Une intégrale généreuse
de 16 disques, comprenant des vieilleries introuvables et ses classiques au pessimisme
romantique, donne à l'homme-piano un air de vétéran inoxydable.
Rencontre.
Quelques semaines avant son concert bruxellois au Cirque
royal, l'auteur de Genève nous reçoit, shellerissime : chemise
jungle, pantacourts et chaussettes d'alpiniste dominant une paire de groles parées
pour le close-combat. Au fait, quel effet ça fait de se faire "intégraliser"
? "C'est très curieux, lance-t-il, parce que, en général,
on n'est pas vivant quand cela arrive !" [rires]. Ah si, il y a Aznavour
! L'année dernière, en discutant avec les gens d'Universal,
on s'est dit que cela ferait bientôt trente ans que j'étais dans
la maison ! On n'est pas des masses dans ce cas. Donc, on a commencé à
récapituler tout ce que j'avais fait, y compris des "essais"
de débutants, des trucs mal fichus, réunis dans le coffret sous
un CD baptisé Les Péchés de jeunesse..."
Mais encore ? Et quels furent les moments " les plus..." de sa carrière
?
- Les réserves d'Universal :
- "C'est une sorte de gros hangar avec des rayonnages sans fin, quelque
part en banlieue. C'est une horreur parce qu'Universal a longtemps tout
laissé aller ! Quand j'étais gamin, on me parlait de restauration
des films de Charlot, maintenant on restaure les bandes de Sheller, parce que
la bande magnétique souffre. Il a fallu aussi retrouver les anciennes photos,
et renégocier avec les photographes. J'ai été contraint de
revoir et de réécouter certaines choses que j'avais parfois oubliées".
- La plus belle chanson :
-
"On me dit toujours que la chanson phare, c'est Un homme heureux !
Moi, je dirais plutôt Le Nouveau Monde, qui date de 1987. Cela m'a
amusé de partir de la musique ancienne pour en faire quelque chose de contemporain.
Pour Un Homme heureux, j'ai quand même passé deux ans avec
la musique sans mettre de mots dessus : l'idée est finalement venue de
l'ambiguïté d'une phrase "Pourquoi les gens qui s'aiment/Sont-ils
toujours les mêmes ?". J'avais remarqué que, dans les très
vieux couples, les gens finissaient par se ressembler. A cette époque-là,
cela ne risquait pas de m'arriver ! " [rires].
-
Le souvenir de scène le plus intense :
-"Quand
j'ai commencé à être accepté par le monde très
fermé du classique ! Le premier concert à la salle Pleyel, à
Paris, où j'ai pu chanter avec un grand orchestre et faire jouer de la
musique devant le public classique. Mieux que cela : le premier concert au théâtre
des Champs-Elysées, où j'ai pratiquement été élevé
parce que ma grand-mère y était ouvreuse et mon grand-père,
décorateur. Gamin, je m'étais dit que j'y ferais quelque chose.
Je vais d'ailleurs le refaire à la fin de l'année".
-
Le moment le plus mégalo :
-"Quand
j'ai écrit Lux Aeterna, symphonie pour churs, orchestre et
instruments électriques, qui a été un flop intégral
(NDLR : créé en 1969, sorti en disque en 1975). Mais, depuis
un an ou deux, les Japonais et les Coréens s'excitent là-dessus,
ils en font même des versions pirates en vinyle ! C'est un réalisateur
de hip-hop, Dan The Automator, qui a commencé à sampler cet
album pour un groupe appelé Deltron 3030. C'est marrant de voir
comment l'histoire me rattrape".
- Le moment
le plus sexuel :
- "Peuh ! Je
ne trouve pas que ce soit un métier très sexuel, c'est un métier
qui isole. C'est valable pour les petites nanas qui ont une belle poitrine, sinon
être musicien, c'est plutôt la misère relationnelle. La tête
à l'envers, le syndrome de la chambre d'hôtel vide... Et puis, le
petit doigt qui titille dans l'oreille alors qu'on travaille sur l'ordinateur,
je déteste cela !" [rires].
-
Le moment le plus spirituel :
- "Quand
on a l'inspiration, cela arrive tout fait dans la tête, cela chante tout
fait. On a l'impression que cela existe ailleurs, qu'on en entend un bout et qu'à
partir de là il faut reconstruire tout le morceau. Ce n'est pas possible
d'être totalement matérialiste lorsqu'on entend la musique. Ma grand-mère
tirait les cartes et elle voyait des images qui étaient dans le futur.
Moi, je vois peut-être des musiques qui sont dans le futur. Le tout, c'est
de les écrire."
- Le moment le plus
snob :
- "Au début, ce
n'est pas désagréable d'avoir les meilleures tables au restaurant,
les meilleures suites, et de fréquenter ce que l'on appelle aujourd'hui
les people. On sort en boîte de nuit et on prend tout ce qui va avec,
liquide ou solide ! Et puis, à un moment donné, cela se tasse. Il
est vrai que je ne touchais même plus mon piano, je n'écrivais plus
de chansons, j'attrapais des boutons partout, littéralement. J'ai été
bourré de vitamines, et c'est passé. Le succès, la médiatisation
nécessitent une véritable désintoxication."
-
Le moment musical le plus exotique :
-
"J'ai bûché pendant deux ans sur un bouquin édité
par l'université d'Oxford et qui traitait du gagaku, la musique de la cour
impériale japonaise. Elle est exclusivement jouée devant l'empereur
par des musiciens qui se transmettent leur connaissance de père en fils
depuis l'an 800 environ... J'avais envie d'écrire une chanson autour, c'est
passé un peu au-dessus du plafond mais, quand les Japonais l'entendent,
ils savent tout de suite ce que c'est ! J'aurais voulu des musiciens traditionnels
japonais pour jouer la chanson mais on m'a dit que ce n'était pas pensable.
C'est comme si des rappeurs voulaient jouer avec des moines ! "
-
La sonnerie de William :
- "L'industrie
va mal, donc elle récupère de l'argent via les sonneries
de téléphone. J'en ai une ou deux qui se promènent. Bientôt,
je gagnerai peut-être plus d'argent par les sonneries de téléphone
que par la scène. C'est moins long à écrire [rires].
Il y a même des hit-parades de sonneries maintenant. A la limite, une sonnerie
se vend plus cher qu'un morceau complet. Où on va ?"
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Coffret "Chemin de traverse", fin octobre chez Universal, qui sort aussi un CD et un DVD "Parade au Cirque Royal".