En 61 titres sur quatre CD, le plus anglo-saxon des chanteurs français nous livre ses excellents et fantaisistes Carnets de Notes. Dix-huit ans d'un travail d'orfèvre avec des matériaux divers.
Lorsqu'un artiste s'éternise trop longtemps dans un trou discographique, il arrive souvent que sa maison de disques se charge elle-même de lui rendre "hommage" par le biais de compilations plus ou moins réussies. S'il apparaît que Carnets de notes de William Sheller tombe à pic pour meubler un long silence, on sait dès la pochette sobre et réussie (en fait le digne reflet du Sheller d'aujourd'hui) que cette anthologie fera référence ne serait-ce que parce que l'artiste lui-même s'est penché sur le choix des titres et en a lui-même décidé la chronologie.
William Sheller, à l'instar d'un Jean-Louis Murat ou d'un Gérard Manset, est un marginal du business de la chanson française, même si, contrairement à ses deux illustres confrères, il ne déteste pas monter sur une scène de temps à autre. Ainsi sa rétrospective non exhaustive (l'homme se plaît dans la mesure) inclut-elle quelques prestations live où l'on peut entendre un son raffiné que beaucoup n'arrivent pas à retrouver une fois la porte du studio franchie. Sheller est un rêveur qui considère ses chansons comme autant de déguisements permettant d'entrer dans la peau d'un personnage. Un après-midi de pluie, il a donc trié ses reliques dans son grenier, simplement guidé par son feeling du moment et sans "se prendre la tête".
Aussi, sur le livret qui accompagne le coffret, il reproduit ça et là quelques textes de chansons alors que pour d'autres il se contente d'un bref commentaire ou d'un silence mystérieux. Sur le premier disque, on redécouvre avec émotion le jeune chanteur qui "cassa la baraque" au printemps 1975 avec un rock débridé pestant gentiment contre l'invasion de la langue française par une nuée d'anglicismes gloutons. D'une fraîcheur étonnante, 18 ans plus tard, ce Rock'n'dollars révélait un arrangeur très marqué par la pop anglaise et le son du Revolver des Beatles. A la suite, on s'aperçoit que la cuvée Rock'n'dollars regorgeait de petites perles de moins de 3 minutes telles La Maison de Mara. L'éventail de chansons courant sur la fin des années septante (Les petites filles modèles, A l'Après-Minuit) est certainement le plus attachant car il consacre Sheller commune un chanteur français qui a retenu toutes les leçons des musiciens anglo-saxons. Cependant, dès 1980 (Symphoman), William Sheller va discrètement oublier les bases de la pop musique pour privilégier les dialogues piano-quatuor à cordes qui culmineront sur l'album Ailleurs, très largement représenté sur ce Carnet de notes. Le sourire de Sheller va se figer, ses traits vont se durcir et l'automne va dominer dans les couleurs (Excalibur, Le Témoin magnifique). Même s'il va l'éloigner quelque peu des radios et des hit-parades, ce choix va valoir au chanteur une reconnaissance et un respect de la part des médias qui, jusque-là, ne s'étaient pas vraiment penchés sur son cas. En se marginalisant, Sheller va devenir une valeur sûre dont personne n'osera contredire la volonté.
C'est à coup sûr, cette nouvelle image que Carnet de notes met en avant comme si les années septante n'avaient été qu'une aimable répétition durant laquelle l'artiste faisait la "pop-star" pour de décontracter. Maintenant, il faut une certaine volonté pour entrer dans cet univers atypique où les chansons sont comme des gouttes de pluie qui frappent sur la vitre. On a donc une impression d'uniformité que seule une écoute attentive peut démentir. Dans un monde où les chanteurs se font entendre en braillant le plus fort possible des évidences, Sheller n'est pas à sa place. Mais si l'on fait l'effort de pousser la porte de la pièce vide au milieu de laquelle a été conçu ce Carnet de notes, on découvre un être chaleureux, qui, avec des matériaux divers, a toujours accompli un travail d'orfèvre.