Nice Matin N°22153
(édition Nice-littoral)
22 novembre 2008

Chanson
Un Sheller à nous faire hérisser le poil
(par Laurent Amalric)



Toujours un peu cabot le William, à l’image de cette pochette inspirée par le travail du peintre U.S. Travis Louie, où il apparaît mi-homme mi-toutou. Symphonie, pop, trip hop, chanson, piano solo… à chaque nouvel album, on se demande où l’on va poser les pattes. Pour en discuter, on cueille l’artiste, chez lui, en Sologne, surpris en pleine sieste devant Ushuaïa ! Au poil, pour aborder avec l’animal l’album-monde qu’est Avatars. Un bon cru aux mélodies aussi électriques qu’éclectiques.

- « Avatars débute comme un opéra-rock mais tous vos styles suivent… »
- « J’entends dire "On dirait un best-of". On retrouve en effet les ambiances de mes différentes époques : guitares 70’s, cordes, piano, tonalités médiévales… Moi quoi ! Je vais pas me mettre à faire du Stockhausen sous prétexte qu’il faut apporter à tout prix de la nouveauté ! »

- « Tout ira bien était-il le single idéal ? »
- « Etant donné la morosité ambiante, ce titre enjoué était sympa pour ouvrir un sourire. Et puis j’en ai marre d’entendre "Sheller, le gars qui chante Un homme heureux et joue des choses tristes au piano". »

- « Vos textes sont disséqués par les fans. Est-ce un jeu sain de déchiffrer du Sheller ? »
- «  Il faut avoir lu Prévert, Queneau ; aimer les poètes surréalistes… Je fonctionne comme  les Anglo-saxons. Mes paroles sont des suites d’images qui donnent corps aux chansons, inutile d’aller chercher des explications alambiquées. » [rires]

- « A quelle époque aurait aimé vivre Sheller ? »
- « Les années 1900-1920, il y avait une explosion d’arts, de folie, de remises en question…A 17 ans, je lisais Cocteau, Colette, Valéry… regardais du Buñuel… C’était l’époque où l’on osait, où l’on bâtissait. Aujourd’hui, on se contente de tenir les murs de peur qu’ils ne cassent la gueule ! [rires] Le No Future des punks est bien-là. »

- «  Qui trouve grâce à vos yeux dans la scène hexagonale actuelle ? »
- «  Je cite toujours Camille, car là au moins il y a de la folie. Delerm au début, je me suis dit qu’est-ce que c’est que cet oiseau ? Et je me suis apprivoisé, maintenant j’aime bien. Biolay tente des choses valables… Mais la vague sous-Oasis et ces groupes qui chantent en anglais des textes indigents avec un accent d’hôtesse de l’air, c’est insupportable ! » [rires]

- « Pourquoi ne pas plus composer pour les autres ? »
- «  Ils n’osent plus venir me chercher, ils pensent que je suis un ermite ! [éclats de rire] C’est dommage car ça m’intéresserait assez. »

- « A l’époque d’Ailleurs (1989), vous apparaissiez crâne rasé et bague à tête de mort. Qu’est-ce qui vous avez pris ? »
-  C’est juste que je paumais mes cheveux et que j’avais flashé sur des bagues trouvées aux puces. Les gens ont dit : "Il est devenu facho !" Mais c’était juste trop tôt. Depuis l’effet Barthez et Zidane, fini ce problème. »

- « Vos chansons exaltent souvent l’esprit de tribu. Depuis quand avez-vous rejoint le clan des tatoués ? »
- « En 1996, pour mes 50 ans, je me suis offert une lyre celtique. Une façon de dire maintenant je suis un musicien, j’y ai droit ! Certainement aussi un écho de mon grand-père. Il avait une tête de lion sur le poitrail. Je me revois petit lui réclamer "Le minou, le minou !" » 

- « Quel est votre album le plus incompris ? »
- « Albion, en 1994. Je sortais du succès d’Un homme heureux et j’enregistre ce machin très rock en Angleterre. Tout le monde avait les cheveux qui se dressaient sur la tête, y compris ma maison de disques ! [rires] Lennon disait : "Y’a pas de vin en Angleterre, pourquoi voudriez-vous qu’il y ait de la pop en France !" C’est vache mais c’est vrai. Chez nous on parle beaucoup de rock, mais on ne l’aime pas… Aujourd’hui, les jeunes redécouvrent Albion. »

- « Vous avez l’art de surprendre sur scène. A quand la tournée ? »
- « Pas avant fin 2009, début 2010 avec 18 musiciens, pour pouvoir jouer tous les styles de mon répertoire. En attendant, je compose. J’écris aussi ma biographie. Pas un truc show-biz. Une histoire humaine. Ce que j’ai vécu étant gosse, les voyages aux Etats-Unis (William est né en 1946 de la rencontre d‘un soldat américain, Jack Hand et d’une française, Paulette Desbœuf –Ndlr-), et de tout le bazar qui m’est tombé sur la poire… Vous êtes le premier à qui j’en parle… Ce sera un témoignage pour moi, mais aussi pour mes enfants. »