Alors que sort un coffret anniversaire
retraçant l'ensemble de son parcours musical, le compositeur lève
le voile sur son univers, en évoquant les artistes qu'il admire.
Trente ans déjà ont filé depuis Rock'n'dollars, suivi
de tubes imparables : Nicolas, Dans un vieux rock'n'roll, Les
Machines absurdes ou Un homme heureux, son classique, que Ray Charles
allait enregistrer en "version black" avant sa mort. Mais la carrière
de William Sheller, 59 ans, dessine aussi la silhouette d'un compositeur "total",
cumulant chansons, symphonies, musiques de films... rassemblés aujourd'hui
dans un coffret anniversaire : Chemin de traverse. "Mon parcours
est une promenade musicale marquée par une liberté viscérale",
juge-t-il. A travers son musée personnel, Sheller l'excentrique, l'indompté,
le solitaire éclaire aujourd'hui son petit monde secret.
Cinéma
Ed Wood, de Tim Burton
La biographie filmée du "cinéaste
le plus mauvais du monde" (1995) par le réalisateur de Charlie
et la chocolaterie fait le bonheur de Sheller. "J'adore les gens comme
Ed Wood, qui ont une foi artistique inébranlable. Une telle foi pour n'arriver
à rien du tout - dans son cas, une série de navets épouvantables
- me fascine." Jacques Tati, qu'il a découvert gamin - "sur
un petit projecteur 16 mm à manivelle" - le ravit toujours autant.
Et Jeanne Moreau lui a inspiré le morceau Chanson d'automne sur
son dernier album, Epures. "J'aime la chanteuse, l'actrice et la
femme au sourire si original, un sourire à l'envers. En général,
j'apprécie les comédiens qui interprètent des personnages
hors normes : Philippe Torreton, Lorànt Deutsch, Fabrice Luchini... Pourquoi
irais-je au cinéma voir des gens ordinaires?"
Littérature
Colette
La Vagabonde, entre autres uvres, n'est
jamais très loin de sa table de nuit. "D'ailleurs, ma bibliothèque
est dans ma chambre... Alors Colette, oui, encore et toujours, pour sa justesse,
son style, son vécu et sa description de l'envers du music-hall. Et aussi
Cioran, mon philosophe préféré, à la lucidité
cruelle. Il faut le lire avec un peu de recul et d'humour. Il a quand même
écrit : "L'amour, une rencontre de deux salives... Tous les sentiments
puisent leur absolu dans la misère des glandes."Je lis et relis
aussi Cocteau, touche-à-tout magnifique. Mes poèmes à moi
renvoient davantage à Prévert ou à Queneau. Le ton est loufoque
et n'a rien à voir avec mes chansons. Cela m'énerve toujours qu'on
me juge "mélancolique" - c'est la faute de ma pauvre gueule.
Je préfère "sentimental"." Il lit peu de romans:
"Je n'arrive pas à croire à l'histoire, mais je reste un
inconditionnel du XVIIIe siècle. Je me serais bien vu dans le sillage des
Lumières." Sheller est d'ailleurs une contraction de (Mary) Shelley
et de (Friedrich von) Schiller. "Je croyais avoir inventé ce nom,
mais, en tapant sur Internet, des dizaines de Sheller ont surgi, et je ne parle
même pas de Clara Sheller [héroïne de la série de
France2]. J'ai récemment découvert que Sheller signifiait, en
fait, "casse-noix", en français. Si je traduis "William
Sheller", je m'appelle donc "Guillaume Casse-Noix"."
Pop-chanson
Les Beatles
Formé par un maître de musique, Yves
Margat - ancien élève de Gabriel Fauré - William Sheller,
adolescent, se destinait au classique. "J'étais programmé
pour être un compositeur casse-pieds, et puis les Beatles ont débarqué,
et avec eux un mélange de musique savante et de musique contemporaine qui
était le langage du temps, de la rue." Sheller vire au rock et
rejoint en 1966 le groupe niçois "The Worst". La suite est écrite
dans les hit-parades... "Plus de quarante ans après, j'ai toujours
mes vinyles des Beatles, notamment Sergent Pepper's, mon disque de chevet."
Côté chanson, William Sheller, américain par son père,
Jack Hand, contrebassiste de jazz, salue "les beaux textes de Brel, de
Ferré, de Lapointe, d'Aznavour, leur phrasé, leur attitude. J'ai
également usé sur mon autoradio la cassette de Terre de France,
de Julien Clerc, un grand mélodiste. J'aime aussi les chanteuses qui jouent
du piano : Véronique Sanson, Juliette et, bien sûr, Barbara, que
j'appelais "la Duchesse" et avec laquelle on s'entretenait durant des
heures de notre vision de la solitude".
Art
Edward Hopper
Depuis que l'on a vu dans des magazines des tapis
de Milou recouvrir les murs de son appartement, William Sheller est devenu collectionneur
de Tintin malgré lui. On lui en offre, il n'en est pas fou. Ce goût
de la ligne claire le pousse plus vers la peinture d'Edward Hopper que vers les
bédés d'Hergé. "Jean Guidoni et moi avions d'ailleurs
commencé l'écriture d'un opéra fondé sur les tableaux
de Hopper : Un train dans la mer. Le livret de Jean était sublime,
mais les producteurs n'ont pas suivi." Les illustrateurs à l'imaginaire
fort le séduisent. "Bilal, ses teintes, son trait. Druillet, sa
démesure, ses guerriers dessinés bouche ouverte, comme des chanteurs
d'opéra."
Musique classique
Stravinsky
Sheller
a notamment joué avec l'Orchestre national de Lille, dirigé par
Jean-Claude Casadesus. Ce dernier dit de lui: "William entend la musique
que les autres n'entendent pas." Au commencement de son histoire avec
le classique était Stravinsky. "Je l'ai écouté quand
j'avais 15 ou 16 ans. Il m'a bluffé. Stravinsky avait une inventivité
folle. Il imaginait des tempos extravagants, fréquentait les clubs de jazz
et croyait en son siècle." William Sheller joue du Chopin quand
il a le blues, le Requiem de Mozart "pour avoir la larme à
l'il", et se console avec du Beethoven lorsqu'il pleure. Sheller
a écrit des airs pour la diva Françoise Pollet, investi la salle
Pleyel, à Paris, avec deux Elégies pour violoncelle et orchestre
et signé, avec Catherine Lara, quelques compositions rigolotes : La
Tocatarte, Sonate d'alarme... "De l'humour à la Satie
pour décoincer un peu ce milieu." Lux æterna, messe
de mariage composée pour des amis (1969), se retrouve aujourd'hui sur des
compilations de musiques électroniques anglaises (Dirty Diamonds) et sur
des samples de rap japonais. "C'est un honneur... L'important est de passer
le témoin. J'ai cette notion de compagnonnage, qui vient de mon grand-père
décorateur à l'Opéra."
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Chemin de traverse : Intégrale. 16 CD et 1 DVD (Mercury/Universal).
En concert le 14 novembre au Théâtre des Champs-Elysées, Paris (VIIIe). Et en tournée.