Pierrot lunaire barbotant dans les golfes clairs des « tubes intimistes »,
William Sheller sera demain soir à Morges. Portrait.
William Sheller est un type bizarre. Crâne rasé, moitié facho, moitié Pierrot lunaire. Pas l’air net, ce type. Pas l’air clair. Une carrière qui débute par une chanson idiote, dans laquelle il réclamait du « ketchup pour son hamburger, et de l’essence pour son chopper ». Très vite, le ton change. William Sheller devient le champion de ce qu’on appellera les « tubes intimistes ». Les Filles de l’aurore, Simplement, Le Carnet à spirale, on pourrait en citer des tas. Et des belles.
Sheller va alors la jouer classique. Cet homme a son « complexe classique », comme Michel Jonasz a son « complexe jazz ». « Quand j’ai eu douze ans, je voulais être Wagner. Et puis, je me suis aperçu qu’il y en avait déjà eu un. Il fallait chercher ailleurs ». William Sheller a trouvé ailleurs.
Le premier triomphe, il le connaît en 1984, à l’Olympia avec un quatuor à cordes. Le disque comme le spectacle font un carton. Sheller, derrière son piano, raconte des histoires douces-amères, baigné de romantisme wagnérien ou médiéval. Il s’essaie carrément à la suite classique dans son album suivant, Univers.
Mais c’est avec Ailleurs qu’il va jusqu’au bout : 88 musiciens, dont 61 violons, accompagnent des chansons qui font la part belle à des sortes d’ « héroïques fantaisies ». Mythomanies revisitées, mégalomanies qu’il ne cache pas toujours. Sheller rétorque à ses détracteurs qu’il fait « de la macédoine symphonique pour péplum imaginaire ». L’homme n’est pas simple. Larmoyant, mais avec la classe des violons. Triste, mais pas démonstratif. Un peu discret. Un peu reclus. Un peu dissident de la variété. « Je fais du cinéma à entendre, pas de la variété ». Spirituel, en plus.
Toutes ces cordes étaient aussi autant de fils à la patte. Lourdes à transporter. Alors qu’une tournée avec un piano tout simple, on est moins encombré. « L’idée des concerts en piano solo m’est venue par accident. Un jour, mes musiciens ont été bloqués pour des histoires de papiers à la frontière franco-belge. Et plutôt que d’annuler, j’ai décidé d’assurer seul au piano le concert prévu ». En décembre 1990, il tente pour un soir l’expérience du solo à l’Olympia. Devant le succès, il décide d’enregistrer en public un album entier avec cette formule. Sheller en solitaire est un disque splendide. « Ça n’est plus un récital, ni vraiment un concert, c’est presque une soirée passée entre amis. En fait, ça se rapproche de la veillée! »
C’est donc à cette veillée que notre martial blondinet nous convie demain mercredi à Morges. « C’est le bonheur d’avoir une espèce d’intimité avec le public. De son côté, il se déplace peut-être parce qu’il a plus envie de voir ce bonhomme seul en scène que de voir un show ». William Sheller écrit des histoires dures et cruelles comme beaucoup d’histoires humaines. Il les raconte avec des mélodies lentes, fortes et indémodables. Seul et donc vulnérable, derrière son piano, William Sheller va peut-être réussir à être « Un homme heureux ».
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* Morges, Théâtre de Beausobre, mercredi 2 à 20 h 30.