Relancé par un album et un tube au piano pimpants comme du Manset, l’Elton John de la variété française redémarre en force un quart de siècle après My year is a day…
Pour qui n’écoutait pas les hit-parades et avait raté Rock'n'dollars, sacrée « chanson idiote » par Philippe Bouvard et vendue à 500 000 exemplaires en 75, William Sheller pouvait sembler débarqué en extra-terrestre dans les années quatre-vingt. D’où sortait-il, avec son nom anglais et ses images qui semblaient volées à notre propre enfance, odeurs de greniers et de gomme arabique ? Qui était-il pour qu’on l’écoute, qu’on le laisse promener « un archet sur nos veines » en prenant l’air de regarder ailleurs ?
N’avait-il pas compris que le jeu c’était d’être plus « BAD » que les « bad », qu’ « I love you » était devenu « I’m hot », et que la tendance n’était pas -mais alors pas du tout- aux quatuors à cordes ?
Il y avait quelque chose de merveilleux dans cet anachronisme, comme un fou rire étouffé au fond de la salle. « Asa nisi masa » : tout le monde n’avait pas répété les mêmes formules magiques, appris les mêmes accords, mais ses chansons étaient pleines de portes. On en trouvait toujours une ouverte
-même si on était gravement « bad »-.
Entre mai et novembre 1991, deux cent mille personnes ont acheté Sheller en solitaire. C’est à peu près le chiffre réalisé par les précédents albums au cours des ans -en cinq mois seulement-. L’album n’a pourtant pas fait plus de bruit que les autres (il en fait plutôt moins) mais 200 000 fans se sont dépêchés de l’acheter ; le reste a suivi : télés, radios, un concert supplémentaire à l’Olympia. Le rieur du fond de la salle se retrouve au premier rang –non pas tout à fait, au numéro 7 du Top 50-. « Peut mieux faire », mais, cette fois, il risque de faire mieux vraiment, parce que les Rambo et les Bad nous ont laissés et que, à l’heure de la « world music », les quatuors à cordes ne sont pas plus obscènes que l’oud ou le synthé.
Au Japon, on achète Sheller dans le bac « musiques du monde », ce qui n’est pas plus bizarre que d’acheter un quatuor dans le bac « variété française » : de la ligne Prix de Rome au rock électrisé, des accords du Kakagu au piano solitaire, Symphoman a enfin croisé son époque : « Je crois qu’il faut en revenir à ce qu’était le métier ; avant on pouvait écrire des chansons sans se poser la question de savoir si c’était de la GRAAnde musique. Mozart, on lui commandait des machins, des danses villageoises, il fallait qu’il croûte. Aujourd’hui, les gens qui connaissent bien le métier ne veulent pas condescendre à écrire de la musique pour tout le monde. Alors, les gens sont obligés d’écrire leur propre musique, sans savoir. »
Mais qu’importent, au fond, ces règles d’or, que Sheller collectionne quand même, en bon petit-fils de Compagnon charpentier, fils de musicien de jazz qui plus est ? « On ne peut pas demander aux gens de faire des efforts pour comprendre ce que l’artiste a "voulu dire". La musique, c’est pas fait pour les gens qui connaissent, c’est fait pour les gens qui ressentent. En général, les histoires dans lesquelles je me faufile, c’est toujours des rapports humains, affectifs, parce que c’est vraiment la première chose que tout le monde partage à égalité. On peut être plus ou moins grand, plus ou moins intelligent, les émotions on les a tous. »
Dans la pénombre de la salle, Sheller cherche-t-il des regards qui « l’aimeraient peut-être » ? Il a toujours pris plaisir à la scène. « C’est agréable aussi de faire un récital, d’être au piano. C’est un concert, mais c’est comme si on animait une veillée, ça permet de raconter comment la chanson est venue, des anecdotes… Ou on vient voir un spectacle, ou on vient voir un artiste et on a envie de savoir qui c’est. »
William jure qu’il n’est pas triste, pas vrai : juste un type comme les autres, avec « des éviers qui se bouchent et des chaussettes qu’il perd sous son lit ». Il y a dix ans, il courait tout seul, aujourd’hui « les maisons de disque ont changé. Elles ont commencé à se pencher sur les goûts du public. Elles ont moins de directeurs artistiques, elles se mêlent moins de création. Et les gens en ont marre de ces mégaconcerts où tu vois l’artiste petit comme ça là-bas. Ils ne se sentent pas ensemble parce qu’il n’y a plus personne pour célébrer le rituel. »
Le crocodile va-t-il manger le méchant à la fin de l’histoire ? « Je ne suis pas un mystique, je me méfie beaucoup des religions et des dogmes, mais je m’intéresse au spirituel. Je suis très attaché aux philosophies, qui sont un point de rencontre entre les religions parce que je ne peux pas concevoir qu’on est là pour rien du tout. Je vais essayer de faire du mieux possible pour, arrivé à la fin, pouvoir me retourner en disant : "Eh ben ça va, tu as fait ton job". Qu’est-ce qu’on aura dans les poches quand on va passer la porte ? Après ? Je ne crois pas au ciel et à l’enfer, je ne crois pas à quelque chose de manichéen comme ça. La réincarnation, je ne suis pas sûr… mais ce n’est pas quelque chose que j’exclus. Toutes les religions ont des prophètes, des voyants. J’accepte cela parce que ma grand-mère voyait… Elle ne voit plus la pauvre, elle s’éteint tout doucement dans son lit là-haut. Elle s’éteint sans souffrance, bien entourée, elle tire sur sa cigarette encore, quand elle me voit, elle fait le geste du briquet avec son pouce… Oui, elle voyait. Et pourquoi, moi, j’entends la musique ? Quelque chose qui n’existe pas encore ? La musique, ça ne s’entend pas, do-mi-fa-dièse, ça s’entend tout fait ! »
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Olympia jusqu’au 16 novembre ; le 20, même lieu.