Avec une exigence extrême, William Sheller fait le point sur sa carrière avec la compilation Tu devrais chanter. Si ses interventions médiatiques sont rares, c’est que ce musicien classique de formation, multiplie les projets et s’attelle actuellement à la réalisation de son prochain album.
- « Où la photo de votre compil Tu devrais chanter a-t-elle été prise ? »
- « Bien qu’aujourd’hui, on soit habitué au faux, cette photo est réelle. Elle a été prise par Seb Chéri au mois d’octobre à Arromanches, les fesses dans le sable glacial. C’est vrai, je fais une drôle de tête, mais imaginez-vous à ma place ! »
- « Connaissiez-vous son travail ? »
- « Oui, j’avais vu ce qu’il faisait avant qu’on ne se rencontre. Actuellement, il travaille sur le clip de Centre-ville. »
- « Vous avez, paraît-il, hésité à sortir cette chanson en single ? »
- « Je la jouais déjà sur scène et je l’ai enregistrée dans le cadre de mon prochain album. Ma maison de disques m’a demandé de la sortir. J’hésitais, je pensais qu’elle ressemblait trop à Un homme heureux, un côté pleurnichard peut-être. La nouvelle équipe chez Mercury est dynamique et m’a convaincu du contraire. Ça fait plaisir car, depuis longtemps, je n’avais plus de contact avec ma maison de disques. »
- « Vous n’entretenez pas de relations avec eux ? ! »
- « Aucune. Tout passe par l’intermédiaire d’une personne qui me représente. C’est inutile pour moi de proposer des idées à des gens qui vivent dans leur routine… Avec Barbara, j’avais l’image de l’emmerdeur maison. Il y a même des disques d’or qu’on n’a pas osé me remettre… Aujourd’hui, je vais envisager de faire à nouveau des choses intéressantes avec cette équipe dont je viens de faire la connaissance. »
- « Pourtant, depuis 1975, vous êtes toujours resté fidèle à votre label… »
- « A quoi bon changer ? Ce sont toujours les mêmes personnes que l’on recroise. Cette fidélité, ainsi que mes vingt années de catalogue chez Mercury, m’ont permis de prendre parfois des risques, avec mon album rock Albion, par exemple. »
- « Ces dernières années, vous vous êtes produit en formule piano-voix. Sheller en solitaire a d’ailleurs été votre plus gros succès d’album. Quelle direction musicale envisagez-vous emprunter aujourd’hui ? »
- « Je prépare actuellement un petit triple album de nouvelles chansons dont deux sont déjà proposées sur Tu devrais chanter : un volume dédié à une formation acoustique, guitare, basse, cordes etc, un deuxième plus intimiste, c’est-à-dire au piano avec occasionnellement un instrument, et le troisième disque utilisera des boucles, des samples. En fait, réunir ces styles disparates sur un même album aurait pu rendre le résultat hétéroclite, là, sur trois tomes, une logique s’impose. »
-« Si on excepte Carnets de notes (1993), une grande majorité des titres de Tu devrais chanter n’était jamais parue en disque compact… »
- « Effectivement, mais sur Carnet de notes certaines chansons avaient eu une seconde vie dans d’autres versions, live etc… En revanche, Tu devrais chanter ne propose que les versions originales de mes succès qu’il a d’ailleurs fallu restaurer, comme de vieux films, en décollant les bandes avec un vaporisateur. Et quand ça devenait impossible, on ressortait les vinyles d’époque. »
- « Vous avez apporté le même soin à la réalisation de cette compil que pour un album original, autant dans le choix du visuel que dans le déroulement des titres… Pourquoi ? »
- « J’ai horreur de ces compils que l’on découvre sur un affichage en bord d’autoroute… Quand on m’a proposé cette idée de compil, j’ai demandé à ce qu’elle serve pour faire un point. J’ai donc suggéré qu’on resitue mes chansons au travers d’anecdotes sur ce que je vivais en les écrivant dans les arcanes du showbiz. »
- « A propos des Filles de l’aurore (1983), vous évoquez dans ces notes de livret certains produits que vous preniez à l’époque… »
- « Oui, il s’agit bien de produits dopants. [rires] Quand on n’est pas, comme c‘est mon cas, un artiste de nature exhibitionniste et que l’on exerce en même temps le travail de vedette de la chanson, de compositeur, musicien, arrangeur, une fatigue ainsi qu’un certain ras-le-bol s’accumulent. A l’époque, je produisais un album par an avec toute la promotion tape-à-l’œil qui l’accompagne. Alors, on commence par les amphétamines, puis viennent les antidépresseurs, ensuite on prend de la cocaïne. Au début, on trouve ça génial, avant de se retrouver un jour fatigué avec des maux de dents, des rhumes, des saignements de nez. De 1977 à 1984, je me promenais constamment avec mon gramme sur moi, mais j’en ai eu marre, j’ai senti que je ne pourrais plus produire à ce rythme. C’est fatigant d’être génial… »
- « Tu devrais chanter fait référence au conseil que vous avait donné Barbara… C’est donc elle qui vous a destiné au métier de chanteur ? »
- « J’avais écris auparavant le succès My year is a day (1968) pour Les Irrésistibles puis on m’a demandé de chanter. "Quelle drôle d’idée ! ", avais-je pensé. J’ai donc sorti quelques 45 t (ndlr : chez CBS, Couleurs/Les Quatre saisons en 1968, B.O Erotissimo, Adieu Kathy/Leslie Simone en 1969, She opened the door/Leaving East, dreaming West en 1970) qui ont heureusement fini à la poubelle. Et j’ai dépensé les droits d’auteur de My year… dans la réalisation d’une messe hippie pour un mariage d’amis. Ça n’a pas marché, mais un exemplaire de Lux Aeterna (1972, chez CBS), est arrivé aux oreilles de Barbara qui m’a demandé d’orchestrer son album La louve (1973). »
- « Vous qui aviez reçu une formation classique, qu’avez-vous appris à ses côtés ? »
- « Ce fut une expérience fabuleuse de professionnalisme et d’exigence. Elle travaillait complètement à l’instinct mais c’était cohérent car basé sur l’imagination. Elle m’a aidé à finir d’oublier la théorie et à me laisser porter par le délire et le rêve. Ça a été un gros boulot car l’album a été enregistré en quatre versions : mes orchestrations après qu’elle eut joué sa partie de piano, elle au piano en direct avec l’orchestre, puis je l’accompagnais à sa place au piano et elle chantait en direct, enfin, je jouais au piano, on enregistrait avec l’orchestre et elle chantait en play-back. Ensuite elle choisissait. J’ai vécu enfermé chez elle pendant six mois. Elle toquait parfois à ma porte à quatre heures du matin, je me levais et on discutait jusqu’à huit heures. Je lui pardonnais aisément car c’était généralement pour une bonne idée. J’ai beaucoup apprécié cette manière qu’elle avait de se préserver, de se retirer et de prendre le temps. Ça rejoignait mon caractère solitaire. »
- « Pouvez-vous nous resituer le parcours musical qui vous destinait au Prix de Rome ? »
- « J’avais quinze ans, j’avais déjà pris des cours de piano et j’étais allé trouver Yves Margat, un ancien élève de Gabriel Fauré dont j’avais remarqué le nom sur un traité d’harmonie. Ce maître âgé d’une soixantaine d’années m’a appris l’harmonie, le contrepoint –et le latin car il faut avouer que c’était un homme du dix-neuvième siècle-, et, me trouvant doué, avait convaincu mes parents pour que je me consacre entièrement à la musique. Il fallait, de plus, abandonner l’idée de passer le bac. Eux pensaient également que musicien est un métier qui s’apprend. Aussi, avant d’atteindre le succès, ces connaissances musicales me permettaient-elles de travailler dans la publicité, le cinéma… Mais à un moment, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas d’autre issue pour moi que de composer de la musique contemporaine, dodécaphonique, aléatoire, sérielle. Un cul-de-sac. Ce qui m’intéressait, moi, était de reprendre la musique expressive, Wagner… là où on l’avait laissée, pour faire de la "grande musique". Je voulais conjuguer l’élément émotionnel de la musique avec des idées d’aujourd’hui et le meilleur terrain d’application était la chanson : que la musique exprime ce qu’évoque le texte. Une musique qui participe de mon époque, pas pour dans cent ans quand je serai mort. »
- « Comment a réagi votre professeur ? »
- « Quand je lui ai parlé de ma décision et de l’intérêt que je portais aux Beatles, il m’a dit : "Avec le bagage que vous avez, vous n’allez pas faire le saltimbanque ! " Malheureusement il est décédé, mais je suis sûr qu’il n’aurait pas dénigré Le Nouveau Monde , La tête brûlée, Excalibur, et mes concertos pour trompettes. »
- « Vos grands-parents ont également joué un rôle dans votre vocation… »
- « Mon grand-père avait été compagnon charpentier dans la Navale et s’était reconverti dans la construction de décors de théâtre et d’opéra. Tout gosse, il m’emmenait avec lui dans les coulisses, sur les plateaux où je rencontrais les techniciens… »
- « Pourquoi, vous qui êtes d’origine franco-anglaise, avez-vous choisi de chanter en français ? »
- « Mon père américain, né de parents écossais et irlandais, et ma mère française, avec néanmoins des racines allemandes, s’étaient rencontrés pendant la guerre sur les Champs-Elysées. Au début, nous vivions en France dans les milieux américains –mon père jouait du jazz avec Kenny Clarke-, avant de partir vivre aux Etats-Unis. A mon retour en France, j’ai eu conscience d’apprendre le français, une langue que je trouvais très intéressante pour l’écriture. Cette langue sonne, ça n’est pas facile à placer, ça oblige parfois à utiliser des formes syntaxiques incorrectes, mais contrairement à l’anglais, un langage très technique, le français se prête à la poésie et permet aux mots d’atteindre une seconde signification. Je me souviens avoir écrit "Le vin qui saoule comme une bulle de tendresse et que l’on boit comme un bijou". Les colorations, les humeurs, les parfums que ça évoque sont intraduisibles en anglais. »
- « Saviez-vous quoi raconter ? »
- « Absolument pas. Les mots, c’est la galère, j’écris des pages entières de texte, je compte les pieds… Quand les musiques sont écrites, je fais les orchestrations, puis je me pose la question de trouver l’histoire d’un personnage. Mais je n’ai jamais attaqué une chanson par le texte. J’ai buté sur mon prochain album à cause des textes, depuis longtemps, les musiques étaient prêtes. Et au bout du douzième disque, on ne sait plus trop quoi raconter. C’est aussi une des raisons pour lesquelles il faut parfois se retirer du métier et de ses limousines pour reprendre contact avec une vie normale et pouvoir permettre à ce que le public se retrouve dans nos histoires. »
- « Justement, votre premier succès Rock’n’dollars (1975) avait été un malentendu… »
- « Il s’inscrivait parfaitement comme une des facettes d’un album aux humeurs différentes, avec Photos souvenirs, mais c’était limité de ne voir que cette partie de ma personnalité que je ne renie pas, d’ailleurs. Ensuite, on m’a demandé de renouveler ce succès, j’ai refusé et on m’a dit : "Tu as tort, aujourd’hui Plastic Bertrand t’a piqué ta place". Ce métier fonctionne par clichés : on pense qu’on marchera avec ce qu’on a vendu hier. »
- « Comment vous étiez-vous retrouvé chez Philips ? »
- « Grâce à Barbara qui m’a introduit. Ainsi, j’ai pu présenter des maquettes avec des orchestrations. On me laissait faire car on connaissait mon travail sur La louve. »
- « C’était inhabituel qu’un chanteur compose et écrive ses orchestrations ? »
- « Oui, j’écrivais les paroles, les musiques, les orchestrations, je chantais et je participais à la réalisation des albums. On ne se rendait pas compte de la somme de boulot qui me revenait. Moi, j’avais surtout envie d’écrire. Quand ce premier album est sorti, Rock’n’dollars passait cinq fois par jour sur les quatre radios : RTL, Europe1, France Inter, RMC. Il y a eu la promo sur le premier titre pendant six mois, ensuite un deuxième extrait puis il a fallu enregistrer le deuxième album Dans un vieux rock’n’roll (1976). Je n’avais pas eu le temps d’écrire, j’ai donc repris les chansons que je n’avais pas choisies pour Rock’n’dollars. Même si quelques titres ont marché, il y a eu une baisse d’inspiration qui s’est accentuée dès le troisième album Symphoman (1977). C’est à ce moment-là que j’ai commencé le dopage. »
- « Le rythme s’est ralenti puisque votre album suivant Nicolas paraît en 1980. »
- « J’étais dans mes partitions, je ne voulais pas enregistrer d’album "même si on me proposait d’aller à Los Angeles", avais-je ajouté suite aux conseils de Véronique Sanson. On m’a pris au pied de la lettre et j’y suis allé. Des années après, à la fin d’un concert, j’ai rencontré un garçon mesurant deux mètres et m’annonçant : "Je m’appelle Nicolas, comme votre chanson". Ça m’a fait un drôle d’effet. En effet, vingt années avaient passé. »
- « En 1981, vous sortez J’suis pas bien. Cela reflétait-il votre état d’esprit ? »
- « A cette époque-là, oui. »
- « On se souvient de votre télé pour Oh ! j’cours tout seul (1980) où vous étiez déguisé en Tintin. Jusqu’à quand ces deux facettes de votre personnalité, drôle et triste, ont-elles cohabité ? »
- « Après Rock’n’dollars, j’ai arrêté de chanter des titres marrants car je ne voulais pas être catalogué "clown". C’est très difficile ensuite de changer d’image. Carlos ne pourrait pas aborder un répertoire sentimental, personne n’en voudrait. Pourtant, j’ai toujours aimé jouer avec mon image mais à un moment, je me suis aperçu que le public ne le percevait pas comme tel, mais prenait au premier degré mes photos de pochette. Pour Symphoman, je m’étais fait peindre des vêtements sur le corps pendant treize heures et personne ne l’a remarqué. Pour Ailleurs (1989), j’avais posé à la façon de Maïakovski dans un traité photo des années 20. Bien évidemment, personne n’a vu le clin d’œil et a colporté que j’étais devenu facho, que j’avais le SIDA ou le cancer. »
- « En 1983, pourquoi avez-vous sorti le mini-album Simplement ? »
- « J’avais composé douze titres et six seulement étaient sortis. C’était une idée de la maison de disques qui pensait qu’en proposant des demi-pommes, on en vend deux fois plus ! Un concept qui n’a pas fonctionné. Pour Maman est folle, j’avais entendu un gamin sur le bord d’une route qui chantait cette phrase et j’avais imaginé que cela pouvait être réel. A cette époque, je venais de faire mes premières scènes pour me rôder à mon Olympia de 1982. Il fallait que je me fasse une réputation scénique, car un succès disque ne remplit pas forcément une salle. Au début, je n’avais que 300 personnes, mais pendant ces scènes des chansons ont été créées et sont devenues des succès grâce aux planches. Paulette Coquatrix et Jean-Michel Boris, en produisant ce spectacle à l’Olympia, m’ont permis de me faire reconnaître par le monde du spectacle et ça a bien marché d’ailleurs. C’était plus rassurant qu’un disque d’or. Je leur en suis reconnaissant et, depuis, nous trouvons toujours des accords en souvenir de cette aide. »
- « Après Simplement vous avez sorti William Sheller et le Quatuor Halvenalf (1984). Pourquoi avez-vous repris vos titres dans cette orchestration ? »
- « Suite à Simplement, l’inventeur du six-titres m’avait dit d’un ton péremptoire : "Dans ce métier, vous ne faites pas ce qu’il faut pour avoir la place que vous méritez. J’ai des amis qui partent élever des chèvres dans l’Ardèche, si c’est ça qui vous intéresse…" Et je lui ai dit oui. Nous n’avions pas la même approche du succès, puisque le vedettariat n’a jamais été ma seule source d’intérêt, et je suis parti avec mes quatuors en Belgique où j’ai donné vingt-huit concerts en quelques mois. Alertée, ma maison de disques a rappliqué, se disant que mon sac à dos se doublait de vison. A l’Olympia avec mes quatuors, surprise, le public appréciait un spectacle sans gros son. Une seule fois, un agité a demandé où étaient les guitares. Eclairé par des lumières de théâtre, j’entendais mon public vivre, ses silences. Ça oblige à jouer mieux. On revisite les chansons. Puis je suis retourné en Belgique avec des musiciens électriques. Je commençais la deuxième partie du spectacle au piano et le public a hurlé quand les musiciens ont attaqué le deuxième titre. De là, j’ai joué en solo, notamment au Théâtre 140. C’était un pays central de l’Europe, à la pointe. J’ai même habité un temps à Bruxelles. De 1984 à 1987, j’ai donné beaucoup de concerts en France et en Belgique, j’ai écrit une suite symphonique pour l’Orchestre symphonique de Montpellier, des musiques de film, car la chanson ne représente qu’un tiers de mes activités. »
- « Vous avez également œuvré pour la publicité… »
- « Oui, j’ai dû faire une quarantaine de publicités pour Flunch, Hippopotamus, etc… J’aime cette exercice de travailler sur des éléments émotionnels dans un très court espace temps, passer de l’inquiétude à la joie en trois secondes. Stravinski avait raison quand il disait que l’imagination naît de la contrainte. Dans la chanson, mon cahier des charges est de savoir quoi dire à qui, dans un format déterminé. »
- « Ensuite, Univers (1987), et Ailleurs (1989) ont mélangé vos cultures : les violons et les guitares électriques. Sheller en solitaire était-il un accident ? »
- «Après des concerts symphoniques au Palais des Congrès, je souhaitais proposer un concert piano solo au Rex. Le programmateur de l’endroit n’y voyait pas d’intérêt artistique, mais seulement une économie financière. Ce n’était pas ma vision des choses : pour moi, l’intérêt était de changer de style, d’être plus libre pour installer un climat, parler au public. Je suis donc allé à l’Olympia pour une soirée et, devant l’engouement, nous avons programmé une série de deux semaines. »
- « Avec Un homme heureux, vous dévoiliez-vous avec moins de pudeur ? »
- « Pas particulièrement. J’étais allé manger des huîtres avec une amie à Deauville. Sur le chemin du retour, cette mélodie me trottait dans la tête. En cherchant une idée, la phrase "Je veux être un homme heureux" a coulé de source. Coup de chance. Je ne manipule pas suffisamment les textes pour appréhender ce dont je vais parler. Ça partait sûrement du constat que, après un certain vécu, une belle relation d’amour dure au mieux cinq années. Ce n’est pas une chanson triste, au contraire, ça veut plutôt dire : "On se rencontre, mais cette fois-ci, essayons de faire durer notre histoire". Il est vrai que je n’aurai pu chanter Un homme heureux il y a vingt ans. »
- « Comment avez-vous reçu les trophées (Victoires de la Musique), qui ont récompensé cette chanson ? »
- « On a tout dit sur les Victoires de la musique, ce n’est pas toujours parfait, mais en définitive, le résultat reste sympathique, c’est une reconnaissance du métier. On a tellement insisté pour que je sois présent dans la salle que ça m’a mis la puce à l’oreille, mais je ne m’attendais cependant pas à recevoir la Victoire du meilleur album de l’année et celle de la chanson. L’année d’après, on m’ a remis une Victoire pour la musique d’un film suisse que personne n’a vu, L’Ecrivain public. »
- « Ces trois derniers albums ont été réalisés par Mick Lanaro. Comment cette collaboration est-elle née ? »
- « J’avais commencé à travailler avec lui pour finir des mixages, vers 1981. Ensuite nous avons enregistré un album avec un quatuor à cordes, ce qui nous a soudés pour continuer ensemble. »
- « Vous avez peu coécrit. Pourquoi avoir cosigné Guernesey sur Univers en 1987 avec Bernard Lavilliers ? »
- « Il avait adoré ma musique et avait écrit un texte qui ne me ressemble pas. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de mal à la chanter. »
- « Après Sheller en solitaire, vous désorientez votre public en sortant un album rock Albion (1994). Sheller n’est-il jamais là où on l’attend ? »
- « Je ne voulais pas user la formule piano-voix et devenir le Charles Dumont des années 90. J’avais commencé cet album avec des musiciens français, ça collait, ils jouaient exactement ce que je voulais mais ça me gênait qu’ils n’y mettent pas plus de leur personnalité, intimidés par le personnage Sheller couronné aux Victoires de la Musique. Je me suis donc exilé en Angleterre où l’on ne me connaissait pas et j’ai ressenti, comme à mes débuts, une spontanéité. Depuis longtemps, je voulais enregistrer un album rock et je le revendique encore aujourd’hui. »
- « Dans vos collaborations extérieures, vous avez également arrangé une chanson d’Higelin (in Tombé du ciel, 1988)… »
- «Je le connais depuis l’époque Saravah. Nous nous étions rencontrés pendant un été dans la maison de campagne d’un producteur. On s’est recroisés à plusieurs reprises et un jour, il a eu envie de cordes à la Mozart et m’a appelé. J’aime sa fougue, son sens de l’improvisation. »
- « Fait-on souvent appel à vous pour ce genre de participation ? »
- « Non. Je crois qu’on n’ose pas me le demander, de peur de me déranger. C’est dommage, car je rêverais de composer pour des chanteurs tels que Florent Pagny ou Johnny Halliday, des artistes dont la personnalité les rend crédibles. »
- « Et dans le cas de la coécriture avec Nicoletta pour l’album Connivences (1988) ? »
- « Elle était à côté de moi, elle me proposait des phrases que je retravaillais, ce qui a valu sa cosignature. On se connaît depuis vingt ans et, du fait de notre voisinage, elle est venue pendant six mois chez moi. Mais il m’est difficile de trouver un auteur pour ma voix. Pour mon prochain album, je vais la travailler avec la célèbre Madame Charlot car ce que j’écris aujourd’hui demande une autre exigence vocale. »
- « Dés le début de votre carrière, vous avez créé vos éditions Ketchup Music. Souhaitiez-vous être propriétaire de votre matériau de travail ? »
- « C’était en 1976. Plutôt que de donner 50% de mes droits, j’ai préféré qu’ils me reviennent afin de les utiliser pour produire des projets personnels. Ainsi, on a produit le premier album de Jean-Patrick Capdevielle. On a dû revendre son contrat car rapidement Ketchup music a été en faillite, mon entourage ayant été débordé. En 1980, Ketchup music a été mis en sommeil puis j’ai récupéré mes titres et remonté une édition familiale, Marine Handler, en attendant de trouver un éditeur qui me fasse des propositions intéressantes. Marine Handler appartient à mes enfants, Siegfried et Johanna. Quand je veux écrire un concerto, ce sont eux qui me commandent, via l’édition, une partition. »
- « Pourquoi avez-vous vendu en 1998 une partie de votre catalogue à EMI France Publishing ? »
- « J’avais déjà croisé des gens farfelus, fainéants, j’ai pris le temps, et chez EMI j’ai trouvé des gens polis ayant des idées pour exploiter mon catalogue. »
- « Vous travaillez donc actuellement sur ce projet de triple album. Est-ce de plus en plus long d’enregistrer un album ? »
- « Oui, car on prend de temps de vivre et de s’occuper des gens qui nous entourent. L’année passée, je me suis occupé de ma mère qui avait un cancer et le showbiz pouvait attendre. Ma vie d’homme prévaut avant tout. »