Le Figaro
6 mars 1997

En concert à Paris et Villejuif
Françoise Pollet du côté de Sheller
(par Jacques Doucelin)




Quel appétit ! Après avoir terminé l'année avec une tournée de dix concerts à travers la région parisienne, notre soprano nationale Françoise Pollet remonte au créneau avec deux récitals, le 10 mars, à Gaveau, et le 23, au Théâtre Romain-Rolland de Villejuif. Si les programmes comportent quelques œuvres communes, le premier sera accompagné par Bruno Fontaine et le second par Anne-Marie Fontaine.

N'y voyez pas qu'une différence de prénoms ! Lundi, Salle Gaveau, la diva a décidé de se lancer dans le mélange des genres : après avoir fait sa prière avec le Vissi d'arte de la Tosca et le Pace...pace de La Force du destin de son cher Verdi histoire de satisfaire ses fans, elle passera à la chanson après l'entracte avec Kosma, Trenet, Brel et... William Sheller, qui lui a concocté trois mélodies. Poulenc avec Les Chemins de l'amour, Weill avec Surabaya, Gershwin et Bernstein serviront d'habile transition.

Tango exquis

Elle n'en est pas vraiment à son coup d'essai : l'an passé déjà, la diva avait abordé la chanson chez Lamoureux. «Mais l'orchestre me permettait de souffler un peu. Cette fois, il faudra tout enchaîner» dit-elle. Mais il en faut plus pour l'effrayer. Pourtant, elle avoue que longtemps elle n'a pas osé sauter le pas. «J'ai toujours été attirée par la chanson et fascinée par ces grands diseurs que sont Trenet, Brassens ou Brel. Cora Vaucaire m'a beaucoup impressionnée. Mais je pensais que la chanson était l'affaire de spécialistes. Aujourd'hui, je n'ai plus peur. Je pense qu'une voix travaillée peut apporter quelque chose à la chanson. J'ai remarqué que le public aimait bien que je chante Les Feuilles mortes en bis. Comme j'aime ça moi aussi, je ne vois pas pourquoi je ne me ferais pas plaisir».

Françoise Pollet refuse donc de tomber dans le piège de la séparation des genres. Chanter les grands standards comme La Mer de Trenet, Quand on n'a que l'amour de Brel ou Les enfants qui s'aiment de Kosma, c'est une chose. Passer commande à William Sheller en est une autre. Cela suppose une complicité entre l'auteur et son interprète.

«William et moi, nous nous sommes rencontrés autour du micro de Jean-Luc Hess à France-Inter. Et le journaliste a joué les présentateurs. Il m'a demandé si j'accepterais de chanter des chansons de Sheller, puis, lui a demandé s'il accepterait de m'en écrire. Nous avons dit oui... Je lui ai envoyé mes disques de mélodies de Duparc pour qu'il se familiarise avec les couleurs de ma voix. Il m'a écrit trois chansons dont un tango que je trouve exquis. Nous comptons bien ne pas en rester là

Elle n'en dira pas plus sur leurs projets communs. En revanche, elle avoue son intention d'enregistrer un CD de chansons françaises composées pour elle par des auteurs compositeurs, d'Etienne Roda-Gil à Pierre Delanoë en passant par Jean-Jacques Goldman : messieurs, à vos plumes.

Celui qui n'est pas son copain, c'est le patron de l'Opéra de Paris: «Pour M. Gall, dit Françoise Pollet en haussant le ton, les chanteurs français sont bons pour les petits rôles. C'est un choix après tout. Je trouve cela injuste. Je comprends qu'il fasse chanter les premières du Chevalier à la rose de Strauss à Renée Flemming. Il serait élégant et astucieux de laisser les dernières à une Française qui chante La Maréchale sur les principales scènes allemandes. Non ?»

Ce qui la fait bisquer, c'est de devoir se produire à l'autre bout du monde, alors qu'elle rêve de chanter dans la ville qu'elle habite pour voir sa fille davantage. «Enfin, soupire-t-elle, on me remettra des décorations quand je ne pourrais plus chanter. C'est comme Régine Crespin qui a certes chanté à Paris, mais a connu ses plus grands succès à l'étranger.»

Cela dit, Françoise Pollet s'en fiche depuis que l'Unesco a fait d'elle une «femme mythique». «Pas plus tard que lundi dernier. J'ai même dû chanter pour la circonstance.» Un mythe chantant, en somme.