Faut-il qu'il nous aime pour venir affronter les chaleurs tropicales, lui qui
ne se plaît que dans les brumes d'Écosse ! Seulement, la dernière fois qu'il a
investi la scène pays pour offrir ce qu'il appelle son "répertoire" il a trouvé
le public... jubilatoire. "Je ne pouvais que revenir", admet-il en laissant
le rire effacer la moiteur et l'inconfort du voyage et de ses heures, pour ouvrir
son cœur et regretter de voir sa profession se déliter.
Depuis les soirs d'avril
2002 qui nous ont laissés si heureux de l'avoir écouté nous raconter ses plus
belles histoires, William Sheller s'est installé en Sologne. Ses enfants à proximité,
la nature, les saisons, des voisins authentiques, dont il ne dénigre pas les tableaux
de chasse (quand bien même tirer sur le gibier n'est sa tasse de thé), contrairement
à ceux des Parisiens qui n'ont qu'à se baisser pour ramasser la venaison complaisamment
servie à plein paniers, de quoi écrire sa musique, plus un ou deux concerts par
mois, pour garder le contact avec les gens, "parce que c'est là que les choses
sont vraies, sans triche" (et surtout parce qu'il adore ça), et William Sheller
est le roi. "C'est une qualité de vie que je privilégie", confie le "symphoman"
qui continue de tracer son sillon hors des modes et de leurs tentations. Il a
pour ça comme un don et (On sent que ce n'est pas seulement un coup de chaud passager
dû au climat ambiant), il regrette la tournure du paysage musical actuel d'où
ne filtre pas la moindre story, et où trouver "des mots jolis pour la voix
et hurlés à grands cris" tiennent lieu de créativité. "C'est effrayant
ce changement d'époque où on a comme critère Lynda Lemay !" Lui, le "diseur"
comme l'appelait Barbara, il prend toujours le même plaisir gourmand "à vous
manipuler, l'oreille et l'âme... à inventer... comme une musique de film dont
il faudrait écrire le dialogue". Car c'est le bouquet de notes qui toujours
fleurit en premier dans son esprit. "Et petit à petit, on trouve les mots qui
collent bien, qui racontent la musique... C'est un job. Je ne sais faire que ça".
Et pas des resucées de vieilles scies, ni des virginités bricolées sur le dos
des décennies passées.
ÉPHÉMÈRE ET VÉRITÉ DU
CONCERT
"Quand j'ai débuté on ne remontait pas le temps pour
trouver l'inspiration, mais aujourd'hui on n'arrête pas de se référer à ce qui
se faisait il y a trente ans. C'est pour ça que les vieux groupes soignent leurs
rhumatismes... pour tenir la scène avec leurs gloires d'antan ! Moi ce que j'aime
c'est l'éphémère, ici et maintenant. Jamais pareil. Je vous fais une pirouette,
et après, fini ! Vous ne la verrez jamais plus. C'est mon côté charlatan !"
assure Mister Sheller, l'œil pétillant, l'énergie toujours sous contrôle. "Mon
côté français, carré dans les coins, cartésien, pas improvisé... alors que mon
héritage américain, c'est l'éclectisme". Un cocktail fait pour l'ivresse et
les palpitations du cœur comme de l'esprit. "Là, je me mets à écrire et j'ai
bien l'intention de sortir quelque chose cette année", promet-il en rejetant
tout de même l'idée de sortir son album au moment de Noël. "L'époque de grande
bousculade d'artistes d'élevage où on vous refile l'œuvre intégrale de Beethoven
pour 15 euros ou tout Tchaïkovsky pour 12 euros ! Ça sent la chute de l'empire
romain dans le monde du disque", ironise le chanteur qui trouve inutile de
"se casser les pieds" à travailler dans la dentelle pour faire de la belle
ouvrage quand on sait que les enregistrements sont repiqués en MP3 et donc de
piètre qualité. "Mais ça a toujours été comme ça, et les plus beaux microsillons
ont fini en galettes de plastique ! Un concert, en revanche, ça ne se copie pas.
D'ailleurs l'argent que grignotent les marmailles sur le MP3, ils se le gardent
pour aller aux concerts et ça, c'est plutôt bon signe !"
LE
POUVOIR DE LA MUSIQUE
Fraîchement débarqué (adverbe osé vu les
embardées du thermomètre), William Sheller ne sait pas précisément avec quels
ingrédients il va nous mitonner ses concerts à lui. "Je fais une liste (en
fonction du nombre de personnes, du lieu etc…) des morceaux de mon répertoire
et puis des nouveaux et je garde les vieilleries en rappel ! Des incontournables
comme Un homme heureux, Dans un vieux rock'n'roll, Le carnet à spirale...
Si on va voir un artiste, c'est parce que ses chansons vous rappellent des souvenirs.
C'est formidable de faire partie comme ça de la vie des gens. Une chanson, un
air, une mélodie, ça tient de la petite madeleine de Proust. C'est ça, le pouvoir
de la musique" constate le chanteur qui a ses propres blues en séquence memory
avec des groupes des années 50 comme le chanteur de country Webb Pierce ("Mais
qui se souvient de ça ???") ou des chanteuses comme Line Renaud et sa Cabane
au Canada et Piaf, dont la chanson De l'autre côté de la rue l'a définitivement
fasciné quand, revenant des Etats-Unis, il trouvait les rues bien petites à Paris...
Ce qu'il écoute aujourd'hui ? "Supertramp, Traffic (rock british), et certainement
pas l'espèce de galimatias que l'on a sorti au nom des Beatles !", renâcle
le puriste qui ajoute, soucieux de rester positif : "Diam's par exemple, ce
n'est pas du tout mon genre. Mais, elle, c'est une vraie ! Les tripes sont là,
le talent pur. Camille, c'est bien aussi. Nosfell ? Je ne connais pas". Peu
de chance de le découvrir sur scène à La Réunion vu que lui-même sera en train
de dialoguer avec son piano solo quand son cadet fera délirer le violoncelle de
Le Bourgeois. Le genre de prestation intime que William Sheller adore, qu'on se
le dise, parce que c'est le contraire du spectacle : "Au lieu de faire sortir
les choses de scène pour éclabousser le public, on attire l'auditoire autour d'un
instrument. On peut lui expliquer des choses entre chaque morceau et les chansons
sont mieux comprises. Et puis, avec un piano, on peut faire croire à tous les
instruments d'un orchestre, être à la fois Beethoven et Chopin !" conclut
ce "charlatan" de talent.
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William
Sheller en concert le 16 au Théâtre de Plein Air et le 17 au Théâtre Luc Donat.