Octobre 2004 :
William Sheller, bermuda beige, mollets à l’air et baskets à
lacets, gilet de reporter-photographe, présente son nouvel album, Epures,
devant une cinquantaine d’invités au Georges V, palace parisien plus
habitué aux va-et-vient des costumes et des robes qu’aux évolutions
de ce plagiste rêveur. Il avait prévu de chanter six chansons, échantillon
livré sur moquette rouge d’un album épuré donc, renouant
avec Sheller en solitaire, où figurait Un homme heureux,
voix-piano. Mais tout de suite le petit comité en veut d’autres,
toutes, les dix, de Mon hôtel au remake dépouillé
des Machines absurdes proposé sur Epures. Et William
Sheller s’exécute. Ni temps ni horaire, et toujours cette persistance
bonhomme à raconter avant chaque morceau ses secrets de fabrication :
une suite d’accords, un la, un cauchemar, un souvenir d’enfance.
Trois mois ont passé. Comment allait-on retrouver notre Tintin musicien
sur la scène des Folies-Bergère, où il annonçait dix-huit
musiciens en scène et toujours, bien sûr, son piano ? En baskets
à lacets, compensées, mais en tunique, plutôt chic. Pour donner
-sans compter les minutes, qu’on lui fasse confiance ! - à l’aube
d’une longue tournée française, plus de deux heures de spectacle,
vingt-six chansons en deux parties, plus les rappels, café, limonade, vin
blanc et cigarettes «pour les plus riches» recommandés
à l’entracte par le compositeur.
Seules quatre nouvelles chansons
extraites de l’album déshabillé font leur apparition dans
l’ensemble, sélectionné dans une carrière de trente
ans - à compter de Rock'n'dollars, tube au premier degré
composé au début des années 70-. Tout chez Sheller est à
géométrie variable, d’apparence identique, mais en changement
perpétuel. Les musiciens menés par le violoniste Nicolas Stevens
sont parfois dix-huit en scène, ou opèrent en réduction en
quatuor, en trio, ou disparaissent. Ils sonnent classique, mais le saxophoniste
joue façon rock des sixties.
Les violons emboîtent le pas à
la guitare électrique, la flûte se love en hindouisme avant-gardiste.
C’est un travail d’orfèvre, dans lequel ces quatre nouveautés
triées sur le volet prennent place sans crier gare. Loulou, aux
rappels, devient un classique du genre Sheller, au même titre que Nicolas
ou Maman est folle.
William Sheller, anti-jeune premier avec sa
coiffure au bol et ses mains musiciennes, est formidable quand il est abusif.
Quand il joue Excalibur en opéra rock, avec cors, trompettes et
rage, quand il bouscule Les petites filles modèles au basson ou
brode encore un peu plus façon Rameau sur Le Nouveau Monde. Tout
aussi abusives, ces épures, ces suites pianistiques qui poursuivent en
vain Oh ! J’cours tout seul depuis plus de vingt ans. Cet
excès qu’il sait recomposer, agencer, harmoniser, habite William
Sheller depuis Lux aeterna, messe rock composée en 1970, rangée
aujourd’hui dans la catégorie culte par l’avant-garde électronique
(à écouter : la compilation Dirty Diamond II).
Il peut aussi être lassant. Quand il parle trop ? Quand les chansons
s’étirent ? Treize chansons avant l’entracte, autant après,
mais la première partie est longue, et la seconde passe comme l’éclair :
le chanteur y peint avec maîtrise un paysage musical chamarré. Le
défaut est récurrent dans ses concerts. Mais chercher à expliquer
le comment de la langueur et le pourquoi du brillant serait percer le secret du
temps selon William Sheller.
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- William Sheller aux Folies-Bergère, 32 rue
Richer, Paris 9e, m° Grands Boulevards jusqu'au 12 février.
- Tournée
française du 22 février (au Zénith de Caen) au 16 avril (Le
Mans).
- Album : Epures, 1 CD Mercury-Universal.