24 Heures
27 octobre 2005

CHANSON
William Sheller célèbre trente ans de chansons avec une intégrale. Rencontre.

Le misanthrope qui aimait les concerts

(par Xavier Alonso)

 


«Lisez Cioran et vous saurez ce que je pense des hommes !» Dernières paroles de William Sheller pour clore un long entretien. Rencontre paisible dans sa chambre d’hôtel à Morges, entre cigarettes fumées goulûment et propos convenus mais sincères sur la beauté du Léman, qui s’étale par-delà la fenêtre dans ce doux après-midi de septembre. On a fini par tout de même demander comment les hoquets de la géopolitique ont affecté William Hand (59 ans depuis juillet), Américain par son père, Français par sa mère, et connu comme Sheller à la scène. «Je me fous de ce qui se passe sur cette planète. Je suis devenu misanthrope. Entre les heures de musique, les répétitions, les concerts, les heures de promotion, comment certains artistes font-ils pour avoir le temps de se tenir au courant ? Et de donner leur opinion. Les imbéciles, comment prétendre être artiste et donner son avis. Moi, je maintiens que distraire, c’est extraire du quotidien dans son acception la plus propre, et que c’est déjà pas mal.»
Entier mais jamais colérique, William Sheller. Surtout beaucoup d’intelligence, de nuances, et passablement d’humour pince-sans-rire dans son évocation de trois décennies de chansons. «Trente ans de maison des disques, c’est rare maintenant.»
Et pourtant, l’auteur-compositeur-interprète n’est pas tendre avec le music business. Aussi, c’est souvent la fête à la «promo qui n’a pas suffisamment exploité» tel ou tel titre du répertoire. «Ils ont toujours essayé de trouver dans Sheller ce qui ressemblait le plus au format Sheller. Evidemment, cela ne favorise pas la surprise.» Et des surprises, lui, l’auteur de ce grand œuvre en chanson, en a eu relativement peu en se réécoutant. «Je me suis demandé pourquoi j’avais mis de la batterie sur certaines chansons.» Il pense certainement à Nicolas (1978)… Peut-être une peur de ne pas être à la mode plus marquée à certaines époques. Des surprises, c’est l’auditeur qui risque d’en avoir, tant est riche le répertoire de cet ancien étudiant de la lignée Fauré, sevré au piano contemporain, et qui claqua sa carrière de concertiste après avoir écouté les Beatles.

Trop de formatage
Trente ans de chansons, cela donne donc des balbutiements, des erreurs, et des péchés de jeunesse qui, aujourd’hui, font document. «C’était une époque où on suivait un artiste sur deux ou trois albums. Regardez ce que l’on a appelé la nouvelle chanson dans les années soixante-dix, elle est toujours là. Et il y avait du monde : Souchon, Sanson, Voulzy, Chédid, Bashung… Depuis que les commerciaux ont pris le pouvoir, il y a trop de formatage.» On fait remarquer que ses débuts ont parfois les facilités des tubes du jour. Rires de l’intéressé : «Ceux qui n’ont pas aimé Rock'n'dollars à sa sortie ne pouvaient se douter que j’allais faire du symphonique plus tard».
Et William Sheller d’insister sur le rôle des concerts : vrai moment de rédemption pour les morceaux difficiles, et de découverte pour les auditeurs motivés. C’est là, dans cet espace, qu’il injecte des cordes pour catapulter en orbite les chansons boudées des radios, c’est là qu’il offre ses nouveautés et fait ses plus beaux cadeaux. Comme cet Homme heureux, créé d’abord sur scène lors de la tournée Sheller en solitaire (1990). «Le monde des gens qui se déplace pour voir un spectacle n’est pas tout à fait le même que celui qui achète des disques. Et depuis peu, avec le Net, on dirait que les gens gardent leur fric pour aller voir des artistes sur scène». [rires]
Paradoxe des années Star Ac’, William Sheller a disparu de la TV et presque des radios. En revanche, les salles de francophonie se remplissent sur son seul nom. «Cette intégrale, c’est une grosse bougie sur le gâteau d’anniversaire, et rien d’autre.» Concrètement, William Sheller enregistre un album classique en décembre et un autre de chansons en mars-avril. «Il me reste cinq bonnes pistes d’Epures que j’ai mises de côté. Mais il me reste les textes à finir, et ça, c’est dur !» 
Il y a trente ans, le pianiste virtuose William Sheller trouvait déjà que les textes, «c’est plus dur !»