Ça serait comme un grand récital qu’on pourrait entendre chez soi. Dans ses Carnets de Notes, William Sheller a rassemblé le meilleur de lui-même. Comme un point d’orgue sur la partition qu’il joue depuis vingt ans. Ou le grand jeu des notes et des mots, dans « Fréquenstar », le 9 sur M6.
Les spirales ont été remplacées par une cordelette de chanvre servant de reliure. A première vue, on hésite entre l’herbier et le journal intime. Le carton paraffiné de la couverture, le papier (recyclé) terre de Sienne aux surimpressions de feuilles mortes, les annotations manuscrites de l’auteur, donnent un aspect « art brut » à ce magnifique coffret. Un Carnet de notes dans lequel William Sheller a consigné vingt années de sa carrière de chanteur. Quatre CD qui contiennent 53 chansons plus huit pièces instrumentales. L’occasion aussi de retrouver certains titres comme Les Petites filles modèles ou J’me gênerai pas pour dire que j’t’aime encore, qui n’existaient pas en compact disc.
Carnets de notes
« Je ne voulais pas faire une compilation comme le font certains artistes. Ça n’a aucun intérêt de coller des chansons bout à bout, dans n’importe quel ordre, sous prétexte qu’elles ont eu un succès à un moment donné. J’ai voulu garder la chronologie dans laquelle elles ont été écrites depuis 1975, mais regroupées par période et remontées dans un ordre inédit, un peu comme un programme de concert. Je les voulais tel quel, sans "remix" ou "remasterisation". J’ai simplement remplacé quelques-uns des enregistrements de l’époque (vraiment trop critiques !), par la version avec quatuor. »
Ecriture
« Au dernier moment. Presque toujours. Quand je commence à écrire, c’est une sorte d’écriture automatique, proche de celle des surréalistes. C’est d’abord des mots, qui se placent bien sur la phrase musicale. Ça n’a pas forcément de signification, contrairement à la musique qui elle, a tout de suite un récit. Quand il y a concordance, quand se dessine une certaine logique, alors on va gratter à tel endroit, pour voir ce qu’il y a derrière, comme on le ferait sur une vitre couverte de givre… Même si elles nous tombent dessus comme ça, les phrases ne nous viennent que parce qu’elles sont une traduction de quelque chose qu’on a vécu. Et cela n’a rien à voir avec une notion de culture académique, c’est le regard qu’on a sur la vie. C’est vrai aussi qu’avoir "fréquenté" Eluard, Valéry ou Cocteau, ça aide ! C’est un héritage qu’on a en soi, quelque chose qui est entré dans nos gènes. Dans Eluard ou dans Cocteau, il y a des mots qui sont comme des trousseaux de clés : dès qu’on les voit, c’est comme une image qui éclate. Parfois, on arrive à poser les mots les uns à la suite des autres qui font l’élision de toute une phrase. Comme dans Les miroirs dans la boue : "Elle m’a suivi partout/Jusqu’à l’étage où j’avais mon verrou"… »
Interprétation
« Toute la difficulté dans l’écriture d’une chanson, c’est de ne pas en donner une interprétation définitive. Il faut laisser le champ libre à l’imagination de ceux qui écoutent. Ecrire les textes au dernier moment présente l’avantage de pouvoir faire beaucoup évoluer les chansons quand on les chante. Sur scène, je fais souvent une petite introduction à la chanson qui va suivre en racontant une anecdote sur la façon dont elle est venue. Mais je m’aperçois que les deux interprétations, les deux histoires peuvent cohabiter : la version de l’auteur et la vision de l’auditeur ne se gênent pas mutuellement. C’est comme le même voyage raconté par deux personnes différentes. C’est la preuve que la seule chose intéressante dans le fait de pratiquer un "art", quel qu’il soit, c’est de communiquer. De communiquer par l’émotionnel, avec la peur, la peine, le désir, le plaisir… C’est pour ça que tout le monde peut comprendre une chanson comme Nicolas. Parce qu’on a tous, un jour ou l’autre vécu cette forme d’abandon. »
Danger
« Monter sur scène, changer d’orientation à chaque nouveau disque, se mettre en danger régulièrement, c’est la seule façon de ne pas faire une caricature de soi-même. J’ai plus un tempérament à prospecter qu’à exploiter. Après le succès de la tournée Sheller en solitaire, on m’a redemandé de faire un autre concert au piano. Mais non ! J’avais justement envie d’autre chose, de retrouver un orchestre, comme sur mon prochain disque. Maintenant, j’ai essayé toutes les formations : le groupe de rock, l’orchestre symphonique, le quatuor à cordes, le récital seul au piano… »
Symphoman
« L’Orchestre des Concerts Lamoureux m’a déjà passé commande d’une symphonie pour l’an prochain (1) (NDLR : en janvier dernier, cet orchestre a créé le Concerto pour trompette et orchestre écrit par William Sheller pour le trompettiste virtuose Thierry Caens). L’autre jour, je participais à une émission de radio où il y avait aussi la soprano Françoise Pollet : elle m’a commandé trois ou quatre mélodies pour le printemps prochain… Ça m’étonne et ça m’enchante en même temps. J’ai toujours été gêné par ma voix dont les possibilités sont très réduites… J’ai un mauvais outil de base et j’ai toujours eu la flemme de le travailler. D’où mon admiration pour des gens comme Jonasz ou Julien Clerc qui chantent vraiment bien. Moi, je suis tout juste capable de raconter des histoires sur des notes… C’est Barbara qui m’a fait comprendre que l’important était plus dans le "dire" que dans le "chanter". »
Victoires (NDLR : deux en 1992, pour le Meilleur album et la Meilleure chanson)
« C’est un peu comme si j’avais passé le Bac. Je me suis dis que j’avais fini mes études, enfin ! Et que je devais maintenant aller au boulot ! Je fais mon métier comme un artisan. Mon grand-père qui était ébéniste faisait une chaise "pour qu’elle dure trois cents ans ! ", disait-il. Quand j’écris des chansons, je n’ai pas la notion de durée dans le temps. Contrairement à l’enseignement de la musique classique où l’on forme les gens dans l’obsession de la pérennité, du génie. Mais on oublie que Mozart était un artisan, il écrivait à la commande ! ».
-----
Notes du site :
(1) Cette symphonie en trois mouvements, baptisée L’Alternative, a effectivement été créée par l’Orchestre Lamoureux en mars 1994 à la salle Pleyel.