Ex-rigolo variété version années 70 devenu discret, féru de solitude et de mélancolie, populaire intimiste au cours de la décennie écoulée, William Sheller se trimballe, au gré de ses rencontres et de ses envies entre classique, rock, variété, musiques de films (« surtout des comédies, mais j’aimerais aborder des projets à la Star Wars »), et même pubs (« ça fait le crayon, il faut être concis »). Indépendant, il rejette l’image froide et lisse qui lui colle depuis quelques temps. Les machines absurdes, son dernier album, fait même la part belle à une nouvelle marotte, la programmation. Un artiste qui sait être attachant, atypique et surprenant.
- « Première surprise, Les machines absurdes accordent une place inédite à la programmation. Quels sont les avantages de cette nouvelle approche technologique ? »
- « On arrive à écrire en imaginant des silences qui seront comblés plus tard par autre chose. On ne se sent plus obligé de composer de A à Z. Je me suis aussi aperçu qu’en écrivant de cette façon, je pouvais commencer à imaginer des sons qui n’existent pas, ce dont j’étais incapable auparavant. Je pouvais entendre une guitare, tout un orchestre. Mais un son qui n’existe pas, ce n’est pas possible. Il faut chercher ces sonorités, ce qui implique un travail de collaboration avec des personnes qui maîtrisent les ordinateurs. Ils me présentent des sons, et je leur donne mes impressions ; si je les trouve trop secs ou raides, ils les retrafiquent. C’est un travail de recherche que j’aime bien. Pour cela, il faut bosser à plusieurs, comme le fait Björk par exemple. »
- « Comment est née chez un musicien classique cette envie, ce besoin de s’ouvrir à de nouvelles techniques ? »
- « Le désir d’élargir le langage, le souhait d’autre chose que le traditionnel schéma guitare-basse-batterie. Ça ouvre des dimensions dans le visuel, dans l’imaginaire. On cherche des sons que l’on ne voit pas mais qu’on sent ; c’est plus profond. J’ai d’abord voulu entreprendre cela tout seul, dans mon coin, mais je me suis rendu compte que c’était infernal. »
- « L’électronique n’occupe cependant pas tout l’album. L’autre aspect, ce sont différentes aspirations, classique et rock… »
- « Tout s’est construit au fil du temps. J’ai dû écrire le premier morceau il y a cinq ans. Parce que je l’entendais de cette façon, sans me soucier de savoir si ce serait à la mode. Ce n’est pas un album sur lequel je me suis concentré pendant six mois, c’est un recueil de choses qui se sont produites sur une période de trois ou quatre ans. »
- « Trois ou quatre ans, cela ramène aussi à la sortie de Albion. Avec le recul, comment jugez-vous les réactions et le vécu de cet album ? »
- « Je dois avouer que, comme je sortais d’un album au piano qui avait très bien marché, ma maison de disques aurait souhaité que je réitère le principe… Mais à ce moment-là, j’avais envie de travailler avec des musiciens rock. Il en existe de très bons en France, mais je sentais qu’ils n’osaient pas, parce que c’était moi, "foutre la merde", jouer rock à fond. Alors, je me suis dit que j’allais travailler chez les "Rosbifs", parce qu’ils ne me connaissaient pas là-bas. Ils ont écouté les morceaux, et ont commencé à jouer un peu "destroy". C’est ce que j’attendais. Je ne voulais pas faire "genre" rock, propret. La maison de disques était comme une poule qui aurait trouvé un couteau… Pas facile à faire passer en radio ! Du coup, on m’a offert une vidéo affreuse, à la sauvette, genre clip à trois balles !
Ils ne savent pas comment travailler ce genre de musique. Mais j’en garde un bon souvenir. J’aime bien ce disque, car j’ai enfin pu faire l’album de rock dont je rêvais depuis les années 60. »
- « Le fait d’enregistrer un disque dans ce registre ne témoigne-t-il pas d’une volonté de sortir d’un carcan dans lequel vous commenciez à vous sentir à l’étroit, des "ballades mélancoliques au piano" susceptibles de convenir à tout le monde ? »
- « Ça semblait effectivement convenir à tout le monde, mais je n’avais pas envie de devenir le "Charles Dumont de l’an 2000". J’aime bien me trimballer, changer de genre. C’est vrai, un jour, j’ai eu envie de faire un truc au piano et puis après, j’ai voulu changer pour rencontrer d’autres personnes, sortir des routines, prendre des risques. »
- « Comment expliquez-vous, a posteriori, la performance réalisée par l’album acoustique ? »
- « Ah ça… C’était peut-être dans l’air du temps. Ma maison de disques a sorti Un homme heureux en étant persuadée que cela ne marcherait pas, parce qu’il était trop triste. Le titre a commencé à passer en radio, et de là, c’est parti. C’est assez étrange… Parfois, le "métier" a des engouements pour une chose sans qu’on sache à quoi cela correspond. C’est un peu "zarbi". C’est un album intime, cool, qui ne fait pas de bruit, et ne dérange personne… Je ne sais pas. Peut-être les paroles étaient-elles davantage mises en avant et les gens se sont retrouvés dans les histoires… »
- « Vous véhiculez une image d’un homme posé, pointilleux et méticuleux. C’est une perception erronée ? »
- « Non, on peut même aller jusqu’à "chieur". Cela ne me pose pas de problème, à partir du moment où quand on ne veut pas s’en tenir à de l’à-peu-près, on choisit en conséquence les gens avec qui l’on travaille. Sur le plan de l’écriture, il m’est déjà arrivé de prendre des jours de retard en studio parce que je réalisais que mes textes étaient plats, nuls. Ça faisait "j’y crois pas". C’est parfois facile d’être une caricature de soi. »
- « Ce qui donne quoi, concrètement ? »
- « Le plus souvent, on reprend ce qu’on disait quinze ou vingt ans auparavant. Evidemment, quand on compte une dizaine d’albums à son actif, on ne sait pas toujours quoi raconter d’autre. Parfois c’est juste une phrase qui déconne, et je n’arrive pas à trouver ce que je cherche, surtout que je ne veux pas mettre n’importe quoi. Il ne faut pas que cela ait l’air "bateau". Le français est plus exigeant que l’américain. Ou alors ça tombe dans les 2BE3. Mais les Français aiment bien la particularité, qu’il y ait un contenu, qu’on puisse suivre et s’y reconnaître. Le texte prend plus d’importance en français. »
- « Surtout de la part de Sheller, on attend une "griffe mélancolique", devenue comme une marque de fabrique. »
- « On m’attend surtout au tournant ! [rires]. Il y a effectivement encore une mélancolie latente là-dedans. »
- « Elle correspond à un état d’esprit ou est-elle à interpréter comme un exutoire ? »
- « C’est peut-être le trauma de mon premier album, avec Rock'n'dollars, le côté "tagada tsoin-tsoin". J’avais fait ce morceau-là pour me foutre un peu de la gueule des tubes de l’époque, où on mettait des mots en anglais pour se donner un genre… C’était vraiment le morceau bouclé en cinq ou dix minutes en studio, pour faire rigolo. Problème, ça s’est retrouvé au premier degré, dans les émissions de télé en compagnie des mêmes personnes que j’étais en train de caricaturer. La première fois que je suis passé à la télé, c’était dans la rubrique "La chanson idiote"… Depuis, j’ai toujours eu la trouille d’écrire des textes marrants. »
- « Les titres traduisent finalement vos humeurs sur près de quatre ans. Comment a évolué votre état d’esprit durant ces années ? »
- « Je ne vais pas dire que je me suis éparpillé, mais j’ai commencé à un moment, puis j’ai eu des commandes pour faire des plans classiques ; des tas de projets. A d’autres moments, j’ai tout arrêté, comme lorsque ma petite mère m’a ramené un cancer. Je suis resté à m’en occuper pendant un an. On ne va pas lâcher les siens pour faire de la musique, surtout quand on sait qu’ils vont partir. Quand on aide les gens, il faut se "désensibiliser" pour être efficace. Après, quand on se remet à vouloir écrire des chansons, c’est un peu difficile… La musique, ça va, je la subis. Mais je ne suis pas un auteur. Certains subissent le fait d’écrire, les idées de phrases leur tombent comme ça, toute prêtes. Pas moi. »
- « Après une dizaine d’albums, que ce soit en émotion, en décalé, vous êtes pourtant reconnu également pour vos textes, sans pour autant qu’on imagine le côté besogneux, voire laborieux… »
- « Oui, besogneux et laborieux, mais justement pour que ça ne paraisse pas laborieux au final. Il faut que je trouve une idée, et ensuite, je fais appel à ce que j’ai de bien, ce que j’ai pu lire, ça peut aller de Eluard à Cocteau, de Gainbourg à Trénet… Ce n’est pas piquer les mots ou les phrases, mais les angles de vue. Et j’aime bien quand c’est un peu "twisté", comme une chanson où je dis : "Il pousse autour de ma fenêtre une maison vide"; j’aime détourner les choses de cette manière. Je n’utilise pas un vocabulaire très étendu, mais je cherche simplement à agencer les mots le mieux possible. Pour donner l’impression que ça coule comme au détour d’une conversation, qu’on n’ait pas le sentiment que c’est chanté. Parce qu’en plus, je ne suis pas un chanteur. Je ne peux pas chanter n’importe quelle voyelle sur n’importe quelle note. C’est Barbara qui m’a dit : "Tu devrais chanter". Je lui ai répondu que je n’avais pas de voix. Elle m’a répondu : "Moi non plus, on s’en fout ! T’es pas un chanteur, t’es un diseur. C’est pas la même chose". »
- « Votre timbre de voix est pourtant caractéristique… »
- « Oui, un peu comme Jane Birkin ; on finit par s’y habituer ! D’ailleurs, Gainsbourg non plus n’avait pas une grande voix, il avait un "dire". »
- « "Discret", c’est un qualificatif qui vous convient ? »
- « Oui. Si on perd sa disponibilité pour vivre uniquement dans le "show-biz", arrive un moment où cela ne va plus. C’est super sympa de se laisser happer par le phénomène star. Mais on finit par ne plus avoir de contact avec la rue. Si c’est pour passer son temps dans sa limousine, dans les endroits chics, on n’a plus de mots à partager avec les gens. Je continue à mener une vie normale, dans mon quartier, discrètement. »
- « Une attitude qui vient après des abus, que vous évoquez dans le livret de Tu devrais chanter. »
- « Il y a eu des moments de ras-le-bol, la dope et tout le bazar, pour tenir le coup. Au début de ma carrière, je sortais un album tous les ans, incluant la promotion et le reste. Parfois, dans des émissions un peu con-con où tout le monde claque des mains à la fin. La petite ligne dans les toilettes avant l’enregistrement, ça rend joyeux. On peut tenir une conversation avec une chaise ! »
- « En parler à présent est facilité parce que c’est une époque lointaine et révolue, ou c’est au contraire une volonté d’exorciser ? »
- « C’est une époque révolue, et même si cela ne se savait pas partout, j’étais loin d’être le seul… Au début, j’ai trouvé cela pratique. Mais ça dépasse rapidement le côté utilitaire. On se lève le matin et on se dit : "J’ai plus qu’une ligne, qu’est-ce que je vais faire à midi ? " Et en plus, ça coûte cher ! [rires]. Je n’en ai pas parlé pour me vanter, mais c’est une histoire qui peut arriver à n’importe qui découvrant le métier. Les ecstasy qui font rigoler et tout le reste, je l’ai vécu de la période psychédélique jusqu’au milieu des années 80. »
- « Quels sont les éléments récurrents à "l’univers Sheller" ? »
- « La solitude, c’est certain. Un peu par envie et aussi par fatalité, parce que quand on est dans le milieu de la musique, on n’est pas disponible. Il y a le bon côté de la solitude, et son revers, le fait d’être régulièrement laissé pour compte, le complexe d’abandon. C’est une constante. En revanche, je n’écris jamais un texte en rapport avec le quotidien ou l’actualité, ou alors par des métaphores, parce que je pense que ce n’est pas parce qu’on passe à la télé qu’on sait mieux que les autres de quoi il retourne. Prendre position au niveau social ou politique, je ne sais pas le faire ; je n’ai pas les mots et d’autres font cela mieux que moi. Un jour, on m’a dit : "Pourquoi y’a pas de gros mots dans Sheller ? " Je ne sais pas… Parce que je n’y pense pas… Si vous en voulez, écoutez Miossec ! »
- « Un côté désabusé, comme dans J’suis pas bien. »
- « Oui, mais cela rejoint ce que nous disions auparavant. J’ai écrit la chanson après être rentré un matin poudré comme un mille-feuille, alors que je ne pouvais plus fermer l’œil. A un moment, je ne touchais même plus mon piano ! »
- « Avec près de 30 ans de carrière, quel regard portez-vous sur l’évolution de la musique depuis la fin des années 60 ? »
- « J’ai longtemps trouvé dommage que les générations qui ont suivi les années 60 n’aient pas inventé leur style. Il y a eu des mouvements intéressants, punk, new-wave, ou quand sont arrivés The Police et Blondie. Il y avait là un ton nouveau, même s’ils ne faisaient que reprendre ce qui se faisait déjà avant les Beatles. En revanche, le hip-hop, la techno, c’est nouveau. Ça va de plus en plus dans un sens qui me plaît. C’est presque déjà des poncifs, mais je trouve Portishead ou Massive attack fabuleux. C’est une musique d’images, je visualise des choses. Alors qu’avec du rock, j’entends un mec qui chante et je vois un groupe qui joue. Ça prend des dimensions qui me rappellent le classique : il y a de la profondeur, des sons qui évoquent beaucoup. C’est dans cette direction que je bûche en ce moment. »
- « Peut-être aussi parce que c’est moins agressif ? »
- « Oui… Mais je dois avouer que j’écoute aussi Marilyn Manson en cachette. Pas pour le personnage et tout le bazar, mais j’adore la façon dont c’est produit. »
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La discographie albums
- Lux aeterna (72)
- Rock'n'dollars (75)
- Dans un vieux rock’n’roll (76)
- Symphoman (77)
- Nicolas (80)
- J’suis pas bien (81)
- Olympia 82 (82)
- Simplement (83)
- William Sheller et le quatuor halvenalf -
Olympia 1984 (84)
- Quatuors (84)
- Univers (87)
- Ailleurs (89)
- Sheller en solitaire (91)
- Carnet de notes (compilation
d’enregistrements originaux
de 75 à 92 : Symphoman, Nicolas,
le Nouveau Monde et Sonatine - 93-)
- Albion (Mercury, 94)
- Tu devrais chanter (Mercury, 98)
- Les Machines absurdes
(Mercury, 2000)
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WILLIAM SHELLER
Les Machines absurdes
(Mercury-Universal)
William Sheller, en près de trente ans de carrière, a semé ses mélodies dans tous les esprits, même les plus retors. Que ce soit en finesse, en mélancolie, en dérision, au second degré ou en sincérité, il impose une patte. Dépouillé (voir l’énorme succès de Sheller en solitaire) ou très orchestré. A dominante rock ou classique. En variété ou en pop. Quel que soit le style, il balade une forme de nonchalance, un regard personnel. Son dernier album studio en date, Albion, avait surpris : trop rock par rapport à ce qu’on attendait de lui à ce moment-là. Pour Les machines absurdes, Sheller est donc revenu à une musique moins désarçonnante, d’inspiration classique. Le titre choisi n’est donc pas une sortie intégriste contre l’évolution musicale de la part d’une tenant de l’orthodoxie classique. Au contraire, la nouveauté, c’est le recours, encore discret, mais pas encore le plus convaincant, aux programmations (Misses Wan, Enygma song, Les machines absurdes). C’est a contrario dans sa veine d’inspiration classique que cet album s’avère le plus touchant : Parade, To you, Moondown. Cordes langoureuses, clarinettes charnues et trompettes dodues tissent des mélodies sur lesquelles le phrasé délié de Sheller se pose à merveille. La vilaine maison diffuse à ce titre un charme primesautier, faussement désuet, d’obédience début de siècle. Des Machines absurdes qui caractérisent leur créateur : un orfèvre de la mélodie épris de mélancolie et de solitude.
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