Télé Moustique N°4265
24 au 30 octobre 2007

MUSIQUE/rencontre/Il refuse de choisir
William Sheller : "Je fais partie d'une génération engloutie"
(par Jérome Colin)


 

Son nouvel album est à la fois un live, un best of et un disque de versions alternatives. Magnifique.

 

«Dans la vie, je vais faire Beethoven». Le petit William n’a que dix ans mais il sent déjà son destin. Il ne sait toutefois pas encore qu’il croisera en chemin la route des Beatles et de Barbara. Ni qu’entre tous les plaisirs de la vie, entre toutes ses beautés, il ne saura jamais choisir. Il ne sait pas non plus que trente ans de carrière plus tard, il aura offert à la chanson française sa douce folie, son ardeur au travail, ses textes pensés et repensés. Un hymne aussi. Sheller est délicieux parce que Sheller est insaisissable. En live avec le Quatuor à cordes Stevens, il revisite trente ans de carrière. Maman est folle, Le Carnet à spirale, J’cours tout seul, Simplement, Un homme heureux, Dans un vieux rock’n’roll, Les Machines absurdes. Entre variété et classicisme. Choisir…

- William Sheller : «Enfant, je me souviens d’avoir reçu en même temps La Symphonie pastorale de Beethoven et un disque d’Elvis Presley. Le problème de la musique classique est qu’elle est aujourd’hui interprétée dans des lieux réservés, par des grosses dames habillées avec des rideaux. Avant, il y avait à la maison quelqu’un qui savait lire la musique, il y avait un piano et on chantait les airs en famille. On appréhendait cela très simplement, sans exclusion. Moi, je veux être disponible, que ma musique soit simple et compréhensible.»

- Télé moustique : «Malgré votre cursus classique, vous n’avez jamais snobé la musique populaire ?»
- William Sheller : «Ma grand-mère était ouvreuse au Théâtre des Champs-Elysées, mon grand-père décorateur à l’Opéra. Je me souviens d’avoir été élevé avec du jazz, des ballets, Presley, l’opéra, de la danse espagnole. Pour moi, le XXe siècle a été marqué par trois œuvres majeures. Peut-être pas les plus belles, mais elles ont fait prendre des virages définitifs à la musique. C’est Le Sacre du printemps de Stravinski, Le Marteau sans maître de Pierre Boulez et Sgt Pepper’s des Beatles.»

- Télé moustique : «Et parmi vos collègues de la chanson française, certains ont-ils changé le cours des choses ?»
- William Sheller : «Je fais partie d’une génération engloutie. Barbara, Ferré, Nougaro, Gainsbourg, Brassens, Brel. Ils représentent pour moi un monde de référence. Ils étaient vrais et entiers. Ces artistes parlaient aux gens, allaient à leur rencontre. Aujourd’hui, les artistes snobent leur public, ils protègent leur santé, leur vie privée, assurent leur tranquillité. Notre rôle est pourtant à l’opposé. C’est d’aller à la rencontre du public, se montrer, s’exposer, s’offrir. La variété de bas étage, le rock sombre et triste, tout cela me gonfle. Et vous savez pourquoi on continue à en faire ? Parce que c’est facile. Tout cela manque de rêve et de folie.»

- Télé moustique : «Vous avez écrit des messes psychédéliques, des pièces symphoniques, des chansons. Que représente finalement la musique pour vous ?»
- William Sheller : «Pour moi la musique est un respiration dans une vie qui ne m’intéresse finalement pas tant que ça. Je vis parce que je suis là, sans toutefois trouver cela transcendant. J’ai une vie heureuse mais je m’en moque, je la subis. Il n’y a que la musique pour l’égayer un peu.»

- Télé moustique : «Mais enfin, que faites-vous des hommes et des femmes ? De l’amour et de l’amitié ? »
- William Sheller :  «Ils sont temporaires. Ils ne servent qu’à supporter la vie, pas à la rendre plus belle. Pour que quelqu’un m’intéresse, il faut au moins qu’il ait lu ou longuement écouté.»

- Télé moustique : «Avec le quatuor Stevens, vous redécouvrez votre musique sous la chaleur des cordes. Pourquoi ce choix ?»
- William Sheller :  «Je n’ai pas envie d’être le chanteur qui chante ses tubes et qui s’en va. J’ai besoin d’un peu de piquant, de neuf. J’ai eu envie de tourner avec une formation un brin originale et très vite le quatuor s’est imposé. Rien ne me guide sinon mon envie. Et surtout pas la mode. J’ai depuis toujours cette phrase dans la tête : "Une pendule arrêtée donne deux fois par jour l’heure exacte ». Autrement dit, si on court après la mode, on risque de ne jamais l’attraper.»


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William Sheller & le Quatuor Stevens "Live". ***
Universal