, pop, classique, parfois festif, parfois mélancolique, c’est dans cette complexité là que vous vous épanouissez ? »
- « C’est mon époque, je ne vais pas la renier. C’est une époque où cela passait d’un genre à l’autre, on cherchait le mélange avec des sons de classique. King Crimson, Pink Floyd des années 60 aux 80, c’étaient quand même de sérieux allumés. Ce que je voulais surtout c’était effacer Un homme heureux, le chanteur mélancolique avec son piano cercueil, j’en avais vraiment marre. Je la chante quand même, les gens viennent là et ont envie de voir l’artiste en train de chanter la chanson qu’ils aiment bien. Je ne vais pas leur refuser cela, on est là pour offrir un spectacle. Ce que je déteste c’est ceux qui pour se débarrasser font un pot-pourri à la fin. »

- « À quand un disque instrumental ? »
- « Bien sûr des choses plus symphoniques me changeraient un peu du monde du show-biz qui n’a pas grand-chose à raconter à part les derniers potins de Voici. J’avoue qu’ils me gonflent. Ce n’est pas que c’est devenu pire, ça a toujours été comme cela, mais je me sens beaucoup plus en phase quand je suis avec des musiciens que quand je suis avec des chanteurs. C’est rare ceux qui ont lu. Mais des gars qui chantent « La plage, paysage, voyage ». Un gars, qui est pourtant très décrié, Herbert Léonard est un passionné consulté par des spécialistes de l’histoire de l’aviation soviétique et qui a écrit des bouquins là-dessus et pourtant tout le monde le prend pour un con. »

- « Vous êtes rarement dans la nuance ? »
- « Oui parce qu’il arrive à un moment où il faut parler. Il y a des gens qu’on aime bien, on les aime bien mais on ne va pas chercher loin. Il y a des gens on ne leur dit rien parce qu’on ne veut pas être méchant. Mais j’avoue que j’aime mieux fréquenter des gens qui ont un petit peu de culture. Peut-être parce que j’ai moins de temps l’âge venant. »