La première partie, déroutante, est suivie d'une heure plus ravissante. William Sheller a «coupé» son nouveau spectacle en deux. La première partie, de douze chansons, se noie dans des complications orchestrales d'où émerge Moondown, ballade brumeusement bretonne, joyau de son nouvel album Machines absurdes. La seconde partie est plus Sheller, où l'enchaînement contrasté des titres et les dix-neuf musiciens qui l'accompagnent contribuent à remettre le plaisir en place.
Peut-on rêver plus étrange composition que Moondown, ballade nostalgique, brumeusement bretonne, arrangée aux cordes, basson, guitare électrique et flûte ? William Sheller, l'homme aux baskets compensées et abusives (des Caterpillar, marque prisée des adolescents), a fait de ce joyau l'un des pivots de son nouvel album, Machines absurdes («Sur le chemin montant qui passe au pays d'Arwen entre le diable et le vent... elle est entrée au domaine…»)
Cette délicate distance prise envers les machines précisément lui a évité de tomber dans la répétition parfois diffuse qui marque l'art informatisé. Mais Moondown a jeté un sort sur la première partie du nouveau spectacle de William Sheller. Remis à (l'excellente) sauce de cette chanson star, bouffeuse de l'énergie d'autrui, les douze titres chantés lors de la première des deux heures que compte ce récital se noient dans un flot de complications orchestrales. Une heure de mélodies cassées faute d'être immédiatement intelligibles, d'où il est difficile d'extraire la beauté selon Sheller, mélange de chic rock, d'élégance symphonique, d'humour léger. Du flippant Basket-Ball au triste Nicolas, du tube Oh ! J'cours tout seul au très sansonien Photos-souvenirs, extrait de son premier album paru en 1975, ces chansons habituellement plus droites sont livrées en spirale au milieu des nouvelles (Moondown, donc, Sunfool ou To You).
Est-ce leur enchaînement, le choix d'un tempo lent ? On finit par compter les musiciens, qui ne sont pas des moutons, mais sont dix-neuf jeunes joueurs de violon, de trompette, de violoncelle, de cornet, de contrebasse. En jeans déchirés et vestes d'apparat (Nicolas Stevens, violoniste et directeur de l'ensemble), guitaristes très électriques ou cornettiste guilleret exécutent avec talent des prouesses harmoniques, silhouettes en constant déplacement sur fond de lumières mouvantes (Dimitri Vassilu).
Eclaircissement
Que se passe-t-il à l'entracte? William Sheller aime la scène car il peut y expliquer la genèse de ses chansons avec une drôlerie et une grâce dont le public ne se lasse pas : «Mon père [contrebassiste de jazz] s'est retiré en Floride, au bord de la mer, il met trois pulls car il trouve qu'il ne fait pas chaud, c'est un homme heureux.» Il donne des conseils avant la seconde mi-temps : boire un verre, «fumer une clope» avant de revenir à la musique, délaissant ses parures trop incertaines de «cancer, ascendant balance né à la Cité des fleurs» (biographie officielle).
Requinqué par une simplicité retrouvée (Centre-ville à la voix et au piano, auxquels s'ajoute une trompette pour Un homme heureux), William Sheller abandonne son costume de «symphoman» pour revenir aux charmes de l'année 1976 (Dans un vieux rock'n'roll, Le carnet à spirale), cultiver ceux de son disque le plus pop art, Albion, sans oublier d'y inclure le tout nouveau Indies, méditation musicalement très orientaliste sur la condition humaine.
Quelle différence y a-t-il avant et après l'entracte? Les musiciens sont les mêmes, le dosage des chansons (anciennes, nouvelles) identique. Mais les jeunes compagnons de scène de William Sheller interviennent davantage en ordre dispersé. Cet éclaircissement des rangs, doublé d'un enchaînement plus contrasté des titres, suffisent à remettre le plaisir en place. Un quatuor de cordes interprète une pièce composée par Sheller, Script, délicate, enjouée, complexe, on ne se lasse pas. Lui, se met au piano et chante «une vieillerie» par-ci, une farce par-là (Maman est folle). Il nous ravit. Ne manque que l'Aria Dax, pour siffleuse et orchestre, composé voilà cinq ans pour la comédienne Micheline Dax. Car rien ne sert de partir battant, il faut aussi en rire.