Le Journal de La Réunion
13 février 2007

Rencontre : William Sheller secoue les cocotiers de la créativité
«Eh les jeunes, qu'est-ce que vous attendez ? ! »
(par Marine Dusigne)

 

Faut-il qu'il nous aime pour venir affronter les chaleurs tropicales, lui qui ne se plaît que dans les brumes d'Écosse ! Seulement, la dernière fois qu'il a investi la scène pays pour offrir ce qu'il appelle son "répertoire" il a trouvé le public... jubilatoire. "Je ne pouvais que revenir", admet-il en laissant le rire effacer la moiteur et l'inconfort du voyage et de ses heures, pour ouvrir son cœur et regretter de voir sa profession se déliter.


Depuis les soirs d'avril 2002 qui nous ont laissés si heureux de l'avoir écouté nous raconter ses plus belles histoires, William Sheller s'est installé en Sologne. Ses enfants à proximité, la nature, les saisons, des voisins authentiques, dont il ne dénigre pas les tableaux de chasse (quand bien même tirer sur le gibier n'est sa tasse de thé), contrairement à ceux des Parisiens qui n'ont qu'à se baisser pour ramasser la venaison complaisamment servie à plein paniers, de quoi écrire sa musique, plus un ou deux concerts par mois, pour garder le contact avec les gens, "parce que c'est là que les choses sont vraies, sans triche" (et surtout parce qu'il adore ça), et William Sheller est le roi. "C'est une qualité de vie que je privilégie", confie le "symphoman" qui continue de tracer son sillon hors des modes et de leurs tentations. Il a pour ça comme un don et (On sent que ce n'est pas seulement un coup de chaud passager dû au climat ambiant), il regrette la tournure du paysage musical actuel d'où ne filtre pas la moindre story, et où trouver "des mots jolis pour la voix et hurlés à grands cris" tiennent lieu de créativité. "C'est effrayant ce changement d'époque où on a comme critère Lynda Lemay !" Lui, le "diseur" comme l'appelait Barbara, il prend toujours le même plaisir gourmand "à vous manipuler, l'oreille et l'âme... à inventer... comme une musique de film dont il faudrait écrire le dialogue". Car c'est le bouquet de notes qui toujours fleurit en premier dans son esprit. "Et petit à petit, on trouve les mots qui collent bien, qui racontent la musique... C'est un job. Je ne sais faire que ça". Et pas des resucées de vieilles scies, ni des virginités bricolées sur le dos des décennies passées.

ÉPHÉMÈRE ET VÉRITÉ DU CONCERT
"Quand j'ai débuté on ne remontait pas le temps pour trouver l'inspiration, mais aujourd'hui on n'arrête pas de se référer à ce qui se faisait il y a trente ans. C'est pour ça que les vieux groupes soignent leurs rhumatismes... pour tenir la scène avec leurs gloires d'antan ! Moi ce que j'aime c'est l'éphémère, ici et maintenant. Jamais pareil. Je vous fais une pirouette, et après, fini ! Vous ne la verrez jamais plus. C'est mon côté charlatan !" assure Mister Sheller, l'œil pétillant, l'énergie toujours sous contrôle. "Mon côté français, carré dans les coins, cartésien, pas improvisé... alors que mon héritage américain, c'est l'éclectisme". Un cocktail fait pour l'ivresse et les palpitations du cœur comme de l'esprit. "Là, je me mets à écrire et j'ai bien l'intention de sortir quelque chose cette année", promet-il en rejetant tout de même l'idée de sortir son album au moment de Noël. "L'époque de grande bousculade d'artistes d'élevage où on vous refile l'œuvre intégrale de Beethoven pour 15 euros ou tout Tchaïkovsky pour 12 euros ! Ça sent la chute de l'empire romain dans le monde du disque", ironise le chanteur qui trouve inutile de "se casser les pieds" à travailler dans la dentelle pour faire de la belle ouvrage quand on sait que les enregistrements sont repiqués en MP3 et donc de piètre qualité. "Mais ça a toujours été comme ça, et les plus beaux microsillons ont fini en galettes de plastique ! Un concert, en revanche, ça ne se copie pas. D'ailleurs l'argent que grignotent les marmailles sur le MP3, ils se le gardent pour aller aux concerts et ça, c'est plutôt bon signe !"

LE POUVOIR DE LA MUSIQUE
Fraîchement débarqué (adverbe osé vu les embardées du thermomètre), William Sheller ne sait pas précisément avec quels ingrédients il va nous mitonner ses concerts à lui. "Je fais une liste (en fonction du nombre de personnes, du lieu etc…) des morceaux de mon répertoire et puis des nouveaux et je garde les vieilleries en rappel ! Des incontournables comme Un homme heureux, Dans un vieux rock'n'roll, Le carnet à spirale... Si on va voir un artiste, c'est parce que ses chansons vous rappellent des souvenirs. C'est formidable de faire partie comme ça de la vie des gens. Une chanson, un air, une mélodie, ça tient de la petite madeleine de Proust. C'est ça, le pouvoir de la musique" constate le chanteur qui a ses propres blues en séquence memory avec des groupes des années 50 comme le chanteur de country Webb Pierce ("Mais qui se souvient de ça ???") ou des chanteuses comme Line Renaud et sa Cabane au Canada et Piaf, dont la chanson De l'autre côté de la rue l'a définitivement fasciné quand, revenant des Etats-Unis, il trouvait les rues bien petites à Paris... Ce qu'il écoute aujourd'hui ? "Supertramp, Traffic (rock british), et certainement pas l'espèce de galimatias que l'on a sorti au nom des Beatles !", renâcle le puriste qui ajoute, soucieux de rester positif : "Diam's par exemple, ce n'est pas du tout mon genre. Mais, elle, c'est une vraie ! Les tripes sont là, le talent pur. Camille, c'est bien aussi. Nosfell ? Je ne connais pas". Peu de chance de le découvrir sur scène à La Réunion vu que lui-même sera en train de dialoguer avec son piano solo quand son cadet fera délirer le violoncelle de Le Bourgeois. Le genre de prestation intime que William Sheller adore, qu'on se le dise, parce que c'est le contraire du spectacle : "Au lieu de faire sortir les choses de scène pour éclabousser le public, on attire l'auditoire autour d'un instrument. On peut lui expliquer des choses entre chaque morceau et les chansons sont mieux comprises. Et puis, avec un piano, on peut faire croire à tous les instruments d'un orchestre, être à la fois Beethoven et Chopin !" conclut ce "charlatan" de talent.

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William Sheller en concert le 16 au Théâtre de Plein Air et le 17 au Théâtre Luc Donat.