Le plus musicien des chanteurs français sort un album minimaliste pour un résultat maximal. Et sa tournée s' arrêtera à Paléo.
On le dit méfiant, distant, limite muet, l'ermite retiré dans sa forêt de Sologne. Lunettes bleues sur le nez, l'homme assis sur le canapé d'une suite parisienne n'a pourtant rien à voir avec les clichés qui le poursuivent. « Je ne suis pas ce bonhomme triste que l'on présente si souvent, mais le témoin de mon temps. D'ailleurs, ce ne sont pas tant mes états d'âme que j'ai mis dans ces épures, mais un miroir tendu à mes contemporains. Vous me parlez de tristesse, c'est curieux, car si on compare ça avec les textes des jeunes groupes de rock ou de rap, moi, à côté, ce sont des bluettes. »
Des bluettes qui prendront bientôt la clé des champs pour une tournée, cette fois avec orchestre, comprenant quelques haltes en Suisse. « Dont une très belle, puisque je viens d'apprendre que je ferai le Paléo l'an prochain. Dans votre pays, vous avez su garder une capacité d'écoute qui n'existe plus ici.»
Tourbillon silencieux
C'est qu' il vaut mieux avoir les oreilles disponibles pour se laisser aspirer dans le tourbillon presque silencieux du nouveau Sheller, articulé autour de son seul piano. « Après de grands concerts symphoniques, j'avais envie d'un petit objet avec peu de mots, peu de notes, quelque chose de très épuré, d'où le titre de l'album. » Douze titres, dont trois instrumentaux, enregistrés à la maison, pour aller au bout de la démarche. « Je me suis mis à poil devant mon bon vieux piano avec qui je m'entends comme je peux depuis déjà quinze ans. J'ai voulu le faire chez moi pour trouver le son qui donnerait l'impression à l'auditeur qu' il est assis sur mon tabouret et que les chansons ne s' adressent qu' à lui. » Autant dire que la magie prend d'emblée, les mélodies sobres et mélancoliques de « symphoman » s' accordant à merveille dans ce climat de simplicité. « Cette option minimaliste n'est pas aussi facile qu' on ne le pense. J'aurais pu aller dans un studio immense, avec un grand piano, mais ç'aurait été un instrument froid, que j'aurais dû appendre à connaître, alors que dans le mien, j'ai l'avantage de pouvoir y cacher mes défauts. »
De faire éclore des trouvailles aussi, comme ce concerto pour la main gauche glissé entre deux titres. « Je mets ces morceaux pour piano car je me suis aperçu qu' on me faisait souvent signer des partitions. Certains aiment bien les jouer et ce truc pour la main gauche part d'une histoire toute bête, d'un exercice du matin où je bois mon café de la main droite pendant que je me délie l'autre en pianotant.»
Concerto pour l'autre
Plus qu'un clin d'œil, cette façon de vouloir partager explique peut-être pourquoi Sheller a toujours un pied dans ce showbiz que pourtant il déteste. « Si je n'avais pas voulu communiquer, j'aurais fait de la musique savante et passé le Prix de Rome comme le voulait mon maître de l'époque. J'enquiquinerais tout le monde en me prenant pour un génie, mais je n'ai pas envie de ça. J'ai la chance d'entendre des notes et je ne veux pas me priver de chanter celles qui me viennent, surtout si c'est un air populaire. » Un air, mais pas un format, l'artiste estimant ne pas faire le même métier que les vendeurs de tubes à la criée. « L'arrivée de gens comme Bénabar ou Vincent Delerm montre bien que le public a encore envie d'entendre des mots. C'est peut-être inhabituel, mais ça revient et je me réjouis d'en faire partie. »
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UTILE : William Sheller, Epures, Mercury (dist.Universal)