Le Matin
18 juin 1994

"L'Alternative" de William Sheller
(par Jean-Luc Lehmann)


Au moment de la sortie d'Albion, son dernier album, le chanteur-compositeur terminait sa symphonie, une œuvre pour 110 musiciens. Rencontre à Paris.

- « Votre symphonie va-t-elle être enregistrée ? »
- « Oui, je vais le faire vraisemblablement avec les Concerts Lamoureux, j’ai des propositions de différentes maisons de disques. L’Alternative, c’est 100 à 110 musiciens; il est préférable de travailler avec des orchestres constitués. De toute façon, il s’agit à la base d’une commande des Concerts Lamoureux. »

- « Avez-vous eu l'occasion, votre symphonie ayant déjà été jouée à Paris, d’échanger avec les interprètes ? »
-  « L’idéal serait de ne pas avoir à le faire. Ce qui est intéressant, c’est de donner une partition et que les musiciens comprennent ce qu’il y a dedans. Le grand problème des interprètes, aujourd’hui, est qu’ils sont face à des œuvres qu’ils n’arrivent pas à ressentir, ils ne savent pas à quoi ils servent lorsqu’ils jouent une note. Alors, ils font du solfège. Dans notre cas, nous faisons des partielles. On ne fait travailler, par exemple, que les bois de façon à ce qu’ils s’écoutent entre eux. La flûte s’aperçoit qu’elle est en train de jouer à l’unisson avec un autre instrument; elle sait ce qu’elle dit. »

-  « A-t-on des surprises lorsqu’on découvre pour la première fois son œuvre jouée par un orchestre symphonique ? »
- « Oh oui, toujours ! C’est fou de dessiner, de faire des petits signes qui gèrent la gestuelle de 110 personnes. On écrit tout sur le papier. On se dit qu’ils vont jouer telle note de telle manière et, d’un seul coup, le chef d’orchestre dit : "3, 4 !". Tout monte... et commence à exister. Mais la première lecture d’une partition, c’est une horreur. Les musiciens ne jouent pas vraiment, ils tâtonnent. J’étais caché sous la table. Cela dit, c’est exaltant, c’est tellement beau ! »


Un homme timide...

Une rue de Paris à la mémoire d’un architecte disparu, un bel immeuble ancien au charme suranné, une boîte aux lettres avec inscription « Sheller, quatrième gauche », nous voici chez l’artiste. Après une montée dans un minuscule ascenseur bringuebalant, William Sheller est là, planté dans l’embrasure de la porte. Son air sévère des premiers instants masque à peine sa timidité de petit garçon pas très satisfait du monde des grands. Pourtant, combien sont-ils à tenir tête avec autant de persévérance à leur maison de disques ? Aujourd’hui, William Sheller est respecté, son parcours artistique lui appartient.

Après des débuts en forme de gag, dans les années 70 (Rock and roll dollars), les producteurs pensaient tenir un nouveau chanteur à minettes. Puis il s’est imposé avec des compositions très belles et personnelles, tour à tour chanteur ou compositeur d’œuvres de conception classique. Son miraculeux « album en solitaire », né d’une histoire d’instruments restés bloqués en douane avant un concert, s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires. Avec Albion, son dernier CD, William Sheller est revenu là où l’on ne pouvait l’attendre, se fiant aux choix de son instinct. Un disque rock British enregistré de l’autre côté de la Manche avec une équipe de requins de studio. Et, comme Sheller n’est pas connu en Grande-Bretagne, il ne s’est pas retrouvé prisonnier d’une image. Le résultat est très intéressant, puisqu’il nous offre un climat aux consonances des grandes années Beatles. Il sent bon le travail d’équipe, sans souci d’opportunisme. Mais Sheller s’est maintenant plongé dans une musique de film, ambiance années 30. Un grand piano trône au milieu de son salon ;  il le délaisse par pudeur au profit d’un clavier électronique, car il n’aime pas trop l’idée que d’autres l’écoutent travailler. 

■Albion, distr. Phonogram