L'Humanité
14 janvier 2000

William Sheller
Tintin au pays des machines absurdes
(par Victor Hache)



Après six ans d'absence, William Sheller sort un nouvel album dont on dit qu'il pourrait être le dernier. En attendant de partir en tournée et d'effectuer sa rentrée sur la scène de l'Olympia dans quelques semaines. Il a l'art de marier les sonorités du piano à celles du violon, via l'ordinateur. Fils spirituel de Mozart et de Paul McCartney, le "symphoman " aime toujours autant le classique que le rock. Rencontre avec un rêveur.


D'un caractère réservé, William Sheller n'aime pas faire parler de lui. Pourtant, au moment de la sortie des Machines absurdes, nouvel album dont on dit qu'il pourrait être le dernier, le chanteur a bien voulu nous recevoir chez lui pour en parler, en toute simplicité : "C'est plus sympathique que de se rencontrer dans un bistrot", dit-il.
Sheller habite un lumineux appartement parisien. Sur un des murs, on peut voir un tableau de Lolita Lempika, "une reproduction", tient-il à préciser. Alors que sur une étagère, au-dessus d'un ouvrage consacré aux Beatles, trônent fièrement les trois trophées des Victoires de la musique reçues en 1994 et 1995, au sol, un tapis aux motifs noirs et blancs dessine les notes d'une partition imaginaire, et rappelle que nous sommes bien chez un musicien. C'est ici, qu'il crée ses œuvres au piano, le plus souvent écrites à l'aide d'un ordinateur. Baskets aux pieds, coiffure à la Tintin, William Sheller, en dépit d'un regard mélancolique, a l'air d'un Homme heureux. Bien qu'il n'ait jamais su choisir entre classique et rock depuis ses débuts. C'était en 1974, avec la parution de Rock'n'dollars, tubesque mélodie un peu lourde à porter, qui, cependant, eut le mérite de faire de lui une des valeurs sûres des années soixante-dix. Depuis, celui qui passe pour être le fils spirituel de Mozart et de Paul McCartney a voué sa vie à la musique, encouragé par la "duchesse" Barbara, qui l'incita à devenir chanteur. Dans quelques semaines, le Symphoman effectuera son retour à l'Olympia. Rencontre avec un artiste qui semble être ici et ailleurs, l'esprit tourné vers des rêves en chanson.

- Pourquoi ce titre Les Machines absurdes ?
- William Sheller : "Ça a failli s'appeler Épilogue parce que, à force d'être la tête dedans, j'en avais ras-le-bol. Au départ, la musique me faisait voir une image de fin de nuit : lumière orange aux approches des périphériques avec des sortes de robots dromadaires à la Star Wars, qui marchent sur l'eau. Et puis, on a travaillé avec pas mal d'informatique, des nouvelles machines qu'on nous a envoyées en prototypes d'Allemagne et de Suisse afin qu'on les teste. On a galéré. Je ne sais pas si j'ai fait un rêve absurde à cause des machines qu'on manipule et qui font des bogues, toujours est-il que j'ai trouvé ce titre parce qu'on en a tellement bavé avec ces engins".

- "Vous êtes toujours très attiré par l'univers musical classique avec, en ouverture, l'utilisation d'instruments à cordes d'un orchestre traditionnel acoustique ?"
- William Sheller : "Ce n'est pas tant le classique que je cherche mais plutôt la musique de film. Les machines permettent d'obtenir des climats, des ambiances qui favorisent ce genre d'univers. C'est là, dans ce tableau, qu'entre un personnage et je me dis : "Qu'est-ce que je pourrais bien lui faire raconter ? " Et commence la galère ! Au départ, je n'ai aucune idée préconçue. J'ai la chance d'entendre la musique sans savoir comment elle vient. J'écris sans être sûr d'en faire une mélodie. C'est seulement après que les choses prennent forme. Parade, le morceau d'ouverture, j'ai pensé que ce serait une musique de chambre. Ce n'est qu'après que c'est devenu une chanson".

- "On vous sent plus compositeur que chanteur"
- "William Sheller : "Composer est mon job de base. Quand Barbara m'a dit : "Tu devrais chanter", je lui ai répondu : "Je n'ai pas de voix", elle a rétorqué : "Tu n'es pas un chanteur, tu es un diseur". Je m'écris du sur-mesure ! Je me sens avant tout artisan, comme on se sent charpentier".

- "Si vous deviez choisir entre classique et rock ?"
-William Sheller : "Je suis issu des deux cultures. J'ai eu un maître, Yves Margat, un élève de Gabriel Fauré. Quand on a quinze ans, on a beau étudier l'harmonie et le contrepoint, on écoute la radio, pour moi, c'était les Beatles, et puis mon père faisait du jazz. J'ai besoin des deux univers".

- "Fils spirituel de Mozart et de McCartney, ça vous va comme image ?"
- William Sheller : "Mozart est un compositeur que j'aime : il n'a pas eu besoin de pousser les murs pour s'exprimer, contrairement à Beethoven, il a toujours fait les mêmes choses en suivant les mêmes règles que ses contemporains. McCartney, on pourrait aussi dire Lennon. La mélodie, je l'aime quand elle chante. J'ai étudié la musique des uns et des autres pour essayer de comprendre".

- "Comment vous apparaissait Barbara ?"
- William Sheller : "La duchesse ! J'aimais l'appeler comme ça. Je lui chantais Marienbad, elle m'a ouvert des portes et c'est parti. Je me suis dit : chantons pendant un temps, je pourrais voir ce qu'est le métier. C'était un bon moyen pour apprendre à nager. Chanter sur une scène est un moment de bonheur. Le plus dur, pour moi, c'est le vedettariat, se montrer, sortir, faire des photos. Je me sens mal à l'aise avec la médiatisation. J'ai besoin de vivre "normalement" pour garder des contacts humains. J'ai l'impression que je suis moins idiot".

- "Pourtant, vous donnez l'impression d'être en dehors du monde réel ?"
-William Sheller : "La musique, ça mène à la solitude. S'embarquer dans une partition, c'est comme prendre la mer pour un marin : le désert. J'ai besoin d'être seul dans la maison pour travailler. Pour mon entourage, c'est infernal. La solitude est nécessaire, en même temps, je m'en plains".

- "Votre approche musicale est sensible au romantisme. Y-a-t-il une époque à laquelle vous auriez aimé vivre ?"
-William Sheller : "Au XIXe siècle, qui, pour moi, correspondait à l'ouverture de l'âme au contraire du XVIIIe siècle et des Lumières, qui était trop cartésien. Le XVIIe, lui, a apporté l'orgueil dans la musique".

- "Indies (Les millions de singes), c'est une chanson sur les origines de l'homme ?"
- William Sheller : "Je la vois davantage comme une fable, qui dit que nous ne sommes que de petites gens qui s'agitent pour leur identité. Des singes évolués. Arrêtons de nous prendre pour je ne sais quoi : l'argent qui spécule sur l'argent, tel un immense Monopoly, et qui ne peut que se casser la figure. C'est un système qui ne tient pas sur des réalités. C'est effrayant. Tout artiste est témoin de son temps".

- "Et Misses Wan, c'est un souvenir d'un voyage en Asie ?"
- William Sheller : "C'est de la bande dessinée. C'est Yves Jaget, le co-réalisateur de l'album qui a écrit cette mélodie. Elle m'a fait penser au dragon joyeux des restaurants chinois : on a fait quelque chose d'asiatique un peu à la Blade Runner. A l'origine, c'est une chanson que nous avions composée pour Nicoletta".

- "C'est un album plutôt mélancolique dans sa tonalité. Pourquoi tant de tristesse ?"
- William Sheller : "Peut-être ai-je été traumatisé par le tube Rock'n'dollar et son "Donnez-moi madame s'il vous plaît du ketchup pour mon hamburger" ! Ça m'a permis de m'installer mais on attendait toujours le gars qui allait chanter en larges pantalons et qui ferait rigoler. Je ne regrette pas mais ça m'a enfermé dans un style dont j'ai voulu sortir. J'ai un penchant mélancolique effectivement".

- "Êtes-vous fier de votre parcours ?"
-William Sheller : "Très. Cela me satisfait d'avoir la chance de faire un métier que j'aime, de vivre de ma plume et de ma musique. J'ai le bonheur de continuer à diffuser des chansons que j'avais écrites il y a vingt ans. Je suis fier de rester dans la mémoire des gens. Ça me rend heureux".

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Les Machines absurdes, distribué par Universal-Mercury.