L'Hebdo
3 février 2000

William Sheller
Sonatine pour piano fabuloso
(par Isabelle Falconnier)



Quelques années après Rock’n’dollars, la chanson qui le fit chanteur en 1974, William Sheller, ne supportant plus la célébrité, alla consulter. Pas de chance : le psychiatre venait d'arriver en France et, croyant que son patient affabulait, le pria de garder pour lui sa haine de « Donnez-moi Madame s'il vous plaît du ketchup pour mon hamburger ! » Or le Tintin lunaire, le protégé de Barbara à la voix aussi blanche que son teint, était en passe de résoudre l'équation impossible : concilier musique classique et variété, vison et baskets, cordes et machines. Depuis, Sheller s'est débarrassé de son psy et son entreprise kamikaze a définitivement tordu le cou à son image de lutin rock’n’clown. Les tubes kitsch en forme de « casseroles aux fesses » ont cédé le pas à ses penchants mélancoliques dominants, revendiqués jusque dans son nom d'artiste, contraction des icônes romantiques Schiller et Shelley. Prix de Rome de composition, « Symphoman » passe vingt-cinq ans en équilibre à la frontière d'un no man’s land de sectarisme sonore, enchaînant les chansons nobles et sentimentales, les musiques de film, les concertos pour violon pour Catherine Lara ou les jingles du générique du 20 heures de TF1. Le (très) grand public s'en empare avec Un homme heureux en 1991 et crie au génie lorsque « Sheller en solitaire » affronte seul sur scène son piano et le public. Le Nouveau Monde, autant classique que génialement barbare, brouille à nouveau les cartes et lui permet d'expliquer opportunément qu'il fait « de la macédoine symphonique pour péplum imaginaire ». Il est alors temps : Albion donne un bon coup de pied dans le Steinway et Sheller, fils spirituel de Barbara, de Bach et des Beatles, part en Angleterre « faire des trucs avec des guitares électriques et tout ça ». C'était en 1994. Depuis, rien, mis à part une compilation qui semblait confirmer la traversée du désert. Les machines absurdes, OVNI testamentaire - il jure qu'on ne l'y reprendra plus à pousser la chansonnette -, fait défiler son parcours versatile. D'un duo piano-basson (To you) à un nocturne trip-hop (Les machines absurdes), d'une Chine de supermarché (Misses Wan) à la musique de chambre (Parade), ce cauchemar des colleurs d'étiquettes a trouvé dans son piano « quelque chose qui ne lui appartient pas », un monde en suspension à l'intérieur duquel les initiés vivent des instants d'émotions pures, gratuites, aériennes. « Des instants sous opium », dit-il.
Au moment de passer des coulisses à la scène, Sheller a à chaque fois en tête l'image d'un gant qui se retourne. Et prétend que ce qui le rend heureux, c'est de rester dans la mémoire des gens. Ça plane pour William Sheller.

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* Les Machines absurdes. William Sheller. Mercury.
* Pully. Octogone. Samedi 5 février, 20 h 30.