Ouest France
15 janvier 2000

Il sort un nouvel album enregistré  à La baule, Les Machines absurdes
William Sheller, l’esthète solitaire
(par Jean Théfaine)


En 1991, William Sheller avait séduit la France avec Un homme heureux. Lundi, il sort Les Machines absurdes, un album habillé de cordes en majesté et d’électronique raffinée. Rencontre avec un artiste rare, discret et exigeant.

Visage émacié, sourire énigmatique. Dans son paisible appartement parisien, au cinquième étage d’un bel immeuble ancien, William Sheller reçoit avec une courtoisie sans faille. Il évoque les six années écoulées depuis l’album Albion, à la couleur quasi hard-rock ; ses escapades à Vienne, « La Mecque de la musique », pour écrire des quatuors et boire un café dans l’établissement que fréquentait déjà Beethoven ; sa symphonie et ses pièces de chambre, créées salle Pleyel, à Paris, par l’orchestre des Concerts Lamoureux ; son envie de composer pour Hallyday, Pagny, Vanessa Paradis et Jane Birkin ; son enfance à Pontmain (Mayenne) chez une tante, entre 7 et 9 ans ; la Bretagne et la Vendée, où il dit avoir son meilleur public. Morceaux choisis d’entretien.

A la Baule. - « Pour cet album j’ai étrenné un camion entièrement équipé qui s’appelle Voyageur1. On l’a installé au pied d’une maison que j’avais louée à La Baule. Les fils montaient dans ma chambre où j’enregistrais. Si, après dîner ou le matin, on avait envie de travailler, on le faisait. Tout était à disposition en permanence, contrairement à un studio traditionnel, où il y a des contraintes horaires. Une expérience très intéressante. »

Texte et musique. - « Parce que je suis avant tout musicien, c’est toujours la musique qui naît en premier.  Je suis auteur par conséquence mais ce n’est pas ma nature. Je n’ai pas l’urgence d’écrire. Pour moi, c’est même très laborieux. Parce que je ne me satisfais pas d’un à-peu-près. »

Le vilain petit canard. - « Quand j’étais môme, j’ai été un peu rejetté, isolé, parce que je n’avais pas la même façon de penser que les autres. Aujourd’hui je suis content : on paie pour me voir ! C’est l’éternelle histoire du vilain petit canard, quoi ! [silence, puis rire] Je ne suis pas un beau cygne non plus ! Maintenant que je suis adulte, disons que je suis mieux dans ma peau. Je nage dans ma mare et je suis tranquille. »

Rire et mélancolie. - « J’ai une réputation de personnage triste, or ce n’est pas vrai. Dans la vie, j’aime bien rigoler aussi. Mais je me méfie. En 1975, mon premier succès personnel, Rock'n'dollars, avait été catalogué illico chanson idiote. Après, on n’arrêtait pas de me dire : "Tiens, voilà le chanteur rigolo". Je n’ai aucune envie de me laisser enfermer là-dedans. Donc, tout ce qui peut être amusant, j’évite. »

Barbara et la solitude. - « Dans les années 70, Barbara m’avait demandé d’être son arrangeur. Pendant six mois, j’ai littéralement vécu à ses côtés. C’est elle qui m’a dit un jour : "Tu devrais chanter". J’ai objecté : "J’ai pas de voix". Elle m’a répondu : "Moi non plus, on s’en fout". Elle voulait me faire comprendre qu’il y a autre chose que le chant. On partageait la même attitude vis-à-vis du métier, et puis aussi le sens de la solitude. [silence] C’est assez inexplicable, ce besoin d’être seul, parfois. Quand on a en soit ce sentiment, il arrive qu’on ne puisse pas supporter la présence de quelqu’un dans la maison. On ne va pourtant pas jeter les gens dans la rue en leur disant : "Va faire les courses, tu reviendras ce soir !" Ce n’est pas possible. Alors, on essaie de s’y faire. Avec Barbara, on parlait souvent de ça. On avait en commun le sens de la solitude, oui. »

Conservatoire et saltimbanque. - « Au conservatoire, j’ai eu un professeur de piano qui était l’élève de Fauré, lui-même élève de Saint-Saëns, lui-même élève de Liszt. Chez mon maître, cette filiation pesait très lourd. Le pauvre homme ! Quand je lui ai annnoncé que je voulais me répandre dans la musique populaire, il m’a dit : "Avec le bagage que vous avez, vous n’allez tout de même pas faire le saltimbanque !"  C’est pourtant ce que je suis devenu. [silence] Le jour où une de mes œuvres classiques a été créée à Pleyel, j’aurais bien voulu qu’il soit là. Pour lui montrer qu’on pouvait à la fois être un saltimbanque et que ce qu’il m’avait donné servait à quelque chose. Il est malheureusement décédé avant. »

Une maison en Irlande. - « Il y a beaucoup trop d’agitation, d’agacement général, en cette fin de siècle. Les gens se heurtent les uns aux autres. J’ai envie de me retirer un peu de tout ça, de laisser passer la vague. Alors, en bon ermite, j’envisage de prendre mon balluchon et d’aller m’installer en Irlande, sous deux à trois ans. Entre Dublin et Cork, j’ai trouvé un petit coin avec un microclimat sympathique. Les gens y sont très gentils.  Maintenant que la technologie le permet, j’installerai là-bas un petit studio pour pouvoir travailler. Et puis il y a Internet… Pourquoi l’Irlande ? Parce que les racines de mon père, qui est américain, sont à la fois irlandaises et écossaises. Donc, j’aime bien aller renifler par là. C’est un pays qui a besoin de se peupler, qui se construit. Ici, en France, on a une impression de surpopulation, d’ambiance où il faut tenir les murs pour que ça ne se casse pas la gueule. »

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- CD Les Machines absurdes. Mercury/Universal, 39 mn, 10 titres.
- En concert avec vingt musiciens à Caen (9 février), Laval (10 février), Quimper (12 février), Paris/Olympia (22 février au 3 mars), Rennes (14 mars), Nantes (15 mars), le Mans (18 mars).