Concert intimiste, jeudi soir à Beausobre, d'un chanteur nostalgique.
Il y a du Proust chez William Sheller. Celui de Combray. Pour un peu on le verrait en culottes courtes, en gamin qui aurait eu de la peine à vieillir. Car les souvenirs de l'enfance occupent une place importante dans l'univers du chanteur. Ce temps où le monde semble démesuré, où les adultes surgissent comme des tours Eiffel, où les sentiments sont encore indistincts, hors de portée de la parole, exerce sur lui une véritable fascination, qu'il évoque de sa voix douce aux accents enfantins. Le passé et les fleurs poussiéreuses de la nostalgie qui s'y accrochent lui sont d'un attrait irrésistible.
L'univers de Sheller n'est pas du pur sucre pour autant. Le moutard qu'il n'a jamais cessé d'être garde toujours un bonbon acidulé au fond de sa poche pour affronter les épouvantails de l'existence. L'humour face au cauchemar, une tendresse rieuse face au crabe de la déprime et de l'angoisse de vieillir. A l'écouter attentivement, l'homme heureux ne l'aura pas toujours été. Jeudi soir à Morges, William Sheller se retrouvait, seul et sans violons en compagnie de son Steinway, devant une salle de Beausobre comble. Habitué ces derniers temps à partager la scène avec une vingtaine de musiciens (comme lors de son passage à Paléo l'an passé), le chanteur était visiblement ému de retrouver une ambiance intimiste.
L'émotion lui aura certainement soutiré les quelques fausses notes fébriles venues chatouiller ses doigts pendant la première partie de son concert. D'une sincérité désarmante, William poussera l'honnêteté jusqu'à les signaler au public.
A l'ombre des Petites filles modèles, fouinant dans le panier des souvenirs avec Basket-ball ou humant l'odeur surannée d'une vieille carte postale dans Cuir de Russie, William Sheller déroulait ses paroles subtiles au gré des sautillements de ses doigts alertes avec l'inquiétude de l'amant qui effeuille d'anciennes lettres douloureuses adoucies par le passage des ans. Grand romantique devant l'étemel (auditeur), le pianiste-chanteur n'a bien sûr pas oublié Les Filles de l'Aurore, Un Homme heureux et Je cours tout seul.
Plus étonnant, la faculté qu'avait William Sheller de raconter des histoires ou de lancer quelques imprécations contre le monde du show-business entre les morceaux. En conteur habile, le chanteur narrait les circonstances de la création d'une chanson, un souvenir d'enfance (une fois de plus) ou l'exorcisme d'un cauchemar récurrent (à la base de Je cours tout seul) avec un naturel qui tenait sans peine son auditoire en haleine.
Après Le Carnet à spirale et Comme dans un Vieux Rock'n'roll en rappel, le chanteur recueillait les salves d'applaudissements d'un public conquis, avant de quitter la scène d'un seul bond de timide effarouché. On s'en souviendra.