C'est devant une salle archi-comble que William Sheller s'est produit à l'Embarcadère. Rétrospective d'un concert qui a fait rêver le public pendant un moment jugé trop court.
Mi-Tintin, mi-Popeye par le physique, d'une finesse extrême en même temps qu'une densité évidente, d'une sincérité rare et d'un humour de tous les instants, c'est un artiste extraordinaire qui a captivé son public pendant deux heures durant ce samedi à l'Embarcadère. D'une gentillesse et d'une simplicité inouïes, William Sheller est sans doute l'un des plus attachants de nos chanteurs actuels, à la ville comme à la scène. Il est certainement aussi l'un des plus insaisissables, tant il aime à se promener au gré de sa fantaisie à travers tous les genres musicaux. Le parcours de cet artiste n'est pas des plus faciles à décrypter entre les histoires gentillettes de ketchup et de hamburger de ses premiers succès et la superbe exigence du pianiste solitaire d' Un homme heureux.
Depuis deux ans déjà, William Sheller va à la rencontre de son public, seul au piano pour des concerts intimistes qui ont recueilli des tonnes d'applaudissements tant il est vrai que les amateurs de belles chansons préfèrent cette formule sans fioritures, décors de luxe et chichis en tous genres. Véritable artisan de la chanson française, dans un contexte où c'est bien plus souvent les maisons de disques qui impriment à cet art populaire, une dimension exclusivement industrielle avec des méthodes marketing et publicitaires soigneusement élaborées.
Ce chanteur d'exception met un soin particulier à écrire et composer ses chansons. Sa méthode, pour le moins méticuleuse est de faire qu'à chaque syllabe décomposée d'un mot du texte de sa chanson, corresponde une note parfaitement identifiée. Le but ultime étant que texte et mélodie ne fassent véritablement plus qu'un. Cette démarche artistique très artisanale a fonctionné pour bon nombre de tubes qui ont jalonné la carrière de William Sheller. Le public, face au chanteur samedi soir a bien dû se poser la question : «Pourquoi en solo ? » L'anecdote mérite d'être relevée car William Sheller a fait un premier concert solo au début des années 80, contraint et forcé, puisque ses musiciens, suite à une altercation avec les douaniers belges se sont retrouvés coincés à la frontière. L'artiste s'est donc retrouvé seul face au public pour la première fois en 1984 et a ainsi donné son tout premier concert solo dans des conditions plutôt épiques. Depuis, cette formule dépouillée et intimiste qui sert parfaitement son répertoire, a séduit ce grand timide plutôt effacé.
Arrivé en catimini sur scène, c'est à peine si le public s'est rendu compte qu'il était là. Installé tout de suite à son cher piano, il s'est immédiatement adressé à la salle pour présenter son premier titre, Symphoman. A chaque chanson, des petites explications souvent très humoristiques qui ont achevé de séduire une foule déjà largement conquise. Les refrains se sont enchaînés avec Maman est folle, Nicolas, Le capitaine, Chanson lente, «L'air qu'il faut jouer quand on a quelque chose à se faire pardonner» (dixit l'artiste) et Les miroirs dans la boue suivis de Les filles de l'aurore.
L'entracte est annoncé par William Sheller lui-même en des termes qui ont amusé la salle : «On va prendre cinq minutes pour boire un jus d'orange et manger un gâteau, les plus riches pourront même fumer une cigarette». Impatients de retrouver le chanteur, les spectateurs ont vite regagné leur place pour se replonger dans la magie du moment. Ce qui était étonnant dans ce spectacle, c'est qu'on aurait pu entendre une mouche voler. Attentif, respectueux et subjugué, le public a été suspendu aux lèvres de William Sheller pendant toute la durée du concert. Pas de temps mort entre deux chansons, seuls les applaudissements fournis dérangeaient le calme de cette soirée. Le «clou» du spectacle a été bien évidemment l'interprétation de Dans un vieux rock'n'roll et Le carnet à spirale et là, c'est debout que les spectateurs sont restés pendant un très long moment. Un concert de cette qualité, c'est sûr, on en redemande.