L'auteur-compositeur-interprète
fête trente ans de chansons par une intégrale, Chemin de traverse.
Une sortie couplée à celle d'un live enregistré au Cirque
Royal, à Bruxelles.
Evocation d'une carrière qui zigzague entre
les genres.
C'était en 1973. Lux
aeterna, messe de mariage que William Sheller a signée trois ans plus
tôt pour des amis, tombe dans l'oreille de Barbara. Qui le convoque, le
fait travailler sur La Louve et lui suggère: "Tu devrais
chanter." Il répond qu'il n'a pas vraiment de voix. Elle rétorque:
"Et alors? Moi non plus, on s'en fout. C'est le vrai, c'est le dire, au
fond, qui fait les choses." Aujourd'hui, l'histoire musicale de Sheller
est rassemblée dans Chemin de traverse, une intégrale qui
se veut pierre blanche célébrant trente années de chansons,
son premier album, Rock'n'dollars œuvre. "On a fouillé les cartons, les stocks.
Hier on restaurait les vieux films de Charlot et aujourd'hui on restaure mes bandes:
le vertige est là !", explique-t-il, le sourire aux lèvres.
Grâce
aux Beatles
Avec un père contrebassiste (amateur mais éclairé,
et américain, Jack Hand), une grand-mère ouvreuse au Théâtre
des Champs-Elysées et un grand-père décorateur à l'Opéra
de Paris, William Hand, de son vrai nom -Sheller étant une contraction
de Shelley et Schiller, deux poètes qu'il vénère-, a toujours
baigné dans l'univers du spectacle. A deux ans (en 1948), il reçoit
un petit piano en bois laqué. Les choses sérieuses commencent dix
ans plus tard avec l'apprentissage du piano et la volonté de devenir...
Beethoven. Il abandonne le lycée en 1961, lui préférant l'harmonie,
le contrepoint et la fugue que lui enseigne Yves Margat, qui fut l'élève
de Fauré. La révélation viendra avec les Beatles : il sait
à présent qu'on peut faire du rock sans renier la musique. Ses premières
expériences, il les fera sur scène avec "The Worst" (en
1966), puis à la composition pour "Les Irrésistibles".
Enregistrant
en France mais aussi en Angleterre (Albion) ou aux States (Nicolas),
du minimalisme (concerts en piano solo, Sheller en solitaire et Epures)
à l'orchestre (concerts en 2000, puis Live au Théâtre des
Champs-Élysées, et en 2005, suivi de Parade au Cirque Royal),
du rock pur et dur (Albion) au baroque (Excalibur, Le Nouveau
Monde) en passant par la symphonie (Symphonie de poche, créée
en 1995 sous la direction de Louis Langrée), William Sheller a toujours
suivi ses envies. "Je n'ai jamais été contraint par personne.
Et comme j'écris les textes, la musique, les orchestrations, que je sais
diriger une séance d'enregistrements, écouter un mastering et que
j'ai des idées assez précises sur les visuels de mes CD, cela soulage
tout le monde." Et convainc au-delà du public : il recevra trois
Victoires de la musique (en 1992 et 1994) et sera fait Chevalier des Arts et des
Lettres par Jack Lang en 1991.
Envie
d'opéra
Ces changements de registre sont en quelque sorte
devenus un genre en soi. Quand il débute, chantant "Donnez-moi
madame s'il vous plaît/ du ketchup sur mon hamburger", peu comprennent
qu'il pastiche les tubes des années 70 et lui collent l'étiquette
de chanteur commercial et/ou fantaisiste - qui, un jour, refusera le simulacre
du play-back. "Etre si vite catalogué m'a beaucoup gêné.
La seule solution était la fuite. Si on ne se met pas en danger, on n'avance
pas. Cela doit être terrible de chanter le même style de chansons
toute sa vie."
S'il semble avoir expérimenté une large
palette de champs musicaux, il en demeure un qui lui fait furieusement envie :
l'opéra. "Mais il faudrait partir d'un bon livret, ce qui est difficile
à trouver. Je ne pourrais pas le faire moi-même, ce n'est pas mon
métier, j'ai déjà tant de mal à écrire les
textes de mes chansons. Ou alors avoir deux ans devant soi : à moins de
s'appeler Wagner et de se voir livrer des caisses d'or par Louis II, il faut continuer
à travailler! "
"J'ai trouvé dans mon piano
quelque chose qui ne m'appartient pas", chante-t-il dans To you
(Les Machines absurdes). "J'aime cette phrase : ce qui tombe dans
ma tête ou dans mon piano ne m'appartient pas. Seul m'appartient le poste
de radio qui fait que j'entends un mi, un fa, un ré, un la." Jean-Claude
Casadesus (Orchestre national de Lille) dira d'ailleurs de lui : "Sheller
entend la musique que les autres n'entendent pas."
Musicien d'abord,
Sheller l'est évidemment quand il s'agit d'écrire une chanson. Certaines
musiques peuvent ainsi patienter plusieurs années avant de se voir décerner
un texte. Il a d'ailleurs dans ses cartons, enregistrées et mixées,
cinq musiques en attente de mots, dont certaines ont cinq ans d'âge. "J'attends
que les textes me tombent dessus. J'ai beau déployer les antennes... Et
puis je suis fainéant, il me faut des dates"- la prochaine échéance
: un nouvel album pour la rentrée 2006. Ses textes ? Entre poésie
et mélancolie, souvenirs et rêves, "Je ne fais qu'insinuer,
on dirait des conversations en cours. Chacun peut compléter avec son univers".
Saltimbanque
Sa
tenue fétiche? Une chemise, des baskets, un pantalon trois-quarts. Le trac,
il le combat en racontant les circonstances de création de ses chansons.
La scène, il ne pourrait s'en passer, ni exister sans la vie des personnages
qu'il y incarne et qui font de lui un saltimbanque. Sheller, un solitaire? "Quand
je travaille, j'ai vraiment besoin d'être seul. Le métier veut ça."
Un mélancolique ? "J'aime la mélancolie, cette espèce
de bouillon émotionnel qui peut aller jusqu'aux pleurs de joie. Aimer est
une forme de mélancolie, on attend l'autre, qui est en retard : pourquoi?
Ce petit sentiment bizarre qui fait qu'on n'est jamais sûr de rien... et
on aime cela." Un homme heureux? "Oui mais selon moi, le bonheur
est un cul-de-sac. Il doit être fugitif. Parvenir au bonheur oblige à
en chercher un autre."
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William Sheller, «Chemin de traverse» (intégrale en 16 CD), sortie le 31/10; «Parade au Cirque Royal» (live enregistré à Bruxelles en mars 2005), sortie le 31/10; «Parade au Cirque Royal» (DVD 30 titres enregistrés à Bruxelles en mars 2005 et une interview de Sheller par Patrice Gaulupeau), sortie le 31/10; chez Mercury / Universal.