Le chanteur sort son intégrale avec succès populaires et musique
savante, tout en retrouvant la scène avec un quatuor à cordes.
Sous le titre Chemin de traverse, l'objet est impressionnant
: dix-neuf CD et un DVD pour trente ans de carrière. Dix albums en studio,
quatre live, deux CD de musiques de film, les pièces classiques enregistrées
par le Quatuor Parisii, les premiers disques enregistrés à l'orée
des années 70... En même temps, paraissent un nouvel album et un
DVD enregistrés en public l'année dernière (Parade au
Cirque royal). Et ce soir William Sheller chante au Théâtre des
Champs-Elysées.
Un artiste qui se multiplie, à la fois méticuleux
et prolixe, patient et suractif. Ce n'est pas seulement sa blondeur qui le préserve
de l'âge. "J'ai la voix qui ne vieillit pas, avoue-t-il.
Je chante dans la même tonalité qu'au début, sauf peut-être
une ou deux chansons. Mais parfois le compositeur fait des vacheries au chanteur
et il faut bosser pour que ça passe."
En revoyant ses clips,
tous présentés dans son intégrale, on survole une carrière
populaire et commercialement heureuse (Un homme heureux, Mon Dieu que
j'l'aime), on redécouvre la spectaculaire invention du film d'Excalibur,
tourné par Philippe Druillet à la manière des chefs-d'uvre
muets d'Eisenstein. Mais aussi quelques vidéos des années 80, avec
un William Sheller ressemblant à son époque, le genre des clips
de Kim Karnes, en plus chic. "Le tout n'est pas d'être contre les
formats, mais de les faire évoluer de l'intérieur. Il ne s'agit
pas d'être un marginal, de tout rejeter, mais d'être là où
est tout le monde en poussant un peu les murs. Doucement."
Album
symphonique
Au commencement, il a tâtonné, évidemment.
Un 45 tours en anglais (My Year is a Day, un succès), une poignée
de titres écrits en collaboration avec Gérard Manset, des chansons
dans l'air de ce temps-là. Et puis Lux Aeterna, messe futuriste
avec groupe rock, musiciens de l'orchestre de l'Opéra de Paris, churs
de l'ORTF et synthétiseur. "Une tambouille. Ecrit à 21 ans,
à une époque où on n'avait pas encore l'expérience
de mélanger l'orchestre symphonique avec le groupe de rock - il n'y avait
que quelques Anglais qui avaient fait ça, comme Procol Harum-. Ce sont
des prémices, avec une naïveté de travail à tous les
niveaux, des bruits de chaises, un mixage fait en vitesse. Mais c'est drôle
de voir que Dan the Automator l'a samplé il y a quelques années
pour faire Delton 3030, que c'est même sorti en pirate sur vinyle
au Japon..."
Parce que Lux Aeterna, qui est enfin réédité
dans l'intégrale, était devenu une légende. "Evidemment,
à l'époque, ça a été un flop. Le monde de la
musique était sectaire, avec un ravin entre la variété et
l'orchestre. Il a fallu trouver des gens qui se regardent de chaque côté
du ravin. Mais, quand j'ai eu envie de faire un album symphonique avec l'orchestre
de Toulouse, personne ne m'a dit quoi que ce soit. Depuis trente ans que je suis
avec la même maison (qui s'est appelée Philips, Polygram
puis Universal), jamais on n'a demandé à vérifier
qu'il y avait des tubes dans ce que j'avais écrit, je n'ai jamais fait
quelque chose contre ma volonté."
Vraiment ? Sheller concède
que, dans les années 70, on a bien essayé de lui faire endosser
une image de chanteur très show-biz. "J'ai fait un ou deux reportages
pour des magazines de jeunes, puis j'ai arrêté. J'avais envie de
faire de la musique et d'aller me promener un peu partout, dans tous les genres.
Petit à petit, on l'a accepté." Néanmoins, il a
dû attendre d'avoir quelques tubes à son actif pour assouvir son
envie d'orchestre symphonique, d'avoir accumulé disques d'or et victoires
de la musique pour pouvoir faire enregistrer ses quatuors par le Quatuor Parisii.
"L'âge permet des choses. Un créateur mature qui se promène
au-delà des genres, c'est beaucoup plus acceptable qu'un demi-jeune chanteur
qui a la prétention de faire de la musique savante."
Il
a fait ses classes, patiemment, et de carte blanche dans des festivals classiques
en commandes passées au compositeur William Sheller, il a élargi
son univers. Ainsi, à la fin de la tournée, il entre en studio pour
enregistrer des oeuvres classiques : la symphonie en trois mouvements que lui
avait commandée le Festival de Sully-sur-Loire en 2004, deux élégies
pour violoncelle et orchestre, des concertos pour trompette et orchestre. "Je
suis un peu effrayé parce qu'en janvier je n'ai pas de projet - enfin si,
j'ai envie d'entrer en studio vers le mois de mars pour un album de chansons dont
j'ai déjà cinq titres, sur des bandes qui attendent que j'y mette
des textes ; alors je vais travailler à la maison pendant les trois premiers
mois de l'année prochaine, tout en préparant la sortie du disque
de musique pour orchestre." Il a son sourire doux mais ferme : "J'en
ai encore pris pour au moins trente ans."