"Mes
Disques à Moi", le retour. Où, revenu d'Albion, William
passe au crible musicologique Beatles, Smiths, Airplane et autres FFF
Pertinent.
Donc,
c'est à nouveau cette affaire. "Mes Disques à Moi", l'équipe,
à la rescousse. Hein ? Quoi ? Où ? Chez Sheller. William Sheller.
A cause de son nouvel album. Albion, incroyable. Une chose invraisemblable, enfin
un disque français valable, album à classer entre Aux Armes etc
du tandem Gainsbourg-Gainsbarre et Pizza du duo Bashung-Bergman ! Suivez-nous,
nous y sommes
Driiing, Driiing !
-
"Bon, alors on commence
"
- "Allons-y
Allons-y
"
- "Ce disque rock, on
l'attendait depuis
hum
Les Irrésistibles ! [rires]
Ça fait 25 ans ! Sheller goes Rock
C'est voulu ?"
-
"Oui, en ce sens que c'est la musique que j'aime. Maintenant, je ne prétends
rien. Je ne suis pas Noir Dés', hein ! Non, en fait, j'ai rencontré
des gens, et on ne s'est pas posés trop de questions. C'est parti, on a
laissé le guitariste jouer
C'était pas une ambiance de séances,
pas du tout. En fait, au bout d'une semaine d'essai, de tâtonnements, je
leur ai dit : "Bon, ben continuez comme ça". J'avais un
groupe, dis-donc."
- "Et ça s'entend
! Il va rester en activité ce groupe ?"
- "Il
va rester avec moi pour la scène. On va faire certaines télés
ensemble
Et puis ils veulent faire Albion en anglais. Sans moi. J'ai
pas les racines pour faire vivre l'histoire dans leur langue, eux par contre le
chanteront
Tu veux voir mes disques, alors ?"
-
"Ben on est là pour ça, non ?"
- "Voilà,
c'est là, dans cette pièce
"
-
"Donc la chaîne
Petites enceintes TOA, DAT Akaï, ampli Pioneer
Tu joues tes CD's où ?"
- "Là ! Dans mon
CD-ROM ! Tiens, tu vois, c'est mon ordinateur qui me joue mes disques".
-
"Là, tout de suite, à vue de nez
je vois plein de Beatles.
Et à la limite, je n'ai pas besoin de demander si tu es plutôt Beatles
ou Stones, mais carrément "plutôt Lennon ou plutôt McCartney"
? Je me trompe ?"
- "Ah
Heu
[dix secondes
de réflexion]
J'ai été plus Beatles que Stones,
mais tout de même, un disque comme Aftermath, hein, ça tenait
debout
Non, ce que je trouvais dommage, c'est que les Beatles avaient toujours
un album d'avance. Bon, et Satanic Majesties, par rapport à Sergeant
Pepper, c'est pas le même propos [quinze secondes]
Pour
en revenir à ta question, j'ai longtemps été fan de Mc Cartney
mais après l'album blanc, j'ai viré Lennon. McCartney, il continue
à faire toujours la même chose d'ailleurs. Toujours pareil. Loin
de tout. Il jette jamais un il sur la vie, c'est pas très consistant
au bout du compte
Et puis il a tendance à se barrer dans de grandes
orchestrations sirupeuses. C'est un peu mode, tout ça."
-
"Moi quand j'ai acheté My year is a day, que tu avais composé
pour Les Irrésistibles, je ne sais pas, j'avais fait l'acquisition d'un
sacré bon disque pop français, tout à fait au niveau de ce
qui arrivait de Londres. C'était en 67 et je me dis qu'on a un peu perdu,
non ?"
- "On a cloisonné. On a fait des petites
boîtes. Jazz, rock, reggae, ragga
A l'époque, la pop music,
c'était tout ce qui, depuis Elvis Presley, EVOLUAIT. A partir de Satisfaction,
ça a commencé à changer. Il y avait d'un côté
le hard rock, Hendrix, Cream, Led Zep et puis les autres. Aujourd'hui, ça
a abouti à ces magazines très spécialisés que lit
mon fils, journaux qui t'expliquent des gammes très compliquées,
hypo-atonales où tout le monde se paume, eux compris d'ailleurs
"
[rires]
- "Les disques de ta vie c'est
quoi ? Ton premier 45 T, par exemple ?"
- "J'ai envie
de te dire Elvis, mais en fait c'est Paul Anka. Allez. Je vais pas te bluffer.
Paul Anka chantait Diana, j'ai acheté. Eh oui ! Mais Elvis aussi,
j'ai acheté son Jailhouse Rock. Je me souviens aussi des Supremes.
Ah, le son "Tamla Motown" ! Ah, Diana Ross !"
-
"De Paul Anka aux Supremes, il y a une logique symphonique
"
-
"Oui, mais moi, à l'époque, j'étais étudiant
en musique classique. La tête au carré. Bon, c'était pas le
même monde, m'sieur
Un soir, j'ai bien cru voir une apparition des
Beatles aux actualités, oh, on a dû voir vingt secondes de From
me to you, bon, les Beatles, information, quoi ! Moi à l'époque,
j'étais branché musique sérielle, embringué là-dedans
et je n'ai eu le flash Beatles qu'avec l'album Hard days night. Ben oui,
j'ai pris le train en marche, et je m'en excuse, Help allait sortir un
mois après, c'est dire le retard que j'avais
"
-
"Arrête ! Beaucoup de gens voudraient avoir vécu ça !
Tu as gardé tes vinyles ?"
- "Oui Monsieur. Et
j'ai mon Sergeant Pepper sur Parlophone, ah mais ! Ils sont rangés
dans des placards, je n'ai plus de platine vinyle, mais je les garde. Alors je
découvre les Beatles et je me dis : "Mais bon sang, l'histoire
de la musique, c'est ici qu'elle continue !" "
-
"Carrément ?"
- "J'avais quinze ans, j'étais
parti pour être musicien, mon père était contrebassiste de
jazz, ma grand-mère ouvreuse au Théâtre des Champs-Elysées,
je voulais être musicien, ça oui ! Donc en fait, j'ai découvert
que tout en se prenant beaucoup moins au sérieux, ces jeunes gens faisaient
de la vraie musique contemporaine. Donc j'ai décidé d'y aller. D'aller
voir ce qu'il en était".
- "Comment
on faisait pour ça ?"
- "Oh, très simplement.
Tu fréquentais le Top Ten sur les Champs-Elysées, il y avait
des musiciens, des traîne-savates. C'était la vraie vie, quoi. Avec
un groupe niçois, les Worst [rires], on s'est mis à chanter
dans les bases américaines
C'était assez spécial. Mais
au moins là, j'ai vu la musique de l'intérieur. On habitait chez
nos parents, cheveux longs, mais chez nos parents. Dés qu'on partait en
concert, c'était la galère. J'ai tout vécu. Pipé l'essence
des bagnoles du parking après le concert parce qu'il n'y avait plus rien
dans le réservoir, puis tu t'entassais à cinq dans une Dauphine,
avec les instruments sur les genoux. D'ailleurs, elle démarrait jamais,
la Dauphine. Alors on déchargeait tout, on poussait. Et dès que
le moteur tournait, hop, on remettait tout le matos sur la galerie et on s'installait
pour cent cinquante bornes. Des fois, on arrivait pour découvrir que la
boîte était fermée. D'autres fois, on jouait trois sets de
quarante-cinq minutes pour cinquante balles par tête de pipe."
-
"On dirait que ce sont de très bons souvenirs néanmoins ?"
- "Ah [douze secondes de réflexion], ça
apprend la musique, ça ! C'est plus de la théorie, là. On
joue. C'est comme quand on écrit tout seul chez soi, on pense égoïstement
à une "uvre", pfff
Alors que là, tu
bosses pour des copains, tu leur donnes à bouffer
Il faut qu'ils
aient de la matière, des trucs agréables à jouer, quoi
"
-
"C'est un peu le principe sur Albion
Tu as été
généreux avec tes hommes, je trouve
"
-
"Ah oui, ah, non, bien sûr [silence de vingt-deux secondes].
Si tu veux, là, au départ, j'avais dis à Phonogram que tout
l'album était écrit, en fait, j'avais trois chansons. [sourire] Sans blague
Non, au bout de quinze jours, je me suis mis à écrire
en pensant à mes musiciens, je leur faisais de vagues maquettes en me disant
: "Tiens, ils vont aimer ce plan de basse"."
-
"Pourquoi des Anglais, en fait ?"
- "Moi j'étais
juste l'architecte, il me fallait ensuite l'opinion de différents corps
de métier, de gars qui soient vraiment de la partie. Si le bassiste m'expliquait
que le plan basse que j'avais prévu sonnait en fait mal avec la batterie,
hop, on changeait. Le problème avec les Français, pour ne rien te
cacher -j'ai essayé de faire ce disque en France au départ-,
c'est que tout le monde, y compris de très bons musiciens, des pointures,
ils te jouent exactement ce que tu as écrit. C'est très joli, mais
froid. Guitares trop clean, trop propres
Je faisais écouter les maquettes
françaises à mes deux gosses, ils aimaient pas du tout."
-
"Tes disques de chevet dans les seventies ?"
- "Après
la dissolution, je suivais les Beatles séparément, le triple d'Harrison,
Les Lennon, mais Led Zep, Hendrix, L'Airplane
"
-
"L'Airplane ! C'est incroyable ce qu'ils jouaient faux sur certains disques
! "
- "Ecoute, pas seulement eux ! Prends les Beatles
Mark Wallis m'a fait découvrir un truc de fou. Tu écoutes les disques
stéréo des Beatles en mettant la balance à fond sur un seul
canal. Lui fait ça. Moi aussi maintenant. Tu vas entendre des trucs sidérants
! Sur Hello Goodbye, il y a des plans de guitare faux, mais FAUX, tu te
demandes comment Harrison a laissé passer ça ! Remets la stéréo,
tu n'entends plus rien. Impeccable ! Ça passe ! Nous, aujourd'hui en France,
on referait la piste, les Anglais, ça ne les gêne pas. Wallis, il
bosse à l'ancienne. Il coupe la bande à la lame de rasoir et il
scotche
"
- "Bon alors, ces disques
des Beatles, je vois Rubber Soul, Revolver, Sergeant Pepper,
où sont les autres ?"
- "A l'étage. Chez
mon fils. Il me les pique ! C'est lui qui a mon double blanc, honnête !"
- "Ton fils ?"
- "Oui,
il a vingt-deux ans, il s'appelle Siegfried. Il a de la chance, il aurait pu s'appeler
Tannhauser !"
- "Tu as plein de classique,
ouh là, pfou !!! Coffrets Bach, Mozart, Wagner, Strauss
Tiens,
trois Midnight Oil, trois !"
- "Oui. J'aimais bien ce
qu'ils faisaient. J'aimais ce côté travail sur le son. Chez Midnight
Oil, il y a toujours un truc qui t'attire l'oreille, ça fourmille de petits
détails qui te tiennent en alerte. Sympa".
-
"Ah, un MC Cartney, un Harrison
C'est un rêve d'imaginer un Beatles
qui joue sur un de tes disques ?"
- "Non, j'irais pas
jusque-là, en plus je suppose qu'il faut dormir devant leur porte pour
attirer leur attention, nan
"
- "Art
Of Noise ! Un, deux, trois, le "Best of" ! Mais tu les a tous ! Même
la compile ! Ah, et juste à côté, Electric Ladyland,
de Hendrix, et le nouveau FFF
"
- "J'aime bien FFF.
Deux d'entre eux ont fait des playback derrière moi, on a sympathisé
en partageant diverses clopes et voilà." [rires]
-
"Et ça ? C'est quoi ça, Monsieur Sheller ?"
-
"C'est de la musique traditionnelle japonaise. Tu joues ça, ça
fait hurler les chiens, fuir les enfants, c'est génial."
-
"Je vois des disques des Smith aussi."
- " Oui ?
Ça ne s'explique pas. Moi je ne suis pas un rocker. Une fois Johnny m'a
demandé de faire le buf avec lui, je savais pas. Moi, il faut que
je répète un morceau pour le jouer. [Dix secondes de silence]
Tout à fait récemment mon fils m'a appris qu'en blues, il y
avait automatiquement telle ou telle forme d'enchaînement des accords
Je savais pas ça, moi. Donc moi, si tu veux, le côté construit
des chansons des Smith ne me dérange absolument pas. Et puis j'aime bien
ces ambiances anglaises un peu glauques. Quand Morrissey chante "Ce serait
tellement bon qu'on ait un accident dans ton camion", faut arriver à
le chanter, tu trouves pas ?"
- "Après
le disque des Smith, il y a un coffret Mahler
"
- "Tout
le monde croit que j'aime Mahler
C'est un calvaire !"
-
"Juste après, le dernier album de Pigalle ! Eclectique isn't it
? "
- "Ben ouais. François est un fin musicien.
Et un très grand bonhomme. Mandoline, vielle, il joue de tout. Ce que j'aime
dans les morceaux de Pigalle, c'est qu'il est humain sans tomber dans le démago.
C'est bien. C'est très bien."
- "Simple
Minds, Noir désir
"
- "Oui. J'aime bien Soyons
désinvoltes, ce nouveau catéchisme".
-
"Je vois des disques de Magma
"
- "Oui, mais
pourquoi pas ? Pour moi, c'est toute une époque, celle du "Camembert
électrique". A l'époque, j'habitais chez Karakos, l'homme qui
sortait des 33 tours sans le trou au milieu, on vivait avec Higelin, on écoutait
Sun Ra, Arshie Shepp
"
- "Lloyd
Cole, et ce Guidoni, là ?"
- "Enorme sur scène,
plus difficile à expliquer en disque".
-
"Et ces Stravinsky, ici, pile énorme, qu'en dire ?"
-
"Rien [quatre secondes de silence]. Que c'est mon maître. De
Stravinsky, j'ai tout. Le coffret, l'uvre complète dirigée
par lui."
- "Kent ?"
-
"J'ai fait ses arrangements, il y a pas longtemps. En douce de Phonogram
qui m'engueulait : "Pas question de faire les arrangements pour Kent tant
que t'as pas fini ton propre album". Oui, oui
Bien, bien
Mais
pendant le week-end, hop, j'ai pris un train pour la Belgique, j'avais préparé
les partoches, hop, on a fait la séance de Kent et je suis rentré
en Angleterre le lundi, ni vu, ni connu !"
-
"Tu te serais drôlement fait disputer s'ils avaient su ?"
-
"Ah
[silence de treize secondes] Sûrement."
-
"A part ça, ça se passe bien pour toi chez Phonogram, non ?"
-
" Très bien
Ce qu'il faut arriver à obtenir [silence
de sept secondes], c'est la position [silence de neuf secondes] d'alibi.
Ça, je le dis toujours. Il faut devenir le mec qui leur sert d'excuse à
faire de la variétoche à côté. Quand ils disent : "Oui,
on fait des horreurs, mais regardez, on a Truc", et que Truc, c'est toi,
hop, c'est gagné. Faut durer, c'est tout".
-
"Pour durer, il faut surprendre, pour surprendre il faut changer. Donc après
le barbare Excalibur, voici Albion ! Tu vas te battre ?"
-
"Non. Je ne vais pas me déguiser en rocker et me foutre une boucle
d'oreille pour aller faire "Taratata" ! Là-dessus, ils ont commencé
à me dire : "Ah, si tu mettais des fringues à carreaux pour
les télés" (-cf la pochette à carreaux, voir page62
-NDLR). Franchement , là, non
Moi j'ai fait ce disque, je voudrais
laisser les gens planer avec, plutôt que de leur faire un vidéo-clip
!"
- "Tu es excité par la reformation
des Stones, je veux dire, combien de temps vont-ils tenir ces vieillards ?"
-
"Mick Jagger va faire l'admiration des gérontologues. Il a toujours
l'air frais, même si j'ai l'impression qu'il n'apporte rien de neuf
Mais c'est comme moi. Nous sommes [quatre secondes de réflexion] la
génération des vieux Peter Pan. Ben oui. Les gens qui ont cinquante
ans maintenant ne les ont pas comme nos parents. Et en même temps, c'est
une génération qui ne mérite pas ça, parce qu'on a
tout déglingué en 68, et on a fait ça comme des enfants gâtés
avec nos chemises à fleur. Depuis, c'est encore plus la guerre au pognon.
La mère de mes gosses, elle, a fait l'aller simple : de psychédélique
à baba cool et après, chez le pape, direct. Photos de Jésus
partout. Mon fils et ma fille sont revenus habiter chez moi. Eux et moi, on parle
de tout. On fume des pètes. Y'a pas de problème. Et en même
temps, je les vois se demander ce qu'ils vont faire. Eux et leurs copains. Surtout
leurs copains. Avoir dix-huit balais aujourd'hui, c'est mortel. Moi, j'aurais
[trois secondes de réflexion] la haine des adultes. Je connais peu
de gosses qui ont été aimés par leurs parents. Mon fils a
un copain, pour son anniversaire, comme cadeau, tous ses pote sont allés
chez lui , ils ont foutu son beau-père à la porte à coups
de batte de base-ball. Moi, ça me prend
[silence de deux secondes]
c'est monstrueux ! Ça devient n'importe quoi, c'est la merde. Alors on
va dire que Albion est pessimiste
C'est la merde qui l'est. Là
j'ai jeté un regard. Après tout, il y a des mecs spécialisés
dans la gueulante. Lavilliers, il fait ça très bien. Bon. Moi, c'est
pas mon plan. Je regarde les choses comme François dans son Bar-tabac
de la Rue des Martyrs. Je constate. C'est ce que je partage avec vous. Ce
que je vis".
La conversation roule, comme ça, excitante. Et
puis Gassian déboule. C'est l'heure
-
"Tu vois quelque chose à ajouter avant que je ne te livre au photographe
qui cliquète dans le couloir ?"
- "Non, rien. [silence
de trois secondes] Ah, si ! Je me demande parfois ce qu'est devenu Warum Joe.
Tu ne sais pas ? Tant pis
"