Le Figaro N°19980
25-26 octobre 2008

William Sheller retrouve sa veine pop
(par Olivier Nuc)




Sur son nouvel album, Avatars, dans les bacs lundi, le chanteur-compositeur déploie
toute sa richesse mélodique.

William Sheller a longtemps été un artiste mal entendu. Avec son tube inaugural, le parodique Rock’n’dollars, au milieu des années 70, il fut catalogué un peu vite chanteur amuseur. Une quinzaine d’années après, le triomphe de la déchirante ballade de Un homme heureux a fait de lui le symbole du chanteur mélancolique seul au piano. Ces deux images sont également réductrices. Avatars, son nouvel album (chez Mercury/Universal), restitue cet artiste dans toute sa richesse. Avec ses climats pop raffinés, le disque renvoie aux plus grandes heures d’un compositeur élégant, avec une série de chansons inspirées par ses navigations sur la Toile.
« En faisant ce disque, j’imaginais une promenade virtuelle sur le Net, avec une entrée ronflante et plusieurs personnages qui apparaissent au fur et à mesure. » Pour porter ce projet, Sheller est allé fouiller dans ses maquettes, y puisant des motifs anciens, et a recruté de nouveaux accompagnateurs (Dominic Miller et Sylvain Luc aux guitares, Yvan Cassar à la direction d’orchestre). Le plaisir du jeu collectif est palpable tout au long des morceaux. « J’avais envie de rebrancher les guitares, de faire des mélodies à chanter sous la douche. J’aime bien quand ça chante à tous les étages. » Dans un pays qui privilégie le texte sur la musique, William Sheller, qui porte la double nationalité franco-américaine, rééquilibre la balance. « Pour moi, dans la musique, dans la mélodie, dans le chant, il y a déjà tout. C’est pourquoi, dans mes textes, j’essaie d’employer le minimum de mots pour évoquer un maximum d’images. »

Rigueur et travail bien fait
Détourné du chemin classique par la découverte de la pop, Sheller a gardé de son apprentissage un sens de la rigueur et du travail bien fait. C’est en perfectionniste qu’il a abordé le travail sur ce nouvel album, son premier disque de chansons originales depuis la parution d’une imposante Intégrale en 2005. Une collection qui a permis à cet homme de retrouver la place qu’il n’aurait jamais dû quitter : celle d’un des plus grands stylistes de la chanson française. Depuis, plusieurs musiciens ont affirmé une parenté avec lui. « Parmi la jeune génération de compositeurs, j’aime beaucoup Benjamin Biolay. »
Sheller, qui se considère aujourd’hui comme un bon vieux dinosaure, est conscient que sa maison de disques lui permet de s’offrir de confortables conditions de travail grâce aux grands succès qu’il a connus. « Il faut bien qu’il y ait quelques avantages », dit-il en souriant. Avec son album Sheller en solitaire, meilleure vente de sa carrière (800 000 albums vendus en 1992), le chanteur a préfiguré la vague des chanteurs au piano comme Vincent Delerm et Bénabar de plusieurs saisons.
«  Je ne veux pas dire qu’ils m’ont imité, ni que j’ai eu une influence musicale sur eux, mais ils ont peut-être eu moins de difficultés à s’imposer auprès d’une maison de disques après le succès de cet album. » Le chanteur a quitté Paris depuis plusieurs années pour aller s'établir en Sologne, à l’écart des petits arrangements d’un show-business dont il n’a jamais trop goûté les manières.
Déplorant le marasme de l’industrie musicale, il regrette que les multinationales n’aient pas su s’adapter à temps à l’ère numérique. «  Le téléchargement est incontrôlable, et aucune loi n’y changera rien », affirme-t-il. Capable de se réinventer tout à tour en chanteur intimiste, en rocker échevelé ou en compositeur soigneux, William Sheller parvient, après plus de trente ans de carrière, à une synthèse passionnante sur Avatars, dont on suivra avec attention le développement scénique lorsqu’il reprendra la route l’année prochaine.