Sud-Ouest
26 octobre 2001
-Rencontre avant un concert au théâtre Fémina de Bordeaux (27 oct.2001)-

Sheller, le chaînon manquant
(par Antoine de Baecke)




Dans la famille «chanson française», revoici l'outsider, celui qui ne fait rien comme tout le monde. William Sheller est en concert ce samedi au Fémina.


William Sheller a-t-il réellement changé depuis son choix d'un nom de scène hybride entre Mary Shelley et Friedrich von Schiller ? Emphatique et discret, impressionniste et surréaliste, seul au piano ou usant de «Machines absurdes», enfant du classique et de la pop, chantant avec simplicité des émotions d'une complexité délicate, heureux homme mélancolique. William Sheller, parfois, paraît aussi insaisissable que ses chansons nous sont intimes. Heureusement qu'il s'en explique de temps à autre. Sincère, mais répétant à l'envi, d'interview en interview, les mêmes notions essentielles.

Formé au piano et à la musique par un disciple de Fauré, il croise les Beatles sur sa route et fournit bientôt le tube My year is a day aux Irrésistibles, la messe de mariage Lux Aeterna à des amis, des chansons à Barbara, avant de suivre le conseil de cette dernière: «Tu devrais chanter». Avec une certaine répugnance, semble-t-il, mais pour ne plus cesser. Rock'n'dollars, son premier succès, avec sa supplique obsédante («Donnez-moi madame s'il vous plaît...») peut être vu, au choix, comme un fragment d'ironie mordante mal comprise, ou comme une compromission peu grave avec le music-business de l'époque.

Jeu de l’écriture

On le dit - et il confirme - musicien plutôt qu'auteur : «Un auteur, c'est quelqu'un qui a sans cesse besoin de noter des tas de choses sur des bouts de papier. Moi ce sont des mélodies qui me viennent spontanément, et je galère longtemps pour y mettre des mots. Prenez Jonasz : lui, il fait jaillir un texte et il essaie ensuite plusieurs musiques avant de trouver la bonne. Moi, c'est l'inverse.» Mais cet esthète qui se fixe parfois des défis formels pour pimenter le jeu de l'écriture peut-il passer à côté de la justesse de ses propres textes ?

Perfectionniste, «Il est important pour moi d'être considéré comme quelqu'un qui fait du bon boulot», dit-il pour éluder la question de l'image. Il est un inconditionnel de l'enregistrement en public, précisément pour les accidents de parcours : «Le live, c'est ce qu'il y a de vrai, quand c'est un vrai live, c'est-à-dire qu'il n'est pas refait entièrement en studio pour effacer les erreurs.» Dans celui, paru récemment, qui fut enregistré aux Champs-Elysées, pour un long et passionnant tour d'horizon de son œuvre, il recommence même trois fois une intro.

On le croit distant, secret, tout en sachant qu'il apprécie tout particulièrement la formule piano-voix solo, découverte paraît-il à l'occasion d'un accident de frontière qui le priva de ses musiciens et à laquelle il revient après chaque épisode en grandes pompes, et notamment pour cette tournée : «C'est beaucoup plus personnel, le rapport à l'humain est complètement différent, il y a de beaux silences, de belles écoutes. Ca me donne le temps de raconter comment viennent les chansons, aussi. C'est comme à la maison.»

Comme la vie

Avec «Les Machines absurdes», il a dit en avoir fini avec les albums. Il fallait comprendre «Le dernier dans le sens ou l'on doit passer par le disque pour créer de la musique. Cette façon de faire, c'est déjà terminé, le disque n'est plus un mode de création. L'industrie du disque se contentant de produire pour demain ce qui a bien marché aujourd'hui, il n'y a plus de création possible.» Comment s'y prend-t-on alors? «Je me contente de jouer de nouveaux morceaux petit à petit, de créer pour la scène. Après, on voit si je m'y retrouve. C'est un peu comme la vie nous emmène.» Voilà qui, en revanche, ressemble tout à fait à une chanson de Sheller.

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Demain samedi, à 20 h 30, au théâtre Fémina de Bordeaux.