Le Monde de la Musique
Décembre 2005

CHOC
William Sheller, Chemin de traverse
(par Bertrand Dicale)

 

1 COFFRET DE 19 CD ET 1 DVD MERCURY UNIVERSAL LC 00268


L'œuvre de William Sheller mérite bien d'être réexaminée pour sa richesse, sa diversité et sa profondeur, souvent éclipsées par l'écume du succès et la productivité du musicien qui, de tournée en tournée, de disque de chansons en création dans le domaine classique, multiplie les formes et les aventures. Voici donc notamment onze albums en studio, cinq disques "live", un album de quatuors, deux CD de bandes originales de films et un documentaire sur DVD. L'élément le plus surprenant est constitué par la réédition de Lux aeterna, messe "futuriste" enregistrée en 1975, et de quelques "péchés de jeunesse". Lux aeterna, œuvre mythique qui a même été diffusée ces dernières années sous forme de disque pirate, confronte quarante musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Paris et seize choristes de l'Orchestre de l'ORTF aux instruments du rock et même au début de l'électronique dans la musique populaire. Cette création fleure superbement son époque, foncièrement optimiste et iconoclaste à la fois, tentée par un syncrétisme spirituel sans grand discernement et par un modernisme radical (à noter, ainsi, une intéressante collision entre le nom de Jésus et les prénoms des Beatles). Mais, sous la candeur et une certaine pompe, on entend déjà une langue musicale qui, en s'arrachant à ses dernières tentations progrock au début des années 80, va élargir le paysage : mélodies simples et harmonies complexes, chant efficace et orchestration parfois précieuse...
C'est le secret de succès comme Symphoman (1977), Excalibur (1989) ou Les Machines absurdes (2000) et, inversement, ce qui manque aux premiers 45 tours d'un Sheller qui se cherche et qui sont, pour la première fois, réédités. On notera ainsi, pour le plaisir de l'anecdote, Les Quatre Saisons, collaboration de Gérard Manset pour le texte et William Sheller pour la musique, qui évoque irrésistiblement ce que deviendra l'art de la chanson chez un Alain Souchon.
Ce coffret démontre avec opulence la singularité et la cohérence de I'œuvre de Sheller, que la chanson de grande consommation a parfois fait perdre de vue, le réduisant à une position d'"inclassable" qui dispense de toute approche approfondie. Et, à l'écoute de l'intégrale, le plus surprenant est que jamais les tubes du chanteur ne paraissent des excroissances ou des singularités dans une carrière impeccablement musicienne. Ses confidences dans le livret, rédigé par Marie-Ange Guillaume et Anne-Marie Paquotte (avec un avant-propos de Jean-Claude Casadesus), apportent des éclairages sincères et plaisamment ironiques.