Paroles et musique N°28 (2e série)
avril 1990

Du piano solo à la grande formation, un rêve devient réalité
Symphoman Sheller

(par Pascale Bigot)

 

Sheller, c’est des images dans un piano, une symphonie dans une chanson, un verre de Mozart-soda. Et beaucoup de rigueur pour décliner ses rêves : chanter avec un orchestre symphonique, jouer dans un clip à la Eisentein, écrire un opéra pour Diane Dufresne… Il sera au Palais des Congrés, du 2 au 8 mai.


William Sheller –qui l’eût cru-, n’hésite pas, dans les périodes de travail intensif, à s’y mettre à 4 heures du matin. «Ça n’a pas toujours été le cas, mais maintenant je me lève régulièrement très tôt, je travaille mieux ainsi», affirme-t-il. Cette fois-ci, il s’agissait de préparer, entre autres, son spectacle au Palais des Congrès : il y chantera anciens et nouveaux titres, accompagné… d’un orchestre symphonique de 70 musiciens ! Son précédent spectacle, déjà, en regroupait une vingtaine.
Un retour au classique ? «Cela me tient depuis mon enfance, je voulais être Beethoven ! Même à l’époque de Rock’n’dollars, j’ai toujours eu envie de revenir à une musique symphonique, mais une musique d’aujourd’hui. Pendant un moment, j’ai été malheureux dans la chanson; la place qu’on voulait me donner ne me convenait pas. C’est devenu clair il y a huit ans, quand j’ai arrêté le système variété, avec campagne de promotion, attaché de presse show-biz, etc… et que je me suis remis au piano pour aller vers le public.»
Car William Sheller rime aussi bien avec piano solo, qu’avec orchestre symphonique, et il se sent, dit-il, «aussi bien dans l’intimité d’un théâtre que dans l’ampleur du cinémascope. Je m’ennuie dans l’entre-deux, et j’ai envie de tout faire, ou plutôt de pratiquer mon métier de compositeur et d’interprète comme on le faisait voici deux cents ans. Imaginez un cuisinier qui ne servirait que du bœuf mironton ! »
Toujours est-il que, avec son piano et ses p’tites chansons, William fait –en douce-, au début des années 80, la conquête de son public, lui parlant avec naturel, simplement, dans des spectacles d’une intimité toute amicale. Dans la foulée, il réalise un album de quatuors, de facture classique, et décide d’interpréter ses chansons avec le quatuor Halvenalf, ce qui lui vaut notamment une semaine triomphale à l’Olympia (et un disque live). Mais il lui faudra attendre quelques années et «un changement de gouvernement chez Phonogram» pour commencer à réaliser ses rêves. Univers ne paraît qu’en 1987. Album conçu d’abord pour le CD, inclassable (rock ou baroque ?), on imagine difficilement plus anticommercial. Résultat : c’est le premier disque d’or de Sheller.
Ailleurs, récemment paru, va encore plus loin, avec de longues plages musicales, écrites comme pour un film. «Je plantais d’abord le décor, puis j’imaginais les personnages», raconte-t-il.  Dans Excalibur, on voit littéralement une armée qui étincelle au soleil, des étendards flottant dans la brise au pied de remparts médiévaux. L’aspect visuel est si fort qu’Excalibur est devenu un clip, et l’occasion pour Sheller de travailler –enfin- avec Philippe Druillet comme réalisateur. «On se connaît depuis vingt ans. Il commençait alors à dessiner dans Pilote, et je venais d’écrire ma messe symphonique Lux aeterna. Ses personnages ont souvent la bouche ouverte, et je me disais : "Mais ils chantent ! Ce type travaille avec de la musique en lui". Et Philippe, de son côté, écoutait justement mon album.» 
Pour le clip, Druillet a dessiné tous les plans, et «dirigé de main de maître». Sheller de son côté, faisait l’acteur avec plaisir. Tourné en une semaine avec un gros budget, Excalibur se veut un véritable petit court-métrage (de 6 minutes), en noir et blanc, sans paroles, en hommage à Eisenstein. La collaboration avec Druillet ne s’arrêtera pas là. «On s’est dit qu’on monterait un opéra – avec Diane Dufresne, elle a une dimension exceptionnelle -, un opéra où l’on comprendrait ce qui se dit ! Nous avons un projet, encore incertain, pour le 700e anniversaire de la Suisse, en 1991» 
En attendant, il lui faut se «contenter» de son orchestre symphonique. «Les musiciens viennent de l’Orchestre de Paris, du National, de la Garde républicaine… Ils représentent l’avant-garde du classique, une tendance post-moderniste. "Enfin, m’ont dit certains, on va pouvoir faire venir nos familles au concert !" Comme chef d’orchestre, j’ai choisi Louis Langrée –qui devrait faire parler de lui-. Je jouerai du piano, je me déplacerai aussi, j’espère qu’on sentira la complicité entre les musiciens et moi, ce ne doit pas être un orchestre de circonstance. Pour la tournée, ensuite, j’aimerais bien travailler avec des orchestres régionaux. Un engagement est déjà pris avec Jean-Claude Casadesus à Lille.»
On devine aujourd’hui chez William Sheller une assurance nouvelle ; gestes et regard tranquille, Symphoman a perdu de sa fébrilité, de son inquiétude. «Je suis bien dans ma peau, dans ce que je fais, dit-il. Et puis je sais que chaque note que je compose sera un jour jouée, c’est essentiel.»
Pour composer, il utilise l’ordinateur mais, à l’arrivée, bois, cordes, cuivres… rien que de l’acoustique, pour des musiques d’une rigoureuse diversité… Tantôt des mélodies fluides, aquatiques, de veine schubertienne, tantôt des cadences passionnées, vibrantes, plutôt mozartiennes; ici une romantique envolée russe, là une contemplation orientale. Et, souvent, un humour discret, pudique.
Les textes, d’images rêvées en paysages symboliques, suivent les mêmes apparents vagabondages, élégants ou mystérieux. «Je suis un maniaque, les mots doivent couler musicalement, et j’ai un mal fou. Je cherche la musique des mots et des phrases, et, après seulement, une histoire. Je ne veux pas trop accrocher l’oreille avec ce que je raconte. On doit se laisser glisser sur la musicalité, imaginer. Je préfère insinuer qu’appuyer, dire "siège" plutôt que "fauteuil" ou "tabouret".»