Il avait reçu une Victoire de la musique pour son album Sheller en solitaire, joué en solo au piano. Il vient de sortir un disque très rock, différent de ce qu’il avait l’habitude de faire jusqu’à présent. Il prépare aussi une symphonie qui sera donnée salle Pleyel les 24 et 27 mars. William Sheller est comme ça : toujours en route pour de nouvelles aventures. Mais c’est au prix d’une vraie solitude.
Il voudrait brancher une lampe et ne trouve plus la bonne prise. Il va et vient dans le salon, frôle le piano noir, déplace une chaise, ramasse une pierre qu’à rapportée son chien. Avec ses mocassins noirs à grosse semelle, ses socquettes blanches, son pantalon noir étroit et court, William Sheller ressemble à un personnage de bande dessinée.
- Le Parisien : « Pourquoi ce disque si différent, si rock, tout d’un coup ? »
- William Sheller : « Pour changer d’horizon. Sortir du piano, voir d’autres gens, faire d’autres choses. Je n’aime pas rester toujours avec la même image. J’ai eu envie de travailler avec des musiciens de rock. Mais c’est un rock que je sais faire. Il correspond au son des années soixante. C’est une période que j’aime bien et qui m’est revenue d’instinct. Je ne connais pas assez profondément le rock d’aujourd’hui. J’aurais vraiment l’air démago en utilisant ça. »
- « Vous êtes-vous dit : "Je vais m’adresser à une autre génération ?" »
- « Non. Je ne crois pas qu’on puisse voir les choses comme ça. Mon fils (NDLR : William Sheller a deux enfants, Siegfried, vingt-deux ans, et Johanna, vingt-trois ans) écoute Jimi Hendrix et les classiques du rock. A force d’avoir entendu des gens qui imitaient ça, il a fini par écouter les vrais. »
- « Vous, vous composez toutes sortes de musiques. Un jour du rock, le lendemain un quintette à cordes et vous travaillez maintenant sur une symphonie… »
- « Ça dépend de ce qui me tombe dans l’oreille. J’essaie d’avancer. Un petit pas par ci, un pas par là. Je me suis aperçu que quand on cherche, comme ça, on a toujours, malgré le temps qui passe, ses meilleures années devant soi. Tandis que, si on s’installe confortablement dans une image, elle finit par se dessécher. »
- « Y a-t-il une musique que vous n’écoutez pas ? »
- « Oui, le jazz. J’ai toujours eu l’impression que c’était une musique à regarder. »
- « Vous avez dit récemment : "Jusqu’à présent, je n’ai fait qu’apprendre". Vous n’exagérez pas un peu ? »
- « Non. J’ai commencé à apprendre la musique et c’est assez long. Ensuite, il a fallu apprendre l’orchestration ; ensuite il a fallu apprendre ce que c’est que les médias ; ensuite apprendre à se débrouiller avec le fisc… »
- « Les médias, ça a été un dur apprentissage ? »
- « Oui, parce qu’au début on ne sait pas faire des choix. On dit aussi des âneries. »
- « Aujourd’hui, vous n’êtes pas quelqu’un qui se cache. Vous participez à des émissions de télévision ; Vous étiez récemment chez Nagui… »
- « Oui, j’aime les émissions qui se passent en direct. C’est là qu’on sent les choses. Les maisons de disques ne voient le public que par des chiffres de vente. Elles ne s’aperçoivent pas que le spectacle, c’est aussi des gens qui se déplacent pour aller nous voir. Et c’est lorsqu’on fait quelque chose en direct qu’on peut faire, ensuite, un album d’après ce qu’on a vécu. Plutôt que de le préparer dans le cadre de ce qui se vend. »
- « Ça vous fascine, l’argent ? »
- « On est bien obligé d’être fasciné parce qu’on nous bassine tout le temps avec ».
- « Comment dépensez-vous le vôtre ? En folies ? En maisons de campagne ? »
- « Non. L’argent que j’ai passe dans le matériel informatique. »
- « Vous n’avez toujours pas votre permis de conduire ? »
- « Non. Je préfère me laisser conduire. Et en même temps, comme ça, dans la tête, ça continue à tourner. »
- « Une image vous colle à la peau, c’est celle du solitaire. Elle est justifiée ? Ou passez-vous votre temps à faire la fête ? »
- « Non, j’ai une vie extrêmement pépère. Il y a eu un temps où je suis sorti pas mal. Mais j’ai besoin de calme. Et puis c’est vrai qu’emprunter tout le temps des chemins de traverse pousse à être seul. On a des tas de projets et, au bout d’un certain temps, on s’aperçoit qu’il est impossible de partager sa vie avec quelqu’un. C’est monstrueux. Parce qu’on n’est jamais là pour l’autre. Et ça c’est un gros problème. »
- « Vous passez pour un homme sensible. Est-ce que vous tombez souvent amoureux ? »
- « Fictivement, oui. »
- « Fictivement ? »
- « J’aurais envie d’être amoureux souvent mais c’est tellement un désastre à chaque fois ! »
- « Le désastre, c’est à cause de vous ? »
- « Oui. Je ne l’ai pas cru pendant longtemps mais maintenant je finis par me demander si, à force d’entendre toujours les mêmes répliques, ce n’est pas un peu vrai. »
- « Que vous reproche-t-on ? »
- « D’être absent. De ne pas être assez attentif. Et c’est vrai. »
- « Et ça vous rend malheureux ? »
- « Je fais avec. Mais enfin, bon, c’est un manque. Surtout quand je me retrouve, parfois, avec plus rien à faire. Ou quand je sors des Victoires de la musique. Sortir d’une salle où il y a trois mille personnes et se retrouver entre quatre murs ! Une heure avant, on a beaucoup donné, rencontré plein de gens et puis on prend une voiture, on se fait déposer chez soi, et là, l’énergie retombe. Là, oui, on se sent très seul. »
- « Dans ces cas-là, que faites-vous ? »
- « Dans ces cas-là, on se met devant la télé. Devant Voisin-voisine, quand ça existait. Ça c’était une référence pour les insomniaques ! »
- « Mais vous n’êtes pas seul. Vous avez deux enfants. »
- « Oui, il y a ma fille qui vit à trois mètres de la maison et mon fils qui est à l’étage au-dessus. »
- « Vous parlez souvent ensemble ? »
- « Oui, bien sûr. En général ça se passe en pleine nuit. Je ne sais pas pourquoi. Mon fils se réveille et moi aussi. On se retrouve ici, dans le salon, on se fait un café et on discute. Et puis je lui donne quand même des cours et des leçons de musique. »
- « Vous avez ici la cassette des Visiteurs… »
- « Oui, j’aime bien ce film. Je l’ai vu quatre fois. »
- « Vous aimez les comédies ? »
- « Ah de toute façon oui ! En revanche, je n’aime pas les drames à la française, les gens en pull-over dans leur salle de bains, alors ça, ça me gonfle. Moi j’aime l’humour. »
- « A propos d’humour, il y a partout des Tintin, dans votre appartement. Vous êtes tintinophile ? »
- « Ben, non, c’est une fausse idée. J’ai acheté en fait le tapis avec le Milou, alors quelqu’un m’a acheté un objet Tintin, et puis un autre encore, et maintenant les gens qui voient que j’ai du Tintin chez moi m’offrent systématiquement du Tintin. »
- « Est-ce qu’on vous sollicite dans d’autres domaines que la musique ? Au cinéma, par exemple ? »
- « Le cinéma, je ne suis pas fait pour ça. C’est très long il faut toujours attendre. Sinon, oui, je reçois des scénarios. Il y a un temps, on me proposait des rôles de nazi ! »
- « Parce que vous êtes blond ? »
- « C’est ça. Je dois avoir la gueule de l’emploi ou quelque chose dans ce genre… »
- « Vous aviez promis d’écrire une chanson pour Barbara… »
- « Je vais lui faire. J’attends d’avoir fini tout ce que je fais. Ensuite je prendrai un peu de vacances en avril. »
- « Il y a quelques temps, vous avez disparu de la circulation et la rumeur disait que vous aviez des problèmes de santé. »
- Non, j’étais en Angleterre pour mon disque. Je travaillais tout simplement. »
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-Nouveau CD : Albion (Philips)
-En concert à Pleyel les 24 et 27 mars.