Le Quotidien de La Réunion
13 février 2007

William Sheller en concert à La Réunion
En solitaire, encore et toujours
(par Laurent Bouvier)

 

Une voix, dix doigts et 88 touches : vendredi et samedi, William Sheller s’assoit derrière son Steinway et nous la joue en solitaire. De quoi faire de nous des hommes heureux.


Il n’y a guère qu’en musique que William Sheller aime les extrêmes. Passer du pianissimo au fortissimo, oui, mais du froid hivernal au soleil des tropiques, très peu pour lui. A peine descendu de l’avion et le voilà réfugié sous une «clim» des Villas du lagon. «Pas mon biotope ici».
William Sheller préfère les brumes d’Ecosse. D’ailleurs il vit en Sologne où, question brouillard, «on se défend aussi». C’est là, au milieu de la forêt, qu’il a pris racine. Un cocon où il écrit, compose et d’où il ne sort que rarement. A peine deux ou trois fois par mois, le temps d’un concert. «Histoire de garder le contact avec la scène… et la trouille.»

«Tout seul, j’ai le temps de m’arrêter entre les chansons, de bavarder»

La scène, pas question de s’en séparer. Lui qui est tombé dedans tout petit, «avec un grand-père décorateur à l’opéra de Paris et une grand-mère ouvreuse au Théâtre des Champs-Elysées». Lui qui aimait tant regarder cette scène du côté des coulisses, «à l’envers du décor».
Depuis, il l’a goûtée à toutes les sauces : en duo, en trio, en quatuor, avec orchestre classique. Mais c’est en solo qu’il excelle le plus. Peut-être parce que celui qui aurait pu devenir pianiste classique trouve dans l’intimité de son piano de quoi mieux se raconter. «Tout seul, j’ai le temps de m’arrêter entre les chansons, de bavarder.» Et pour accompagner ses textes, le piano permet toutes les couleurs. «Un piano, c’est un orchestre symphonique en miniature». 
Sheller en solitaire, c’est presque une marque de fabrique, c’est en tout cas une référence. On pense notamment à son album sorti en 1991, Sheller en solitaire, écoulé à un demi-million d’exemplaires, couronné meilleur album aux Victoires de la Musique.
«Et pourtant l’aventure du solo a commencé assez bizarrement. En 1986, je devais jouer en Belgique à la RTBF. Les instruments de mes musiciens étaient bloqués à la douane. Je me suis dit : "Allez, tant pis, j’y vais tout seul."
Depuis il n’a cessé d’enchaîner les scènes. Et même si à 60 ans, il a réduit la cadence, il ne veut surtout pas s’arrêter. «Le concert, c’est l’art de l’éphémère.» Autre chose que le disque, «cette musique en conserve et ces fameux MP3 qui tuent l’industrie du disque. Quand un sous-produit devient un standard, pourquoi se casser les pieds en studio ?»
N’empêche, notre William se trimbale avec son I-Pod dans la poche où Supertramp voisine avec Debussy. Où vous trouverez peu de chanteurs français de la jeune génération. Sheller aime tout au plus Camille et concède à Diam’s «de la présence et des tripes qui pourraient en faire la nouvelle Piaf», même si le rap c’est vraiment pas son truc.
Pour le reste, il ne cultive que peu de goût pour ceux qu’il appelle les chanteurs d’élevage, «ces chanteurs formatés qui hurlent et n’ont rien à raconter.»
Chez William Sheller tout est savoureux à raconter. Jusqu’à son prénom que ses parents lui auraient donné parce qu’à la naissance il avait une tête en forme de poire. Son enfance ensuite : entre les Etats-Unis et la France avec un père américain, contrebassiste de jazz qui tombe amoureux d’une Française à la Libération. «Je fais partie de cette génération dorée de l’après-guerre. Nos parents avaient lu des bouquins de psychologues à la mode. On était des gamins à qui on laissait tout faire.»
Cette génération donnera les hippies. Et les musiciens les plus créatifs d’après-guerre. Les plus déjantés aussi.

 «L’essentiel c’est d’avoir quelque chose à dire»

Sheller débutera de façon très académique, aux côtés de son maître Yves Margat, ancien élève de Gabriel Fauré. Mais les Beatles le détourneront rapidement de son destin de compositeur et musicien classique. Les guitares électrifiées vont vite recouvrir les harmonies de Mozart ou la dodécaphonie de Berg et Stockhausen. «De toute façon la musique contemporaine que j’étudiais, c’était pas vraiment ma tasse de thé.»
Sheller gardera en tout cas de sa formation classique une solide technique de piano et un art de l’écriture et de l’arrangement hors norme. La voix arrivera plus tard. Grâce à Barbara. «Un jour j’étais en train de lui jouer Marienbad que j’avais écris et arrangé pour elle. Elle m’interrompt : "Dis-donc mais pourquoi tu ne chantes pas toi ?" Moi : "Mais je n’ai pas de voix". Elle : "On s‘en fout, moi non plus. L’essentiel c’est d’avoir quelque chose à dire. Et toi, tu es un diseur comme moi".»
Dés lors, Sheller ajoutera un micro à son piano. «Apprendre l’art de détimbrer et décaler les mots pour les faire vivre.» Mais il avoue avoir toujours autant de mal à écrire les textes de ses chansons. «La musique, je n’ai pas de mérite, ça me sort de la tête comme ça. Mais les textes, pffft….»
Si vous vous demandez ce que William Sheller jouera vendredi et samedi sur scène, lui aussi. Un homme heureux, sans doute, Dans un vieux rock’n’roll, probablement. «Parce qu’on me les demande à chaque fois et que ça me manquerait de ne pas les chanter».
Pour le reste, la seule chose qu’on sait, c’est qu’il sera question de magie et de prestidigitation. «Qu’est-ce qu’un musicien sinon quelqu’un qui utilise des intervalles musicaux pour faire naître des émotions, quelqu’un qui manipule l’oreille et l’âme ? En cela, oui, je suis un charlatan.» Mais qu’on se rassure, de son élixir on peut abuser sans modération.