William Sheller
ne saurait livrer ses chansons sans un minimum d'explications sur leur genèse.
Sur scène, il a pris pour habitude d'en décrire, assez longuement,
l'épisode fondateur. Parfois avec une belle innocence psychanalytique.
Ainsi, derrière Nicolas se cache l'abandon, pour un soir, du petit
William chez une grosse nourrice fleurant bon la soupe aux poireaux et élevant
des tourterelles. Oh ! J'cours tout seul est un affreux cauchemar,
où le chanteur, en pyjama à rayures, court le long d'une voie ferrée.
Un train passe. Ses couloirs sont remplis d'hommes et de femmes cognant aux vitres
fermées.
En se racontant ainsi, perché sur d'insensées
chaussures à semelles compensées (cette année, elles sont
pop-art), William Sheller superpose les époques. Aujourd'hui : un récent
séjour dans la campagne anglaise, aux studios de Ridge Farm pour y enregistrer
son dernier album, Albion, en compagnie de musiciens de rock ultra-électrifiés.
«Ils sont végétariens, ils mangent indien, la viande en
Angleterre est un peu bouillie.» Hier (l'adolescence) : un «dimanche
chez un copain». La «biche qui change de couleur avec le
beau temps» trône sur un napperon carré placé en
biais sur la télévision. Un coin de dentelle pend sans rémission
sur le visage de la speakerine (Catherine Langeais). Sheller est tatillon, il
décrit le moindre détail jusqu'à la boîte de gâteaux
«ronds avec une cerise confite au centre».
Ce dimanche
petit-bourgeois, étonnant pour ce fils de contrebassiste américain
habitué aux hasards du jazz, lui donnera plus tard la matière de Basket-ball. Vu de chez Sheller, le monde est un peu zoo. Pour son nouveau
spectacle, donné à l'Olympia avant une tournée hexagonale,
c'est la batterie que le chanteur a enfermée dans une cage de Plexiglas.
Il en fait par ailleurs un usage parcimonieux.
Bricolage
maison
On s'attendait à la reproduction en scène de l'album
pop-rock Albion. On en est pour ses frais. William Sheller a exclu les
guitares électriques de son champ au profit de dix-neuf musiciens experts
en instruments à vents, violons, contrebasses, violoncelles, altos, flûtes...
D'Albion, il n'a retenu qu'un seul titre, La Navale («Allons
enfants de la patrie/ Le jour de gloire m'a embarqué/ Si un jour je vais
revenir un jour/ Qui peut dire/ Je ne voudrais pas vous mentir»), susurrée
comme au bon temps des Pink Floyd. Il la termine en dansant, pantin désarticulé
dans un flot de lumières bleu-vert.
Jusque-là, Sheller sera
resté derrière son piano. Son jeu à lui, c'est de réaménager
ses anciennes chansons, un exercice qu'il qualifie de «bricolage maison».
Mais cela respire parfois mal. Il y a pourtant de la gentillesse et de la franchise
dans ce montage savant. Les jeunes musiciens qui l'accompagnent ont l'air de sortir
tout droit d'une comédie de Coline Serreau, avec leur costumes disparates,
artistes, bohèmes, occupant la scène avec désinvolture. Mais
la joyeuse troupe se fige vite, faute de pouvoir circuler librement et peu aidée
par des lumières et une mise en scène statiques.
Moins
de sérieux, plus de plaisir
Il y a quatre ans, William Sheller donnait
à l'Olympia son récital «en solitaire» avec grand succès.
Aujourd'hui, son public - ô combien fidèle - plébiscite toujours Dans un vieux rock'n'roll au piano solo. Il réclame des surprises
aussi. Sheller lui en donne. Le 26 octobre, il avait invité une amie, vedette
revenante (Marie-Paule Belle) et un débutant (Olivier Bron, un élève
d'Alice Dona) à chanter. C'est son exotisme à lui. Il n'en a pas
d'autre, puisque «Les mangues sentent l'encaustique, même si elles
servent à traverser les dépressions de l'hiver», propos
rapportés dont l'usage ultérieur donnera peut-être une chanson.