Le Monde
29 octobre 2005
-Concert à l'Espace Argence de Troyes, 27 octobre 2005-

MUSIQUE.
Au festival des Nuits de Champagne, le chanteur célèbre trente ans de métier

L'univers proustien de William Sheller,un artiste à l'éclectisme raisonné

(par Bruno Lesprit)

 

TROYES. De notre envoyé spécial.


Au concert, William Sheller, chanteur dit de variétés mais de formation classique, fan de Stravinsky autant que des Beatles, aura tout exploré : du récital piano à l’orchestre symphonique. Curieusement, il n’avait qu’à une seule occasion choisi la formule chambriste : c’était en 1983 avec le quatuor belge Halvenalf.
Est-ce l’esprit schubertien qui souffle sur son dernier album (Epures) qui l’a amené à renouer avec cette forme aujourd’hui ? Le pianiste, actuellement en tournée, s’est arrêté à Troyes, jeudi 27 octobre, dans le cadre du festival Les Nuits de Champagne. Cette année, la manifestation centrée sur les valeurs sûres de la chanson française avait pour invité d’honneur Michel Jonasz, présent à l’Espace Argence pour le concert de son confrère.
Sheller a isolé quatre instrumentistes belges de son orchestre habituel. Ils se sont rebaptisés Quatuor Stevens, du nom du directeur musical et premier violon Nicolas Stevens. A la contrebasse, son complice Jean-François Assy. Au deuxième violon et à l’alto, Laurence Ronveaux et Eric Gertmans.

Messe rock symphonique

Le musicien a donc eu envie de célébrer trente ans de métier sans tambours ni trompettes mais tout en cordes, tour à tour tendres puis nerveuses. L’intégrale de son œuvre, Chemin de traverse, sera publiée le 31 octobre. Sheller n’a rien caché : on y découvrira des choses surprenantes comme une messe symphonique (Lux Aeterna), ce qu’il appelle ses «péchés de jeunesse» (des 45 tours un peu bébêtes), mais encore des musiques de films oubliées (comme Erotissimo de Gérard Pirès), et encore des quatuors. 
Soit trois décennies d’éclectisme raisonné. Car sous des dehors spontanés, Sheller est un compositeur à l’ancienne, avec ses cheveux blanchis qui lui donnent aujourd’hui l’allure d’un professeur de pensionnat anglais. Un amoureux de la belle ouvrage, qui écrit des partitions soignées. Pour l’occasion, il a conçu de nouveaux arrangements dont la finesse magnifie un répertoire qui a pu souffrir, par le passé, d’emphase wagnérienne et de synthétiseurs et batteries chargés.
Plus rien de tel aujourd’hui. Sheller dirige du piano et sacrifie intelligemment à ce qui lui sied : le classicisme, le romantisme mélancolique, l’école impressionniste française. Après une ouverture allègre, place à la mélodie et au contre-chant. Les nouvelles chansons d’Epures, les classiques (Maman est folle, Nicolas, Les Filles de l’aurore), les raretés (A l’après-minuit, les Orgueilleuses, écrite pour Barbara), bénéficient de la légèreté du quintette.
Sheller peut emmener son public où il veut, c’est-à-dire dans son univers proustien, en rappelant le contexte de chaque chanson : on traverse des chemins de pluie, on entre dans des maisons de campagne où les enfants goûtent de tartines de confiture et font déjà l’expérience de la solitude. Les madeleines de Sheller sont douces mais amères.

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* William Sheller et le quatuor Stevens, le 4 novembre à Val-de-Rueil (Eure), le 5 à Yerres (Essonne), le 10 à Bruxelles, le 14 novembre à Paris (Théâtre des Champs-Elysées)… Festival des Nuits de Champagne, jusqu’au 29 octobre.
* Chemin de traverse : 16 CD et un DVD (Parade au Cirque royal), Mercury/Universal
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