Libération N°5840
25 février 2000

-Concerts à L'Olympia du 22 février au 2 mars 2000-

Chanson
Dans la foulée d'un nouvel album, retour fébrile à l'Olympia.
Les airs de Sheller

(par Ludovic Perrin)




Il arrive sur scène simplement vêtu d’un pantalon de survêtement, d’une surchemise noire et blanche, de tennis à semelles épaisses. Depuis une poignée d’années, c’est le look Sheller. Vestimentairement, le bonhomme a toujours tâtonné dans les embruns kitsch. En musique en revanche, l’auteur-compositeur-arrangeur hésite plus rarement. Mais Sheller appréhende l’Olympia, salle bourrée de fantômes. Après trois semaines de rodage en province, il se sent encore fébrile dans un lieu où il s’est pourtant déjà produit, seul au piano ou selon la formule actuelle.
Surprises. La queue démesurée d’un piano sert d’estrade aux dix-neuf musiciens. Il y a des cordes, des cuivres, une batterie et des guitares électriques, le limon d’un rock symphonique affirmé à la fin des années 80 avec l’album Univers. Une de ses pièces, Le Nouveau Monde, « haendelienne » comme il la définit lui-même, annonce les deux heures de concert. Mèches oxygénées, veste lamée or, jeans déchirés, le chef d’orchestre (1) a des allures de petite frappe sympa. Sous sa férule, l’ensemble classique exécute avec majesté la partition apprise par cœur.
William Sheller jouera la moitié de son dernier album, Les Machines absurdes. Délestées de leurs boucles électroniques, les nouveautés s’installent, encadrées de jalons : La tête brûlée, Basket-ball, ou Oh ! j’cours tout seul, qui asseoit le show. Le son puissant d’un saxophone dégrippe les rouillures du standard. De profil, Sheller-Casque d’or capte la lumière, dompte, les phalanges agiles, le clavier. Progressivement, le spectacle libère ses surprises. Nuances gorgées et dénudées, elle s’organisent en trio, piano, basson, contrebasse (To you), ou sous la forme d’un sextuor aérien (vents et cuivres sur Le Carnet à spirale). Quand reviennent les décibels, le bonhomme a quitté son instrument. Dos voûté, lobotomisé, arpentant les planches de long en large dans une lente montée de l’angoisse. Les ombres révèlent un visage triste et anguleux : « Ma vie elle s’en va toute seule/Loin du mal de toi/Vers des heures bizarres/ De ce que j’appelle, même/Une solitude ordinaire… » (Sunfool). Entracte.
Loin du « best-of ». Calme retour sur Centre-ville, faux tube piano-voix qui accompagna, il y a deux ans, la compilation Tu devrais chanter. Du best-of, Sheller s’écarte tant qu’il peut. Ramenées à la formule du quatuor, les cordes exécutent une de ses écritures classiques, Script. Le chanteur, jusque-là laconique, parle soudain. Ailleurs, il introduisait ses chansons par de longues anecdotes. Il dit qu’il pense à son père, éloigné en Floride. Qu’il compte l’inviter à jouer prochainement avec lui. C’était un contrebassiste de jazz, un trompettiste improvise donc sur Un homme heureux. Le coït inassouvi d’avant la pause-cigarette reprend en fanfare : Les filles de l’aurore, Indies (Les millions de singes), Quand j’étais à vos genoux. En transe, Sheller oublie son corps, la folie l’a gagné, pantin désarticulé sur un mouvement nijinskien. Final applaudi à tout rompre, l’artiste vient saluer lèvres pincées, mèche décoiffée, dissimulant mal un bonheur lacrymal.

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- William Sheller à l’Olympia jusqu’au 2 mars, et en tournée jusqu’au 12 avril.
- CD : Les Machines absurdes (Mercury-Universal)


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Note du site :
(1) Le chef d'orchestre était le violoniste Nicolas Stevens.